Portugal : la santé souffre de l’austérité

, par Outras Palavras , FILHO Antonio

L’article a été traduit du portugais au français par Eva Champion, et relu par Jean-Luc Pelletier, traducteurs bénévoles à Ritimo. Retrouvez l’article en portugais sur le site d’Outras Palavras.

Touché par les réductions budgétaires, les prélèvements liés aux services et la réduction du salaire des fonctionnaires, le secteur fait face à une révolte de la population laissée pour compte.

LISBONNE (Portugal) – En ces temps de réduction générale des dépenses et de mesures d’austérité imposées par la troïka (Banque Centrale Européenne, Union Européenne et FMI-Fonds Monétaire International), la fonction publique est une des principales victimes. Au Portugal, les fonctionnaires sont entre deux feux : d’un côté le gouvernement a annoncé l’augmentation de la journée de travail et la réduction des avantages (les primes de congés payés ou de Noël ont déjà été supprimées « temporairement »), ainsi que le non-remplacement des postes laissés vacants suite aux départs en retraite ; d’un autre côté les usagers, toujours plus dans le besoin, deviennent agressifs dans leurs revendications pour un service de qualité, et les cas d’agression et de vandalisme deviennent fréquents.

Cette réalité est encore plus visible dans le secteur de la santé, car celui-ci a été précarisé par le gouvernement, et touche plus directement les personnes dans une période où ces services connaissent une forte demande. Rien que dans les districts judiciaires de Lisbonne et Évora, on enregistre, ces deux dernières années, 51 plaintes déposées par des médecins, des infirmiers et des infirmières, sachant que le nombre de cas est bien plus élevé, car la bureaucratie, les frais judiciaires et la lenteur des procédures ont démotivé une grande partie des victimes ayant lancé une action en justice.

Le gouvernement a déjà augmenté le « ticket modérateur », [la partie des dépenses de santé à la charge du patient] même dans les hôpitaux et centres de santé rattachés au Serviço Nacional de Saúde (Service National de la Santé), tout en réduisant au moins de 200 millions d’euros sa contribution aux conventions et aux accords. De nos jours, certains usagers paient deux fois plus qu’il y a un an pour des examens, des consultations, voire même pour une urgence. Afin d’atténuer la portée de ce problème, le ministre de la Santé, Paulo Macedo, a annoncé des mesures ponctuelles favorisant les clients : les patients ayant des traitements de longue durée, comme une hémodialyse ou une chimiothérapie, n’auront plus à payer le transport en ambulance jusqu’à leur centre de soins...

Mais le ministre a clairement laissé entendre que le Serviço Nacional de Saúde « n’était pas viable » car trop endetté, sans compter que de nombreux fournisseurs ont suspendu leurs activités pour défaut de paiement. M. Macedo a appelé les professionnels de la santé à continuer à garantir des critères élevés de qualité pour compenser la pénurie des ressources en cette époque d’« urgence nationale ».

Manuel Lemos, le président de l’association portugaise União das Misericórdias Portuguesas, qui rassemble des centaines de Santas Casas [associations caritatives], a déclaré il y a quelques jours que le ministère ne satisfaisait pas à ses obligations. Ce responsable a affirmé que le gouvernement devait entre 35 et 40 millions d’euros à ces organisations, et qu’au moins un tiers de cette somme devrait être versé immédiatement, sous peine de risquer une « baisse brutale de la couverture sociale du pays ». Certaines Santas Casas avaient envisagé de couper le chauffage dans le local où se trouvaient les malades car elles n’étaient pas en mesure de payer les fournisseurs.

Les usagers des services publics se désintéressent complètement des explications techniques, et se retournent contre les personnes les plus proches : les fonctionnaires chargés des premiers soins. On a déjà pu constater des cas d’agressions physiques, comme celle d’une infirmière de l’hôpital San Bernardo à Setúbal, à qui on a tordu le poignet alors qu’elle essayait d’administrer un sédatif à un patient très agité ; cela a entraîné pour elle deux mois de kinésithérapie et des douleurs qui persistent, portant préjudice à son travail.

La situation effraie tant les professionnels de la santé, que le Sindicato Independente dos Médicos (Syndicat Indépendant des Médecins) demande que s’applique au secteur médical une loi déjà en vigueur pour lutter contre les hooligans du football. De la même façon que ces derniers sont empêchés d’accéder au stade lorsqu’ils sont pris dans des bagarres, les patients attaquant les fonctionnaires se verraient interdire l’accès aux soins dans le secteur public, propose Jorge Roque da Cunha, secrétaire général de l’organisation. Il affirme également que l’État manipule les médecins en leur faisant faire des heures supplémentaires, réduisant ainsi le salaire de base de leur catégorie, ce qui aboutit à une baisse de la qualité des services.

Bien que les agressions soient plus importantes dans le secteur de la santé, elles concernent également des fonctionnaires d’autres secteurs, notamment ceux liés aux services répondant aux besoins immédiats des citoyens. Dans le quartier d’Areeiro [à Lisbonne], un jeune homme de 24 ans, menacé de perdre une bourse d’études qu’il avait obtenue il y a deux ans, a atteint une situation tellement désespérée qu’un matin, il se mit dans la queue habituelle, tira des pinces de sa poche et, calmement, coupa les câbles de tous les ordinateurs situés devant lui. Sept machines furent touchées avant qu’il finisse par être arrêté. « Je voulais simplement attirer l’attention d’un responsable pour qu’il étudie mon dossier avec un peu de respect », déclara-t-il.

On peut également noter le cas de ce fonctionnaire des Finances, violemment agressé alors qu’il était en train de photographier une maison sur le point d’être saisie. Innombrables sont les cas de destruction de portes, de vitrines, de guichets, de téléphones et d’ordinateurs par des usagers indignés de voir que leurs besoins ne sont pas pris en charge par les services publics.

João Cardoso Rosas, professeur d’éthique et de philosophie politique à l’Universidade do Minho, explique que les « cas d’agression et de vandalisme public sont seulement une forme plus radicale de participation ou de protestation informelle. Il est évident que cela relève de la criminalité, mais il serait stupide de fermer les yeux et de ne pas voir qu’il existe également une motivation politique ».