La religion : une composante clef de l’identité communautaire
Le clivage religieux (entre la majorité cingalaise bouddhiste et la minorité tamoule hindouiste) n’a pas toujours existé. Dans l’Antiquité, nombre de Tamouls étaient bouddhistes alors que les Cingalais révéraient les divinités hindoues (certains le font encore).
Le bouddhisme [1], religion la plus répandue, est religion d’Etat depuis 1972. Avec le temps, le bouddhisme devint le soubassement de la culture et de la civilisation cingalaise.
L’hindouisme est la religion pratiquée par la majorité des Tamouls. C’est une religion polythéiste.
L’islam a été introduit dans l’île à la faveur du commerce. La communauté musulmane sri lankaise est issue d’immigrants kéralais (le Kerala est un Etat du sud-ouest de l’Inde) et arabes, appelés « Maures » par les colonisateurs et « Marakkal » par les insulaires. Les musulmans forment une entité distincte, que l’on explique par l’extrême orthodoxie de leur tradition sunnite. La plupart sont des cultivateurs, établis au nord-ouest et à l’est de l’île. Les autres, installés dans le centre et le sud-ouest, jouent un rôle important en tant que commerçants ; ils ont un niveau de vie élevé et jouissent d’une influence politique considérable. Les musulmans sont hostiles à la partition du pays. Ils redoutent de se retrouver minoritaires dans un territoire dominé par les Tamouls. Certains réclament un foyer islamique autonome dans la province orientale.
Le christianisme a d’abord été introduit par des commerçants syriens au VIème siècle, comme en témoigne une église découverte dans la région d’Anouradhapoura. Avec l’arrivée des Portugais, un grand nombre de Tamouls se sont convertis au catholicisme tout en gardant leurs traditions. Les catholiques présents actuellement sur l’île sont issus en majorité de castes de pêcheurs d’origine sud-indienne. Les deux tiers s’identifient aux Cingalais et l’autre tiers aux Tamouls. Après avoir pendant longtemps été dirigée par des prélats conservateurs, l’Eglise catholique vit mal ces divisions, ainsi que la condamnation par Rome de prêtres proches des positions de la Théologie de la libération [2].
Castes et représentations religieuses et ethniques
A la différence de l’Inde, l’identité de caste est plus ou moins taboue. Son système hiérarchique n’est reconnu ni dans l’idéologie bouddhique ni par les institutions socio-politiques de Sri Lanka ; chez les Tamouls, il est combattu par les séparatistes. Néanmoins, encore récemment, le statut d’une famille se mesurait à sa caste, au prestige de ses alliances et à sa solidarité interne, plutôt qu’à la superficie des terres. L’immigration récente, dans les pays du Golfe notamment, a toutefois modifié les processus d’ascension sociale et généré des situations de tension.
Aujourd’hui, les classifications officielles imposent aux Sri lankais de se définir comme Cingalais, Tamouls, « Maures » ou autres ; ces catégories, couramment qualifiées « d’ethniques » (le mot « race » est encore usité !), distinguent donc des communautés en fonction de critères linguistiques (ou religieux dans le cas des musulmans, mais non des chrétiens, cependant aussi nombreux). Le bouddhisme reste une composante essentielle de l’identité cingalaise alors que l’hindouisme, bien qu’il soit pratiqué par la majorité des Tamouls, n’a guère eu de part dans le sentiment identitaire qui a donné naissance au séparatisme.
De l’époque médiévale à la colonisation : la cohabitation
Dès le IIIème siècle, une concurrence très vive était apparue entre les deux religions dominantes. Pendant plusieurs siècles, les rivalités et affrontements entre les deux peuples furent récurrents, malgré une prééminence cingalaise affirmée. Du Vème au VIIIème siècle, avec l’appui des dynasties de l’actuel Tamil Nadu [3] (Chola, Pândia et Pallava), une culture tamoule se développa, notamment dans la péninsule de Jaffna, se distinguant de la culture cingalaise sur les plans linguistique, religieux et social.
En 1505, les Portugais mettent le pied dans l’île mais ils durent attendre 1619 pour parvenir à s’emparer de Jaffna. Ils introduisirent le christianisme sous sa forme catholique romaine ainsi que l’usage de leur langue, qui devint la langue de communication de l’Asie maritime. Les Hollandais, qui avaient fait leur entrée dans l’île en 1568, finirent par supplanter définitivement les Portugais en 1668. On leur doit un système juridique dérivé du droit romain, laissant parallèlement subsister des droits coutumiers propres aux hindous et aux musulmans.
L’année 1796 marque la mainmise britannique sur les possessions hollandaises. La séparation entre zones tamoule et cingalaise fut maintenue, les autorités s’ingéniant souvent à favoriser les minorités musulmane et tamoule, ce qui allait se payer cher des décennies plus tard. Les dirigeants cingalais se sont alors repliés dans le centre montagneux de l’île où ils fondèrent le royaume de Kandy, avec la ville du même nom comme capitale. Préservant leur indépendance avec acharnement, ils échappèrent à la domination étrangère jusqu’en 1815, conservant des traits hérités de la civilisation ancienne. A partir de 1840, se développa le système de plantations, l’exploitation du café remplaçant celle de la cannelle. Les Britanniques firent alors appel à des travailleurs saisonniers : Tamouls insulaires des basses classes et Tamouls indiens (parias) de l’Inde du Sud. Le thé et le cocotier, vers 1880, puis l’hévéa, vers 1900, remplacèrent le café, sujet aux maladies ; pour ces cultures, qui nécessitaient une main d’œuvre résidant sur place, on employa les Tamouls indiens, les utilisant pour toutes sortes de travaux pénibles, tels que la construction des routes et des voies ferrées. Un prolétariat misérable occupa ainsi une nouvelle place dans la société de l’île, en particulier dans la région des Hautes terres.
Le poids des moines bouddhistes
Après l’indépendance, les nationalistes cingalais ont soutenu que l’organisation du Sangha [4] représentait un prototype de modèle démocratique, antérieur et supérieur aux modèles européens. En 1972, ils ont obtenu que le statut privilégié du bouddhisme soit reconnu par la Constitution.
Au cours des années 1980, des moines influents ont imaginé un système politique sans parti, avec un gouvernement s’appuyant sur des assemblées villageoises et agissant sur les conseils des moines et des savants. Sous le mandat du président Premadasa, assassiné en 1993, premier chef d’Etat sri lankais issu d’une caste inférieure et ayant reçu une éducation strictement bouddhiste, les références au modèle démocratique occidental ont été évacuées, au profit d’une approche valorisant la « pensée nationale ».