Résister à DAECH avec des stratégies inadaptées ?

Zoom d’actualité

, par CIIP , OLLIVIER Marc

Les attaques commises par DAECH le 13 novembre 2015, qui sont les plus graves survenues à Paris depuis la 2ème guerre mondiale. Les réactions des pouvoirs publics qui les ont suivies ne peuvent s’analyser qu’en explorant un faisceau de circonstances et de processus complexes, tant au sein de la société française que dans l’espace international, notamment au Moyen-Orient.
A Paris, la plupart des assassins sont abattus par la police ou se font exploser sur les lieux de leurs crimes. Abdelhamid Abaaoud, qui selon les autorités joue un « rôle déterminant » dans l’organisation de ces attentats, est tué en même temps que deux complices cinq jours plus tard, lors d’un assaut donné à leur refuge par les forces de police à Saint-Denis.
Le gouvernement décrète l’état d’urgence, la police effectue de nombreux contrôles dans tout le pays pour traquer les criminels en fuite et prévenir d’éventuelles autres attaques, tandis que le président de la République rencontre tour à tour les grands dirigeants mondiaux afin de mettre sur pieds une coalition élargie pour « détruire DAECH » dans ses fiefs de Syrie et d’Irak.

Comment se protéger de cette organisation terroriste et comment la France peut-elle contribuer à la détruire ?

DAECH a choisi la France parmi ses cibles prioritaires par haine des principes de démocratie et de laïcité, mais aussi parce que la France a participé activement depuis 2014 aux bombardements en Irak de la « coalition occidentale » dirigée par les Américains contre ses positions. Et ses dirigeants ont cru, en utilisant des Français portant des noms arabes pour organiser et exécuter leurs attentats, qu’ils pouvaient dresser la population contre eux pour provoquer un processus de guerre civile et recruter davantage de jeunes Français dans une telle entreprise criminelle.

Stratégie des pouvoirs publics depuis les attentats de DAECH à Paris

La mobilisation des forces de l’ordre, de la police judiciaire, des services de secours et du renseignement a permis de maîtriser certains attaquants, notamment au stade de France et au Bataclan et de faire face à la situation des victimes. Et cinq jours après, de débusquer et éliminer un autre groupe de terroristes dans leur refuge de Saint Denis. L’enquête parallèle a rapidement permis de retrouver les moyens utilisés mais n’a pas réussi à arrêter un fuyard qui a pu disparaître en Belgique, à cause d’un manque de coordination au niveau européen. Les enquêtes se poursuivent pour élucider tous les aspects des événements.

Immédiatement, François Hollande et Manuel Valls ont décrété l’état d’urgence
Après les attentats du 13 novembre, ils décident « l’état d’urgence », que la loi limite à douze jours, présenté comme la réponse à la peur et au désarroi répandus dans le pays et comme la mesure adaptée « pour combattre les terroristes » et « protéger les Français ». Une condition nécessaire selon eux pour sauvegarder « la sécurité, première des libertés ». Mais très vite, ils décident de l’étendre et les 19 et 20 novembre, l’Assemblée Nationale puis le Sénat votent, à l’unanimité des groupes politiques qui les composent (à l’exception de six députés qui ont voté contre et de douze sénateurs qui se sont abstenus), la prolongation de l’état d’urgence et aggravent les dispositions liberticides de la loi de 1955 qui date de la guerre d’Algérie.

Manifestation contre l’état d’urgence, Paris, novembre 2015. Photo Alternative libertaire cc by-nd

Ces décisions provoquent un vif débat au sein de la société civile
Avec cet état d’urgence prolongé, ce sont en réalité les libertés de tous/toutes qui se trouvent dangereusement restreintes et menacées. Ainsi tout individu peut être suspecté en fonction « de son comportement » sans lien nécessaire avec la menace terroriste. Il peut se voir délivrer une « assignation à résidence » avec obligation de pointer auprès de la police jusqu’à 3 fois par jour et interdiction d’aller et venir… Les « perquisitions administratives » deviennent la règle et relèvent des préfets, en dehors de tout cadre judiciaire ! Sans oublier la surveillance des communications téléphoniques et Internet…
François Hollande a également annoncé son intention d’obtenir une modification de la constitution destinée à renforcer les moyens de l’exécutif face au terrorisme. Inscription de l’état d’urgence dans la Constitution, extension des mesures extra-judiciaires, déchéance de nationalité figurent parmi les propositions de modification et confirment la voie ultra-sécuritaire prise par l’exécutif français.
Parmi ces mesures, on trouve la possibilité de déchoir de la nationalité française les binationaux nés en France. Cette mesure au contenu raciste porte directement atteinte au principe d’égalité entre les citoyens. Elle a pourtant été adoptée par les députés, le mercredi 10 février 2016.

Certaines personnalités, comme Robert Badinter (ancien garde des sceaux) ont soutenu la nécessité de l’état d’urgence : « L’état de droit n’est pas l’état de faiblesse (...) Nous devons nous servir des armes légales qui sont à notre disposition (...) Il s’agit aujourd’hui de la vie et de la mort de nos concitoyens. Nous n’avons pas assez relevé la fascination de la mort chez ces terroristes, qu’ils la donnent aux autres ou qu’ils se l’infligent à eux-mêmes. Pensez au cri fasciste pendant la guerre civile en Espagne : - E viva la muerte ! - C’est la devise des terroristes. »

À l’inverse, d’autres personnalités et un certain nombre de grandes organisations de la société civile protestent contre les dérives déjà perceptibles de l’état d’urgence et s’opposent à sa prolongation à leurs yeux excessive. C’est pour s’opposer aux dérives possibles de cet état d’urgence que ces organisations refusent une modification dans ce sens de notre constitution.

