Promotion des DESC dans le secteur de l’artisanat au Mali

PAPDESC (2005-2014) : bilan, conclusion et perspectives

, par TDHF

Neuf ans après son lancement par GUAMINA et TDHF, le PAPDESC s’est clôturé en mars 2014. Quel bilan tirer de cette expérience ?

Le PAPDESC, ce sont plus de 3 200 artisans formés aux droits économiques, sociaux et culturels et aux méthodes de revendication et d’exigibilité de ces droits, ce sont aussi 50 élus locaux et 80 cadres de l’administration sensibilisés et responsabilisés en la matière. Le PAPDESC, c’est encore 11 Chambres de Métiers redynamisées et autant de comités DESC mis en place en leur sein, formés et mobilisés. C’est aussi une mise en réseau de ces comités et la mise en place de liens étroits de collaboration et de partenariat entre les principaux acteurs du secteur de l’artisanat au Mali, des liens que le programme est parvenu à renforcer et à consolider.

Mais le PAPDESC, c’est aussi et avant tout un profond changement de mentalité, un réel éveil des consciences, comme l’explique Madani Koumaré, chargé de programme chez GUAMINA : « Nous avons vu une évolution progressive mais fondamentale au niveau des artisans avec lesquels nous travaillons, une réelle prise de confiance. Au lancement du programme, les artisans ne savaient pas qu’ils avaient des droits, ils n’avaient pas conscience de leur importance pour la société et l’économie de notre pays. Ils ne se considéraient pas et, en quelque sorte, ils se marginalisaient eux-mêmes. Mais aujourd’hui, quand vous entendez parler les artisans et les membres des comités DESC, quand vous suivez la manière dont ils interpellent les autorités sur toute une série de dossiers parfois sensibles, vous comprenez qu’il y a un réel changement. S’il y avait auparavant une sorte de complexe, il a disparu en grande partie. Les artisans savent qu’ils sont incontournables, qu’ils sont une force vive et cela a permis de leur redonner confiance en l’avenir ».

Une analyse que partage Elmehdi Ag Hamaty, secrétaire général du ministère de l’Artisanat et du Tourisme : « Le changement est radical, je vous donne l’exemple de la formation : nos artisans encadrent depuis toujours les jeunes, les apprentis, mais avant, cela se faisait de manière traditionnelle, c’était mal organisé et peu valorisé. Aujourd’hui, grâce à l’appui de nos partenaires et notamment de GUAMINA, tout cela a changé. Les artisans ont pris conscience de leur rôle, de leur potentiel, de leurs responsabilités aussi. Certains organisent de véritables centres de formation au sein de leurs entreprises, il y a une forte mobilisation et une forte professionnalisation, c’est essentiel et très encourageant. »

La défense et la revendication des droits : un puissant vecteur de développement de l’activité et du secteur de l’artisanat

La mise en œuvre dès 2005 d’un programme essentiellement axé sur la défense des droits constitua tout autant une innovation dans le contexte malien qu’un tournant stratégique important pour GUAMINA et son partenaire TDHF.

Il ne s’agissait donc plus « d’offrir » une série de services aux artisans, notamment en matière de formation professionnelle, mais bien de les mobiliser et de les organiser afin qu’ils exigent eux-mêmes de l’État la mise en place des politiques et des programmes nécessaires au développement du secteur ainsi que le respect de ses engagements, notamment internationaux, en matière de protection et de respect des droits dont les artisans sont titulaires.

Si cette approche permit l’éveil des consciences évoqué plus haut, elle eut également des effets directs, pratiques et concrets sur les conditions de vie et de travail des artisans, sur le développement de leurs activités et des revenus qu’ils en tirent.

Les comités DESC mis en place au sein des Chambres de Métiers, formés et encadrés au quotidien par GUAMINA et ses partenaires ont ainsi mené de nombreux combats localement, dans leur commune et leur région, au nom et dans l’intérêt des artisans qu’ils représentent et ce, souvent avec succès, comme les fiches de capitalisation 4 à 7 l’expliquent de manière détaillée.

