Sur la crise grecque, crise de l’euro et de l’Union européenne

Zoom d’actualité

, par CIIP , OLLIVIER Marc

La crise sociale et économique qui accable le peuple grec en cet été 2015 se déroule dans un triple contexte historique : d’une part, celui de la Grèce elle-même, surtout depuis son entrée dans la zone euro, d’autre part, celui des anomalies profondes du fonctionnement de cette zone et de sa dérive vers une domination par les principales banques françaises et allemandes (appuyées sur une alliance des partis de droite et de la social-démocratie) et enfin dans le contexte des impasses internationales et des crises financières où se débat le système du capitalisme mondialisé.
C’est pourquoi cette présentation nous conduit tout au long de la réelle "tragédie grecque" de ces dernières années en parcourant les étapes significatives de son itinéraire.

La Grèce est associée dans notre esprit à l’invention de la démocratie et elle est ainsi devenue l’un des modèles de culture européenne et de la civilisation occidentale moderne. L’ampleur des répercussions de sa crise actuelle à travers l’Europe et le monde entier s’explique certainement par l’impact politique de ce principe démocratique, car le peuple grec, lors des élections du 25 janvier 2015, amplifiées par le référendum du 5 juillet, a été le premier à exprimer démocratiquement son rejet de la politique d’austérité qui lui était imposée (comme aux autres peuples européens) depuis la crise des années 2008-2010. Il est intéressant de rappeler que dès le Vème siècle avant J-C les Athéniens ont créé la démocratie pour surmonter une crise politique et sociale provoquée par l’esclavage pour dettes.
Ce zoom d’actualité s’efforce tout d’abord de rappeler les faits qui ont jalonné le parcours de cette crise jusqu’à cet été 2015, avant d’aborder quelques interprétations qui en ont été proposées par plusieurs experts ou journalistes spécialisés.

1/ Rappel des faits bien établis

1-1. Comment la Grèce est entrée dans la zone euro
L’entrée de la Grèce comme 10ème pays de la CEE en janvier 1981 est le résultat d’une candidature présentée par les partis de droite à laquelle se sont opposés le PASOK et le KKE (parti communiste) qui craignaient les pressions économiques et financières de la CEE. Cette candidature a été fortement soutenue par la France de Giscard d’Estaing et l’Allemagne pour des raisons à la fois politiques et économiques.

Dix ans plus tard, le 1er janvier 2001, son entrée dans la zone euro a été beaucoup plus compliquée, soit deux ans après les onze autres pays qui utilisent l’euro en tant que monnaie commune et sous forme scripturale dès le 1er janvier 1999. L’utilisation des billets et pièces entre en vigueur en même temps que les autres pays, au 1er janvier 2002. Toujours soutenue par la droite grecque, cette entrée est sujette à de nombreuses manipulations à la fois statistiques et diplomatiques révélées lors du changement de majorité en faveur du Pasok en octobre 2009.

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1-2. Origine de l’endettement public insoutenable de la Grèce
Après l’éclatement de la crise des subprimes aux États Unis puis dans le monde occidental, c’est à la suite de manipulations juridiques et financières complexes et opaques que l’endettement inconsidéré et sans contreparties des banques privées a été mis à la charge des budgets publics, particulièrement en Grèce. Ces manœuvres en partie illégales et secrètes ont impliqué les plus grandes banques européennes ainsi que la banque états-unienne Goldman Sachs. En s’appuyant sur les institutions de l’UE et particulièrement certains de ses membres, l’Allemagne en premier lieu, mais aussi la France et le Luxembourg, ce paradis fiscal où a été installé l’instrument principal sorti de ces manœuvres, le SPV (Special Purpose Vehicle) et le FESF (Fonds européen de stabilité financière). Tout cela a été mis à jour par la commission sur la vérité de la dette créée par la Vouli (le parlement grec) et révélé lors d’une conférence de presse par Éric Toussaint.

