Retours sur la COP 17- Changement climatique et luttes populaires

Remise en cause d’une « transition juste vers une économie à faible teneur en carbone »

, par Pambazuka, TWN Africa , COCK Jacklyn

La « transition vers une économie à faible teneur en carbone ou économie verte est lourde de conséquences pour la main d’œuvre. » Jacklyn Cock se penche sur la réponse faite par le Congrès des Syndicats Sud-africains.

Récemment, la Fédération des travailleurs sud-africains, le Congrès des Syndicats Sud-africains (Cosatu), a exprimé son engagement à l’égard d’une ‘transition juste vers une économie à faible teneur en carbone.’ Cependant, pour l’heure, la teneur de cet engagement apparait imprécise. Les membres affiliés au Cosatu pourraient bien avoir des interprétations très différentes quant à l’étendue et la nature des bouleversements que cela implique. Une ‘transition juste’ pourrait soit générer des exigences superficielles en termes de changement dans le but de protéger les travailleurs vulnérables, ou alors elle pourrait entrainer de profondes mutations s’inscrivant dans une conception de modes de production et de consommation radicalement différents. En ce sens, la crise écologique constitue une opportunité non seulement d’aborder le problème du chômage dans notre société, mais également de revendiquer une redistribution des pouvoirs et des ressources, de remettre en question la vision conventionnelle de la croissance économique et de mobiliser autour de voies alternatives de développement. 

Elle pourrait également donner le jour à une autre forme de solidarité transnationale, plus importante, plus intense et plus puissante que tout ce que nous avons connu jusqu’à présent. Allant au-delà des principes de solidarité basés sur les intérêts ou les identités, Hyman précise que « le défi est de reconceptualiser la notion de solidarité de façon à englober le local, le national, l’Européen et le mondial. Afin de permettre aux syndicats de survivre et de se développer, le principe de solidarité doit non seulement être redéfini et réinventé : les travailleurs sur le terrain doivent participer activement à cette redéfinition et réinvention » (Hyman, 2011). Plus précisément, face aux mises en garde de la menace qui pèse sur la survie de l’espèce humaine, il se peut que le discours sur le changement climatique contribue à un tel processus.

De toute évidence, la transition vers une économie à faible teneur en carbone ou économie verte est lourde de conséquences pour la main d’œuvre. De tout temps, le mouvement syndical en Afrique du Sud a négligé les problèmes environnementaux. Cette situation est due en grande partie à l’idée largement répandue que la protection de l’environnement menace les emplois (Cock, 2007). Par exemple, lorsque la pollution de l’air et la contamination de la nappe phréatique par le groupe sidérurgique Arcelor Mittal fut connu, l’implication des travailleurs dans la lutte pour la justice environnementale fut émoussée par la peur de pertes d’emplois. Paradoxalement, ce qui pousse aujourd’hui les syndicats à s’intéresser au problème des changements climatiques, c’est la menace indirecte qui pèse sur les emplois dans les secteurs des industries énergie-intensives et la possible création d’emplois ‘verts’. Cependant, le mouvement ouvrier doit encore répondre à une question clé : « les emplois verts sont-ils une des composantes d’un nouveau capitalisme vert qui se sert de la crise climatique pour assouvir sa logique d’accumulation ? Ou est-ce que les emplois verts font partie d’une « économie verte » qui - “basés sur le respect des droits, les principes de durabilité et la notion de travail décent ” – est à même de relever le défi d’une transition juste » ? (Sustainlabour, 2011). Pour corser le tout, alors que dans de nombreux documents d’orientation officiels il est fait référence à l’économie verte, elle est souvent mal définie ou formulée au sens le plus strict et de manière techniciste, de sorte qu’on la considère comme une chose à part, un ‘complément’ à l’économie ‘réelle’. Cette dernière approche est mise en évidence dans le Livre Blanc publié par le gouvernement Sud-Africain, dans lequel il livre sa réponse au changement climatique.

