L’Organisation Mondiale du Commerce : Le retour en force

Organisation Mondiale du Commerce : Les raisons de l’impasse

, par CLOC/Via Campesina , MALIG Mary Louise

L’article a été relu de l’anglais au français par Pierre Bourgeois, traducteur bénévole à Ritimo. Retrouvez l’article original The Return of the WTO : Why the 9th Ministerial and the Bali package threaten the people and the planet

Du 3 au 6 décembre 2013 a lieu la 9ème conférence ministérielle de l’OMC à Bali (Indonésie). Voici l’analyse d’une des représentantes de la Via Campesina, Mary Louise Malig (NDLR).

La véritable raison de l’impasse du cycle de négociations de Doha

En 1995, l’OMC a été créé avec la promesse d’amener de la discipline dans le secteur agricole. L’Accord sur l’agriculture (AoA en anglais) était révolutionnaire parce que pour la première fois, il y avait des accords multilatéraux couvrant le secteur dans son ensemble et la promesse aux pays en développement que ces accords mettraient fin aux subventions à l’agriculture des États-Unis et de l’Union européenne qui faussent les échanges commerciaux.

Toutefois, à travers diverses failles dans l’Accord agricole, les États-Unis et l’Union européenne sont parvenus à augmenter leurs subventions, au lieu de les diminuer, continuant ainsi le « dumping » des denrées agricoles bon marché et détruisant les emplois des petits paysans dans les pays en développement.

Le cycle de Doha sur le développement était une tentative d’élargir les négociations de l’OMC, provoquant l’illusion que ces subventions allaient être encadrées et permettre l’accès aux marchés pour les agriculteurs des pays en développement, notamment pour le marché du coton.

La Déclaration de Hong Kong affirmait que 2013 allait être la date limite pour mettre fin aux subventions des exportations et qu’il allait y avoir un accès au libre-échange hors taxes et sans quotas pour les producteurs de coton. Et depuis, toujours rien. C’est la véritable raison de l’impasse.

Les pays développés demeurent intransigeants dans leurs pratiques, tout en espérant de plus en plus de concessions de la part des pays en développement. Qui plus est, la promesse des États-Unis et de l’Union européenne d’encadrer les subventions massives était en fait un mensonge. Le but réel de l’Accord agricole étant d’avoir la mainmise sur les marchés agricoles des pays en développement, tout en contrôlant leur gouvernement et en limitant leur marge politique.

Le paysage transformé de l’économie et de la politique

La crise mondiale de 2008 a modifié le panorama économique et politique. Les centres du capitalisme - les États-Unis et l’Union européenne - ont été les plus durement touchés et ils n’ont pas encore complètement récupéré. Leur croissance a ralenti considérablement et leur taux de chômage a atteint des niveaux records. En se rendant compte qu’ils avaient besoin des marchés en croissance des principales économies émergentes ou bien des pays en développement pour les sauver de la ruine financière et économique, les États-Unis, l’Union européenne et d’autres pays développés ont convoqué le premier meeting des chefs d’État du G-20 en novembre 2008, amenant en réalité au sein du « club des plus forts » qu’était le G-8, les principaux pays émergents, à savoir, le Brésil, l’Inde, la Chine, l’Indonésie, l’Argentine et l’Afrique du Sud. 

G 20 de Cannes en 2011

Quasiment de la même manière, le groupe des pays nouvellement développés s’est étendu aux pays nouvellement industrialisés des BRICS – le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, rejoint par l’Afrique du Sud en 2010. Autrement dit, le monde changeait et avec lui, les anciennes structures du pouvoir. Mais, comme la crise a continué, les principales économies émergentes ont commencé, elles aussi, à sentir les effets de la crise, causant une dévaluation de la monnaie et l’incertitude des marchés, ce qui ensuite a déstabilisé leur économie.
 
La solution qu’a trouvé le G-20 à cette crise était d’avoir davantage de libre-échange, en ouvrant la porte de l’OMC aux nouveaux territoires et l’ouverture de nouveaux marchés avec les nouveaux accords de libre-échange comme celui entre les États-Unis et l’Union européenne et le Pacte de Partenariat Transpacifique (TPP).
Ils agissent ainsi, non seulement pour sauver leurs économies de la crise mais aussi pour garantir un taux de profit en continu pour leurs multinationales, qui sont actuellement les bénéficiaires de l’expansion du libre-échange mondial. L’OMC elle-même l’admet, exposant en détail ce fait dans leur rapport récent : « Le commerce actuel est principalement sous le contrôle de quelques multinationales ».


Les structures de pouvoir modifiées à l’OMC

Anciennement à l’OMC, il y avait une structure de pouvoir particulière parmi les États. Le « Quad » était au sommet de cette structure et exerçait tout le pouvoir. Le « Groupe quadrilatéral » ou « le Quad » — les quatre puissances — était composé des États-Unis, de l’Union européenne, du Canada et du Japon. Les États-Unis et l’Union européenne se retrouvaient entre eux pour résoudre leurs plus grandes divergences. Ensuite, ils appelaient le Canada et le Japon, souvent avec la participation du Secrétariat de l’OMC, afin d’établir une position commune. Puis ils convoquaient une mini concertation ministérielle, un meeting non officiel et sur invitation uniquement, où les principaux pays en développement étaient invités et à qui on demandait d’accepter l’entente. Une fois la question posée aux autres membres de l’OMC, il n’y avait plus rien à négocier.
 