1-3. Les plans d’aide financière et les programmes d’austérité budgétaire et de privatisations
Pour faire face à cette crise, les gouvernements grecs ont été obligés de négocier avec un étrange triumvirat institutionnel surnommé la Troïka, formé du FMI, de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne. Cette Troïka leur a fait signer des mémorandums accordant de nouveaux prêts à la Grèce mais exigeant des mesures d’austérité draconiennes, tout en refusant toute restructuration de la dette.

1-4. Conséquences sociales et économiques désastreuses
Ces mémorandums étaient supposés aider la Grèce à sortir de son endettement. En fait leurs résultats ont abouti à l’inverse. A la fin de l’année 2014, la situation sociale, économique et financière était devenue catastrophique. Les chiffres officiels montrent qu’entre 2009 et 2013 le Produit Intérieur Brut a chuté de 25 %, la production industrielle de 30,4 %, l’activité du bâtiment de 84,3 % ; 30 % des entreprises ont fermé (entre 2010 et 2013), le chômage a augmenté de 44 % tandis que les salaires ont baissé de 38 % et les retraites de 45 %, etc. Un véritable désastre social, illustré par une enquête sur les politiques d’austérité, conduite en novembre 2014 par la sociologue Sanjay Basu et le professeur en médecine David Stuckler.
Et tous ces sacrifices pour rien, puisque la dette publique de la Grèce s’est accrue de 36,5 % entre 2007 et 2013, passant de 235 milliards d’euros à plus de 321 milliards.

1-5. La victoire démocratique de Syriza
C’est pour protester contre ces pratiques que les électeurs ont porté le parti Syriza et Alexis Tsipras au pouvoir aux élections de janvier 2015, porteur d’un double mandat : rester dans la zone euro et protéger les couches populaires de l’austérité budgétaire et des privatisations imposées par la Troïka.
C’est pourquoi la BCE décida quelques jours à peine après la victoire de Syriza de resserrer son contrôle sur les banques grecques par ce qui fut appelé "un coup d’État financier". Une façon de mettre le nouveau gouvernement sous la menace permanente d’un chantage aux liquidités.

La victoire électorale de Syriza en janvier 2015 et le référendum du 5 juillet ont créé une situation politique nouvelle en Grèce et dans toute l’Europe. Pour la première fois, une majorité parlementaire est élue avec un programme anti-austérité. La situation est nouvelle en Grèce parce qu’elle brise la solidarité établie entre les institutions européennes et le gouvernement grec, mais elle est aussi nouvelle en Europe parce qu’elle risque d’entraîner d’autres changements politiques du même ordre dans d’autres pays de l’UE, notamment en Espagne et en Irlande, où des élections législatives sont proches. Il a donc fallu, pour la Troïka, organiser l’échec du nouveau gouvernement grec.

Notons cependant que la victoire de Syriza et son programme anti-austérité ont aussi bénéficié de soutiens dans tous les pays européens et notamment en Allemagne, où les syndicats ont exprimé publiquement leur accord avec ce programme.

1-6. L’accord du 13 juillet 2015
L’accord imposé au Premier ministre grec par l’Eurogroup au cours d’un week end de négociations très tendues, pendant que la BCE menaçait de priver de liquidités toutes les banques du pays, a eu un énorme retentissement international, car non seulement il aggravait les mesures d’austérité pour le peuple grec mais il instaurait une véritable tutelle politique sur le pays, sans pour autant annoncer une véritable restructuration de sa dette.

2/ Interprétations des faits

2-1. Pourquoi Angela Merkel a-t-elle refusé de négocier sur la dette grecque ?
Certains observateurs estiment que la politique intérieure allemande est le terrain où s’enracine ce blocage, à cause des positions des électeurs de la droite conservatrice. Mais la chancelière a une autre raison de refuser une restructuration de la dette grecque, car elle avait promis à son électorat que les Allemands ne paieraient pas pour les Grecs.

2-2. Pourquoi Schaüble a-t-il voulu expulser la Grèce de la zone euro ?
Le témoignage de Yanis Varoufakis dans son article du Guardian du 12 juillet est éclairant parce qu’il montre la volonté du ministre allemand des Finances d’obliger la Grèce à sortir de la zone euro, selon lui pour faire peur aux autres membres de l’UE et éviter d’autres victoires des partis anti-austérité en Europe, notamment chez les poids lourds comme l’Espagne ou la France.