La réaction du mouvement syndical international

Les syndicats ont pris part à la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) depuis son entrée en vigueur, sous l’égide de la Confédération Syndicale Internationale (CSI), qui représente 170 million de travailleurs au travers de ses organisations affiliées présentes dans 157 pays. Le rapport publié par le CSI (2009) intitulé Equité, Justice et Solidarité dans la lutte contre le changement climatique met l’accent sur la nécessité “de créer des emplois verts et décents, transformer et améliorer les emplois traditionnels et inscrire les principes de démocratie et de justice sociale dans les processus de prises de décisions en matière d’environnement”. Une Transition Juste est considérée comme “un outil commun au mouvement syndical et partagée avec la communauté internationale, visant à faciliter le passage à une société plus durable et ouvrant des perspectives d’espoir quant à la capacité d’une « économie verte » à maintenir des emplois décents et des moyens de subsistances pour tous”. (CSI, 2009)

La réponse du Congrès des syndicats sud-africains (Cosatu)

Ces dernières années, le Cosatu, une Fédération syndicale comptant 2 millions de membres et 20 syndicats affiliés, a commencé à reconnaitre les changements climatiques comme un vrai sujet de développement et social. En septembre 2011, le comité exécutif central a adopté un cadre stratégique sur le changement climatique, qui se base sur 15 principes dont notamment : l’accumulation du Capital est la cause sous-jacente des émissions excessives de gaz à effet de serre et par conséquent du réchauffement planétaire et du changement climatique. De ce fait, un développement à faible émissions de carbone répond aux besoins en termes d’emplois décents et d’élimination du chômage. La question de la sécurité alimentaire doit être abordée de façon urgente et tous les Sud-Africains devraient avoir accès à une énergie propre, sûre et abordable. Le Cosatu rejette les mécanismes de marché visant à réduire les émissions de carbone et soutient que les pays développés doivent s’acquitter de leur dette climatique et que le Fonds Vert pour le Climat doit rendre des comptes. Enfin, une « transition juste » vers une société à faible émission carbonique et résiliente aux changements climatiques est nécessaire.

Différentes interprétations d’une transition juste vers une société à faible émissions de carbone : Changement de paradigme ou changement de régime ?

Alors que le discours basé sur la notion de capital prône la croissance, la compétitivité et l’efficacité, le mouvement syndical s’accorde sur cette notion de ‘transition juste’. Cependant, un point litigieux subsiste entre les syndicalistes quant au contenu substantiel que couvre la notion de ‘transition juste’. Tandis que le CSI parle de ‘changement de paradigme’, certains militants du Syndicat des Travailleurs Municipaux Sud-Africains (Samwu), membre affilié du Cosatu, évoquent un ‘changement de régime’. Alors qu’un ‘changement de paradigme’ implique simplement un changement des mentalités face au problème, ce qui pourrait s’avérer très ‘simple’ ou minimaliste, un ‘changement de régime’ requiert quant à lui une transformation fondamentale du mode de distribution du pouvoir et des ressources et de la façon dont l’activité économique est réglementée et contrôlée.

Nous pouvons aborder cette notion d’une ‘transition juste’ à partir de deux approches :

(i) La position minimaliste recommande un changement réformiste superficiel avec des emplois verts, une protection sociale, la réinsertion et la concertation. Le discours est défensif et se concentre sur la protection des intérêts des travailleurs vulnérables.

(ii) Une solution alternative à une transition juste impliquerait de profonds changements ; une autre voie de croissance économique et de nouveaux modes de production et de consommation.

Lorsque l’on compare les deux énoncés, la différence saute aux yeux : examinons tout d’abord la position prise dans le cadre des ‘Accords de Caucun’, formulée lors de la Conférence des Parties (COP 16 en 2010), qui stipule qu’une transition juste veut dire mettre l’accent sur “…l’importance d’éviter ou limiter les incidences négatives des mesures envisagées sur les secteurs économique et social, de promouvoir une transition juste pour la population active, de créer des formes de travail décentes et des emplois de qualité, en accord avec les priorités et les stratégies de développement définies au plan national, et de contribuer à développer des capacités nouvelles pour les emplois liés aussi bien à la production qu’aux services dans tous les secteurs, en favorisant la croissance économique et le développement durable.”