Toutefois, le changement du panorama économique mène aussi à un changement dans le panorama politique. Certains pays en développement plus puissants ne pouvaient être malmenés aussi facilement — le Brésil, l’Inde et l’Indonésie pour n’en citer que quelques-uns — ceux-là ont tous des économies en plein essor ; ils sont donc devenus incontournables. Les pays "nouvellement" développés rejetaient eux aussi les propositions des États-Unis et de l’Union européenne.

Cette nouvelle realpolitik se reflète dans la nouvelle OMC. L’élection de son nouveau directeur général est, en réalité, un résultat direct de ce panorama politique modifié. Selon des sources internes à l’OMC, la course pour le poste de nouveau directeur général était une compétition serrée entre les candidats du Mexique et du Brésil : le Mexique profitant de l’appui des États-Unis et du Royaume-Uni, l’Union européenne s’abstenant de prendre position, et les BRICS, les pays en développement qui constituent la majorité des membres de l’OMC ont accordé leur soutien à Roberto Azevedo du Brésil.
 
Résultat, le nouveau directeur général de l’OMC, Roberto Azevedo, qui a commencé le 1er septembre 2013, a beaucoup de soutien et de capital politique qu’il peut utiliser pour faire sortir les négociations de leur impasse actuelle. Cela pourrait aussi signifier que les principaux pays en développement montreraient désormais davantage d’empressement à s’entendre pour aboutir à un accord.
 
Mais en réalité, jamais les pays développés et en développement ne se sont affrontés ; car leurs multinationales ont - et continuent d’avoir dans les deux cas - des intérêts communs. 
 

Une autre manière de faire bouger les négociations de l’OMC

Il y a non seulement des changements dans les paysages économique et politique, mais il y a aussi un changement dans la manière dont évoluent les négociations à l’OMC. Le Bali Package est une manière de ratifier certains éléments du cycle des négociations de Doha, c’est aussi un tremplin pour le lancement de nouvelles négociations dans d’autres domaines, laissant ainsi tomber le fardeau qu’était devenu le cycle de Doha.

Parallèlement à ce changement, il y a des négociations multilatérales dans d’autres domaines de discussion comme les services. Selon certaines sources de l’OMC, il sera question de régler les principaux différends par des négociations plurilatérales d’abord, et mettre la pression par la suite, pour que l’affaire devienne multilatérale, et rendre le différend visible aux yeux de tous, non pas qu’à ceux qui étaient directement intéressés.


Les groupes

La lettre G veut dire « groupe » et le numéro représente généralement le nombre de pays appartenant à ce groupe. Des pays se regroupent sur différents thèmes, certains dans le but d’avoir une position de négociation plus forte, d’autres avec un but politique, financier ou économique à plus long terme.

Le G-90 est le plus grand bloc d’échange dans l’OMC numériquement, regroupant les pays en développement, les pays les plus pauvres et les pays les plus petits de l’OMC. Sont inclus le Groupe africain, caribéen et pacifique (ACP), l’Union de l’Afrique et les pays les moins développés (LDC).

Le G-33 est présidé par l’Indonésie, faisant partie d’un groupe de pays en développement incluant l’Inde, les Philippines et plusieurs autres, se composant pour la plupart des pays en développement avec une grande population de petits paysans. Ces pays étaient au premier plan pour proposer des mesures spécifiques pour les pays en développement dans le domaine de l’agriculture.

Le G-20 est présidé par le Brésil, le groupe s’étant formé juste avant la Concertation ministérielle de Cancún en 2003. Établi par le Brésil, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, ce bloc de pays en développement a pour préoccupation principale de conquérir réellement l’accès aux marchés des pays développés et de voir la fin des subventions d’exportation imposées par ceux-ci.

L’autre G-20 est différent des autres groupes de négociation formés à l’OMC parce qu’il fut formé dans un but politique, financier et économique à plus long terme. Il a regroupé des pays développés et en développement afin de discuter de questions politiques et financières clés dans l’économie mondiale.
Pour autant, il s’est donné le mandat de faire beaucoup plus que simplement discuter de finance globale. Il se rencontre annuellement pour décréter des directions politiques sur les questions de sécurité alimentaire, de sécurité énergétique, de changements climatiques, de commerce, d’emploi, de réduction de la pauvreté et de développement. Il s’est autoproclamé premier forum pour la coopération économique internationale.
Il y a de sérieux doutes sur sa légitimité à prendre des décisions au nom du reste du monde. Il est composé essentiellement du G-8 et de ses amis. Les 20 membres de ce groupe sont : l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Canada, la Chine, la France, l’Allemagne, l’Inde, l’Indonésie, l’Italie, la Mexique, la Russie, l’Arabie Saoudite, l’Afrique du Sud, la Corée, la Turquie, le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Union européenne. Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale participent aussi aux réunions du G-20, sur une base ex-officia.