2-3. Quelles conséquences pour l’Europe et dans le monde ?
La simple existence d’une majorité hostile à la politique d’austérité budgétaire au parlement grec a aiguisé le débat politique dans toute l’Europe, et notamment en Allemagne, où le parti conservateur et le SPD qui dépend de lui pour rester au pouvoir sont les principaux soutiens d’une politique de rigueur budgétaire, d’un euro fort et de la privatisation des services publics qui génère le chômage et la baisse du pouvoir d’achat mais satisfait les intérêts financiers.
Pour Emmanuel Todd, la crise grecque révèle certaines structures sociologiques de l’Europe. Il faut aussi rappeler que certains intérêts tirent profit de la crise de la dette en Grèce. C’est pourquoi certains observateurs en concluent que la Grèce et l’Europe sont à la merci de l’Allemagne.
Mais notons aussi qu’il existe un mouvement de solidarité avec le peuple grec en Allemagne, qui dénonce la politique du gouvernement.

2-4. Que vont produire les réactions à l’accord du 13 juillet 2015 ?
Cet accord a été considéré comme un coup d’État et un non-sens économique par les prix Nobel Paul Krugman et Joseph Stiglitz.
En Grèce, une trentaine de députés de Syriza ont refusé de voter pour cet accord, et parmi eux la présidente de la Vouli Zoé Konstantopoulou et même quelques ministres, si bien que ce sont les voix de droite qui ont assuré ce vote. Un affaiblissement pour le Premier ministre Alexis Tsipras qui met en péril son gouvernement, qu’il a dû remanier sans pour autant modifier son équilibre politique entre Syriza et son allié souverainiste. Ajoutons que tous les parlements des pays de la zone euro ont également approuvé l’accord, opposant en quelque sorte cet ensemble de majorités parlementaires aux choix exprimés démocratiquement par le peuple grec.
On notera également l’analyse de Yanis Varoufakis, l’ancien ministre des Finances, qui condamne résolument les dispositions de cet accord.

Il semble donc que les forces qui soutiennent la politique néo-libérale défendue par les institutions européennes soient proches d’atteindre leur objectif prioritaire, qui n’a jamais été d’aider la Grèce et son peuple, mais de briser toute résistance politique contraire à leurs intérêts et donc de s’opposer à l’exercice de la démocratie en Grèce.

Cependant les dés ne sont pas encore jetés : les formes de soutien à l’expression démocratique des choix du peuple grec se multiplient partout, telles les manifestations de la jeunesse en Allemagne ... Et il faut souligner que depuis la signature de cet accord "néo-colonial", la trop célèbre Troïka a disparu des écrans au profit du seul Eurogroup car le FMI a radicalement changé de position : il veut désormais une restructuration consistante de la dette grecque, sans que l’on sache s’il a été convaincu par Syriza ou contraint par les pays qui dirigent sa politique, en premier lieu les États-Unis, alarmés par les exigences excessives de Schaüble et d’Angela Merkel ...
Notons aussi la réaction de Dominique Strauss-Kahn, ancien directeur du FMI, qui se place sur le vrai terrain de l’accord du 13 juillet en déplorant le "diktat" de l’Allemagne, très néfaste selon lui pour l’avenir de l’UE.

3/ Incertitudes pour l’avenir

Nul ne peut prévoir quels développements va connaître la crise grecque dans les mois à venir. Le bras de fer qui continue entre le système néolibéral, bousculé par la lucidité et le courage du peuple grec, met en branle d’un côté des forces démocratiques internationales et de l’autre les puissants soutiens des "1%" dans toute l’Europe et au delà. Les artistes s’en saisissent, tels le compositeur Mikis Theodorakis associé au héros historique Manolis Glezos, et on peut s’attendre à de nouvelles manifestations de ce séisme politique qui sera accompagné de répliques en Europe et ailleurs.
Le caractère emblématique de cette crise ne peut être mieux illustré que par les déclarations du pape François en Bolivie sur les politiques d’austérité néfastes et par son inquiétude quant aux difficultés du peuple grec.