Sur la question de l’accès aux parcelles et de la sécurisation foncière des artisans - conditions indispensables du développement durable de leurs activités - certains comités ont contribué à la mise en place par les autorités de sites de production réservés aux artisans, ont permis à plusieurs centaines d’entre eux d’obtenir des titres fonciers définitifs ou provisoires sur les parcelles qu’ils occupaient « illégalement », souvent depuis de très nombreuses années ou ont encore lutté avec acharnement, comme ce fut le cas dans la commune III de Bamako, pour la réinstallation de ceux que les autorités avaient chassés de leurs ateliers, les privant ainsi de tout moyen de subsistance. (Voir à ce sujet le témoignage de Fassoun Doumbia dans la fiche n° 5)

Autre dossier sensible pour les comités DESC : les impôts et une fiscalité jugée souvent arbitraire, excessive et inadaptée aux capacités des petites entreprises artisanales. Là encore, leurs actions et les nombreuses négociations menées individuellement et/ou collectivement ont eu des effets importants, limitant souvent de manière significative le poids de cette fiscalité sur l’activité des artisans, sur sa rentabilité et son développement. Ces succès, en matière de réduction d’impôts, d’harmonisation des taxes ou encore de suppression des pénalités infligées aux artisans par l’administration fiscale ont été présentés dans la fiche n° 4. Et le témoignage de Doumbia Syla, couturière dans la commune III de Bamako, en a illustré toute l’importance.

Dans les régions, à Koulikoro, Ségou, Mopti, Kayes et Sikasso, le PAPDESC s’est également concentré sur le droit des artisans à la participation dans la prise de décision et ce, dans le contexte d’une décentralisation qui, après des années d’immobilisme, semble à nouveau à l’ordre du jour des autorités maliennes. Plusieurs cycles de formation ont été organisés et, comme le cas de Ségou l’a montré (voir la fiche n° 6), ces formations ont eu pour conséquences l’implication directe de certaines associations d’artisans dans l’élaboration des plans de développement communaux ainsi que dans les processus de validation des budgets locaux… des plans et des budgets ayant donc, grâce à l’intervention des comités DESC, intégré les priorités définies par les artisans et leur structures de représentation.

Enfin, le témoignage de Cheick Sidibé (voir la fiche n° 7) a permis de mettre en évidence toute l’importance de l’accès aux marchés publics pour le développement de l’activité artisanale et d’illustrer au travers de son expérience personnelle la manière dont les formations organisées dans le cadre du PAPDESC ont également renforcé la volonté et la capacité des artisans à s’imposer dans les processus de passation et d’octroi de ce type de marchés.

Si tous ces exemples attestent de la capacité des comités DESC à peser au sein de leur environnement institutionnel et à l’influencer en faveur des artisans qu’ils représentent, ils montrent également tout le potentiel d’une approche basée sur les droits.

C’est ce que résume Souleymane Dembélé, coordinateur général de GUAMINA : « L’expérience du PAPDESC nous a édifiés. Cela vaut pour les artisans, mais c’est vrai dans tous les domaines : pour le changement, nous avons besoin d’une société civile forte, revendicatrice, il faut s’organiser pour défendre nos droits.
C’est seulement comme ça que l’on peut responsabiliser nos États de manière autonome et réellement durable. C’est cela le vrai combat ».

Le PAPDESC : une approche multi-acteurs, multi-niveaux et des mises en réseau pour la défense des droits des artisans

GUAMINA est parvenue à mobiliser les principaux acteurs du secteur de l’artisanat et à les impliquer activement et directement dans la mise en œuvre du PAPDESC. C’est l’une de ses principales forces.

« Nous sommes une ONG locale, nos moyens sont limités », explique Madani Koumaré. « Il existe au Mali de grandes structures de représentation des artisans, la FNAM et l’APCMM notamment, il fallait absolument qu’elles portent le programme, qu’elles se l’approprient. Sans cela, notre impact serait resté très limité. » Et de fait, dès le lancement du programme, ces deux structures furent au cœur de la stratégie du PAPDESC. Le ciblage des Chambres de Métiers et la mise en place en leur sein des comités DESC se firent en accord et en étroite concertation avec l’APCMM, « une manière de capitaliser à la fois sur la présence sur le terrain, dans les communes et les quartiers, des chambres des métiers et de la capacité de l’APCMM à peser au niveau national sur les débats et les politiques qui encadrent le secteur de l’artisanat », ajoute Madani Koumaré.