En revanche, le discours du Samwu, membre affilié du Cosatu, diverge très nettement, comme on peut le voir au travers de ses réactions à l’encontre du Livre Vert exposant la réponse du gouvernement Sud-Africain aux changements climatiques, rédigé en février 2011, qui précisent que “lutter contre les émissions de gaz à effet de serre ne relève pas simplement d’un problème technique ou technologique. Ce processus requiert une transformation fondamentale au niveau économique et social afin de modifier de façon substantielle les modes de production et de consommation actuels.”

Le cadre stratégique adopté du Cosatu définit une transition juste comme suit : “Les faits montrent que le passage à une économie à faible teneur en carbone créera potentiellement plus d’emplois qu’il n’en supprimera. Mais nous devons faire campagne pour la protection et le soutien des travailleurs dont les emplois ou les moyens de subsistance pourraient se voir menacés par la transition. Si nous ne le faisons pas, alors faisons-le, ensuite ces ouvriers s’opposeront au changement. Nous devons également nous assurer que le développement des nouvelles industries propres ne constitue pas une opportunité pour baisser les salaires et les avantages sociaux. La création d’emplois respectueux de l’environnement nous donne l’occasion de corriger de nombreux déséquilibres de genre au niveau de l’emploi et des compétences. La combinaison de ces facteurs aboutit à ce que nous qualifions de transition juste.”

Le cadre stratégique se poursuit en ces termes, “La Transition Juste est un concept que le Cosatu s’est employé à soutenir dans le cadre des engagements relatifs au changement climatique menés par le CSI au plan mondial. Les exigences fondamentales d’une Transition Juste sont :

  • L’investissement dans des activités respectueuses de l’environnement qui créent des emplois décents offrant des salaires permettant de subsister, qui satisfont aux normes de santé et de sécurité, qui œuvrent pour l’égalité des sexes et qui sont garantis
  • La mise en place d’un cadre global de protection sociale (retraites, assurance chômage etc.) afin de protéger les plus vulnérables ;
  • La mise en place d’un programme de recherches sur les répercussions des changements climatiques sur l’emploi et les moyens de subsistance afin de mieux guider les politiques sociales ;
  • Le développement des compétences et la reconversion des travailleurs afin de leur permettre de s’intégrer dans le nouveau modèle de développement économique à faible émission de carbone ;

La question est : ces exigences, certes nécessaires, sont-elles suffisantes pour une transition juste ? Les membres affiliés du Cosatu donneront une interprétation très différente du concept comme peut-être le Syndicat National des Travailleurs des Mines, les plus menacés par les changements envisagés.

Conclusion

Personne ne peut à présent nier la gravité de la crise environnementale, ‘mais elle n’est pas encore assimilée à une crise capitalistique, c’est-à-dire une crise résultant de, et perpétuée par, la domination du capital, et qui ne peut donc trouver un dénouement dans un cadre capitaliste’ (Wallis, 2010). En ce sens, la crise climatique donne l’opportunité aux travailleurs de promouvoir une conception différente de la notion de ‘transition juste vers une économie à faible teneur en carbone’ et de mobiliser autour de nouvelles voies de développement économique.

Jacklyn Cock est professeure émérite du Département de Sociologie de l’Université de Witwatersrand et agrégée de recherche honoraire au Society, Work and Development (SWOP) Institute. Elle a publié de nombreux ouvrages sur la militarisation, le genre et l’environnement en Afrique du Sud. Son dernier livre s’intitule The War Against Ourselves. Nature, Power and Justice (La Guerre Contre Nous-Mêmes. La Nature, le Pouvoir et la Justice). (Johannesburg : Editeur Wits University Press, 2007).

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Cet article est paru dans le Global Labour Column.

Il a été traduit par Marielle Brehonnet, traductrice bénévole de ritimo

L’article est disponible en anglais Contesting a ‘just transition to a low carbon economy’

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