L’accaparement des terres, une nouvelle forme de colonisation ?

Quelles résistances à l’accaparement des terres ?

, par CIIP

Les traditions de luttes paysannes, bien présentes dans la mémoire culturelle des sociétés rurales, souvent très présentes également dans l’héritage des luttes nationales, fournissent, parfois symboliquement, des schémas de pensée, des catégories revendicatives et des formes d’action aux peuples d’aujourd’hui.
Mais les générations actuelles découvrent et expérimentent des formes nouvelles de résistance.

Les formes de résistance ancrées sur l’héritage culturel et l’expérience historique

L’histoire des sociétés paysannes est une suite de périodes de résistances et de révoltes violemment réprimées, dans un contexte de représentations idéologiques et religieuses visant à garantir à la fois leur survie et leur sujétion. Les traditions des sociétés paysannes reflètent ce contexte historique et cet esprit de révolte.

Les diverses formes de lutte pour un libre accès ä la terre et aux autres facteurs de production nécessaires aux paysans sont souvent liées aux luttes pour les libertés et ont nourri toute l’histoire des réformes agraires depuis l’Antiquité.

On retrouve aujourd’hui cet héritage dans les mouvements de paysans en Inde et dans les actions du Mouvement des Sans Terre brésilien, devenu un des plus puissants mouvements sociaux pour la réalisation de la réforme agraire en Amérique du Sud par exemple.

Les formes nouvelles de résistance

On observe l’émergence de mouvements de résistance qui s’organisent à des niveaux beaucoup plus élevés qu’autrefois : désormais ils ne se manifestent plus seulement au niveau local, mais aussi au niveau des nations, des ensembles régionaux, au niveau des continents et à l’échelle internationale.

Citons seulement la réunion du "Forum des peuples" intitulé "People’s Food Sovereignty Now !" parallèlement au sommet de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) sur la sécurité alimentaire à Rome, du 13 au 17 novembre 2009. Ce forum a rassemblé 400 délégués d’un grand nombre d’organisations de paysans, pasteurs, pêcheurs venus du monde entier. Dans sa déclaration finale, il condamne notamment l’accaparement des terres par certains États et par les firmes multinationales, et déclare que la souveraineté alimentaire ne peut reposer que sur l’accès des paysans à la terre, aux ressources naturelles, aux semences et à la biodiversité.

Autre exemple, la Via Campesina, réseau mondial de mouvements paysans, a réussi à élaborer une plate-forme de revendications et d’actions cohérente.

Ces mouvements paysans de résistance ont la capacité de converger avec d’autres mouvements de la société civile : ceux qui se préoccupent de la qualité sanitaire et gustative des aliments, ceux qui luttent contre la pollution des sols, de l’eau et de l’atmosphère, et enfin ceux qui résistent à la violation des droits de l’Homme et du code du travail.

C’est pourquoi les risques politiques pris par les chefs d’Etat qui se compromettent avec les accapareurs sont réels.

A Madagascar, qui dispose de 2,5 millions d’ha de terres cultivables, le trust sud-coréen Daewoo avait annoncé en 2008 un accord avec le Président pour disposer pendant 99 ans de 1,3 million d’hectares. Cette nouvelle a joué un rôle de détonateur lors de l’insurrection qui a renversé le chef de l’Etat et son successeur a dû se prononcer pour l’annulation de l’accord passé avec les Sud-Coréens. Pour le directeur de la FAO Jacques Diouf, il s’agissait d’un "pacte néocolonial pour la fourniture de matières premières sans valeur ajoutée dans le pays producteur".

Notons que les agences des Nations Unies réagissent à l’élargissement de ces résistances. Si la Banque Mondiale et le FMI sont des soutiens actifs de l’accaparement des terres, d’autres comme la FAO, et la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) cherchent à élaborer des conditionnalités pour atténuer leurs dangers les plus évidents et faire croire à la possibilité de contrats "gagnants-gagnants“ ; d’autres encore, comme le Rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter, conditionnent ces transactions foncières au respect de principes stricts (accord des communautés rurales, maintien de l’agrobiologie et sauvegarde de l’environnement) dont l’application conduirait pratiquement à leur interdiction.

Les oppositions à l’accaparement des terres cultivables qui s’expriment dans le monde entier marquent donc des points à ce niveau.

Enfin il faut aussi rappeler que cette convergence de plusieurs formes de résistance se montre capable de déboucher sur des bouleversements profonds au niveau national, comme dans plusieurs pays d’Amérique du Sud : Cuba, Venezuela, Bolivie, Équateur par exemple.

Dans ces pays, des changements politiques au niveau de l’opinion publique, des lois constitutionnelles et des institutions étatiques ouvrent de réelles possibilités de mettre en échec l’appropriation privée de surfaces immenses de terres et de forêts, et par conséquent d’exclure toute possibilité d’accaparement des terres cultivables par les opérateurs des marchés financiers mondialisés.