Pourquoi et comment DAECH a-t-elle recruté de jeunes citoyens français pour commettre ses attentats à Paris ?

Comment expliquer l’attirance exercée par DAECH sur certains jeunes et même leur aspiration à mourir en « martyrs » ? Les jeunes assassins qui ont tué 130 personnes et blessé 500 autres à Paris en les mitraillant ou en se faisant exploser étaient pour la plupart des citoyens français, nés et élevés dans notre pays.

Dounia Bouzar, anthropologue spécialisée dans les démarches de déradicalisation souligne que DAECH a beaucoup renforcé ses méthodes d’endoctrinement et d’embrigadement en direction des jeunes français. Ses dirigeants ont cru, en utilisant des Français portant des noms arabes pour organiser et exécuter leurs attentats, qu’ils pouvaient dresser la population contre eux pour provoquer un processus de guerre civile et recruter davantage de jeunes Français dans une telle entreprise criminelle.

Jean-Pierre Chevènement dans son intervention à la fondation Charles de Gaule le 11 décembre 2015 exprime une opinion qui est probablement celle de très nombreux citoyens français : « Nous ne devons pas céder à l’engrenage des haines et du ressentiment. Nous devons montrer que le terrorisme ne peut venir à bout d’un grand peuple. Plutôt que de bavarder sur une hypothétique VIème République, l’heure est au rassemblement autour d’une idée exigeante de la République. Nous devons continuer la France et continuer à "faire France". C’est l’enjeu qui est devant nous : intégrer à notre nation les jeunes issus de l’immigration. Cela suppose que la France s’aime. La République et la France sont la cible des terroristes. Ne faisons pas leur jeu : le remède est d’abord dans la France et dans la République elles-mêmes. »

Au niveau international, le chef de l’État a proclamé « l’état de guerre »

Devant le Parlement réuni en congrès, François Hollande, après avoir qualifié les attentats de Paris d’« actes de guerre », a estimé que la guerre était la réponse prioritaire et manifesté sa volonté de « détruire DAECH » en s’employant à réunir une coalition d’États résolus à bombarder son territoire et à faire disparaître cette organisation.

Sur ce terrain, il se heurte aussi à des critiques et des oppositions de la société civile, car les attaques aériennes de la grande coalition « occidentale » sous l’égide des États-Unis, initiées en 2014, ont fait la preuve de leur inefficacité, tant en Irak qu’en Syrie : depuis les bombardements de cette coalition, DAECH n’a fait que se renforcer. Pour deux raisons principales : d’une part les membres de cette coalition ont des intérêts et des objectifs contradictoires et d’autre part, des bombardements aériens ne peuvent seuls venir à bout d’une organisation terroriste et font de nombreuses victimes civiles. Ainsi ils aident plutôt cette organisation à gagner des partisans.
Enfin les intérêts divergents de plusieurs États membres de cette coalition et les complicités secrètes inavouées de ceux qui profitent des activités de DAECH font que les observateurs avertis insistent plutôt sur les obstacles qui affaiblissent ses actions que sur ses chances de réussite. Bachar el Assad et les Russes ménagent DAECH et bombardent l’Armée Syrienne Libre (ASL), l’Arabie Saoudite concentre ses moyens contre les Yéménites soutenus par l’Iran et n’attaque pratiquement pas ni DAECH ni les autres groupes combattants islamistes comme Jabat Al Nosra. Quant à la Turquie, elle achète clandestinement le pétrole produit dans les territoires de DAECH et laisse passer les djihadistes qui veulent la rejoindre... Finalement les seuls acteurs locaux qui tiennent tête à DAECH et lui infligent même des défaites, les Kurdes d’Irak et de Syrie, se voient attaqués par la Turquie.

Beaucoup de voix s’élèvent donc pour se demander quels résultats peut obtenir la France en intensifiant ses bombardements sur un pareil nœud de contradictions...
Des observateurs comme Dominique de Villepin estiment qu’un éventuel retour à la paix ne pourra provenir que d’un compromis politique incluant tous les acteurs engagés dans cet enchevêtrement de conflits, y compris les organisations démocratiques irakiennes et syriennes. Mais peu d’entre eux estiment que les négociations en cours à l’ONU pourront y parvenir prochainement.

En France, de nombreux citoyens craignent même que l’obstination du gouvernement à prolonger une stratégie de bombardements sur l’Irak et la Syrie au sein d’une coalition qui n’a produit que des déboires ne renforce encore DAECH, son expansion internationale et la fascination exercée sur une partie de la jeunesse par son idéologie religieuse criminelle et totalitaire.

La poursuite des seuls bombardements ne permettra pas d’éradiquer le terrorisme. Comme l’affirment les historiens Sophie Bessis et Mohammed Harbi :
« Soyons réalistes, demandons l’impossible. Exigeons que la France mette un terme à ses relations privilégiées avec l’Arabie saoudite et le Qatar, les deux monarchies où l’islam wahhabite est la religion officielle, tant qu’elles n’auront pas coupé tout lien avec leurs épigones djihadistes, tant que leurs lois et leurs pratiques iront à l’encontre d’un minimum décent d’humanité ».