Lors de différents cycles de formation (DESC, méthodes d’exigibilité, réseautage, etc.), des représentants des deux structures furent systématiquement impliqués.
Une formation spécifique sur le rôle et les responsabilités des élus consulaires et le mandat des deux organisations fut également organisée par GUAMINA à la demande de celles-ci, une formation particulièrement stratégique, comme l’explique Assitan Traoré, présidente de la Fédération Nationale des Artisans du Mali (FNAM) : « Les Chambres de Métiers étaient souvent désorganisées, il y avait un manque de confiance avec la base et peu de collaboration. Cette formation a permis de les redynamiser, de responsabiliser les élus consulaires et de les remettre au travail, au service des artisans. Puis, si au niveau national, la FNAM et l’APCMM collaborent depuis de nombreuses années, dans les régions ce n’était pas le cas. Il y avait une forme de concurrence. Mais avec la formation, ça a changé. Nos gens là-bas animent ensemble les comités DESC. Ils collaborent plus et mieux ».

Autre collaboration stratégique : celle entre GUAMINA et la COFPA, l’organisme créé par la FNAM et l’APCMM et chargé par les deux structures de l’organisation de la formation technique et professionnelle par l’apprentissage.

Forte du mandat de la COFPA, de sa légitimité et de sa présence sur le terrain, dans les différentes régions du Mali, GUAMINA a opté pour une approche de « faire faire ». Après avoir elle-même été formée aux DESC et outillée, c’est donc la COFPA - encadrée par GUAMINA - qui fut en charge de l’animation d’une part importante des 60 formations organisées dans le cadre du PAPDESC.

M. Sidibé, assistant technique à la COFPA, s’en souvient : « Les DESC, c’est une matière que nous ne maîtrisions pas, les formations que nous avons reçues ont été très utiles pour nous. Nous sommes devenus de véritables formateurs en la matière, notre expertise est maintenant reconnue. Le PAPDESC se termine, mais nous allons poursuivre cet effort et continuer à former nos artisans. C’est une bonne chose que GUAMINA nous ait impliqués. Nous pouvons maintenant prendre le relai. »
Et c’est là sans doute l’un des principaux acquis du programme : que ce soit au niveau de l’APCMM, de la FNAM, de la COFPA ou encore de l’UFAE avec laquelle GUAMINA collabore étroitement depuis de longues années (voir la fiche n° 8), les DESC sont rentrés dans le langage courant, dans les pratiques et les objectifs de ces différentes organisations.

Cette appropriation et cette forme d’institutionnalisation des approches promues par le PAPDESC ainsi que l’engagement de ces structures à poursuivre les efforts d’information, de sensibilisation et de mobilisation autour des DESC et de leur promotion, constituent l’un des gages de la durabilité de ce programme et de sa pérennisation.

Stratégie de sortie et perspectives de durabilité : vers une autonomisation des comités DESC

Dès 2011, la question de la stratégie de sortie du PAPDESC a été posée tant par GUAMINA que par son partenaire TDHF. Un objectif : renforcer les comités DESC, les organiser et les structurer en vue de leur progressive autonomisation. Un nouveau cycle de formation fut ainsi organisé à leur intention : dynamique associative, réseautage et gestion des alliances, planification stratégique, programmation et évaluation interne.

Dans la foulée de ces formations, les comités DESC ont tout d’abord développé - avec l’appui technique de GUAMINA - leurs plans d’actions et de plaidoyer. Madani Koumaré en explique l’intérêt : « Il fallait que les comités se fixent des objectifs, qu’ils les quantifient afin de pouvoir planifier leurs actions et d’en suivre les effets. Auparavant, ils naviguaient à l’aveuglette. Ces plans, ils les révisent chaque année, ça leur donne un cap. En termes de gestion, c’est essentiel ».

Autre acquis : la mise en réseau des comités DESC, un processus que leurs membres ont initié au sortir de ces formations. Une assemblée constituante fut convoquée, des statuts rédigés et une volonté clairement affirmée : échanger leurs expériences, apprendre les uns des autres et mener, lorsque c’est nécessaire, des actions collectives comme ce fut le cas lors de l’élection présidentielle de 2013 (Voir l’encadré de la fiche n° 3).

Pour illustrer cet enjeu de l’autonomisation des comités DESC et clôturer ce rapport de capitalisation, nous donnons le mot de la fin à Assoumane Diarra, membre de l’un des comités : « Nous revenons de loin », explique-t-il. « Ça a pris du temps, mais aujourd’hui les comités sont prêts. Grâce à GUAMINA nous avons les outils, la crédibilité et avons accumulé les expériences. Nous avons appris de ces expériences et, si nous voulons évidemment rester en contact avec GUAMINA, nous sommes maintenant capables de voler de nos propres ailes pour créer une véritable dynamique de défense des DESC et surtout l’étendre aux régions du Nord qui n’ont pas encore été assez ciblées. C’est notre nouveau défi… ».