OGMs : qui cultive, qu’est-ce qu’on cultive ?

OGM : de belles promesses humanitaires qui ne tiennent pas la route

, par Inf'OGM , NOISETTE Christophe

Pour « vendre » une innovation technologique, il faut mettre en avant une utilité sociale. Les plantes transgéniques actuellement sur le marché sont surtout des aides technologiques pour des agriculteurs « productiviste » : en effet, pouvoir tuer toutes les adventices sans menacer sa culture, ou certain insecte sans avoir à pulvériser d’insecticide, permet donc de réduire (du moins dans un premier temps …) le nombre de passages de tracteur. Ces « avantages » n’intéressent que peu les consommateurs et citoyens. Il fallait donc détourner l’attention en évoquant des bénéfices « humanitaires ». Ainsi, les promoteurs des plantes transgéniques n’ont jamais hésité à vanter mille et un mérite. Les promesses sont principalement de deux ordre : elles permettront de lutter contre la faim dans le monde et de rendre les plantes plus résilientes face au changement climatique.

La population mondiale pourrait atteindre 10 milliards d’habitants d’ici à 2050. Or les terres agricoles ne sont pas extensibles à l’infini, voire se détériorent ou sont grignoter par les activités urbaines et les infrastructures routières. Et les grandes puissances comme la Chine achète des terres agricoles dans certains pays où sévit la faim, comme au Soudan. Or si la faim a reculé dans les années 60 et 70, c’est aussi du fait de l’augmentation des terres cultivées. Donc, dans une vision simpliste, certains agronomes et entreprises considèrent qu’il faut cultiver plus de calories sur moins d’hectares ou réussir à utiliser les terres considérées comme impropres à l’agriculture. Ainsi, les plantes génétiquement modifiées (PGM) sont présentées comme une des solutions à la faim dans le monde : elles auraient un meilleur rendement que les plantes conventionnelles, et la transgenèse permettrait de créer des plantes capables de pousser dans des conditions pédo-climatiques difficiles, comme des sols salins, des zones de sécheresse, etc.

Mais la question des rendements est plus que controversée et les plantes qui poussent dans les déserts restent des promesses dont la réalisation n’est heureusement pas pour demain car elle serait catastrophique : les milieux non cultivés sont aussi des milieux riches en biodiversité. Cultiver et domestiquer l’ensemble de la Planète n’est pas un objectif louable.

La réalité est donc plus complexe et de nombreux observateurs au sein des organisations des Nations unies estiment que la faim dans le monde ne pourra être résolue avec une technologie miracle. La question de la faim est une question politique. Retour sur un des axes les plus importants du discours des partisans des biotechnologies végétales.

Les causes de la faim : guerre, gaspillage, exportations subventionnées, etc.

Une des premières causes de la faim reste la guerre et les conditions politiques difficiles. La géographie de la faim recoupe souvent la géographie des conflits armés. Ainsi au Kenya, les violences post-électorales de 2007 et 2008 « ont déplacé plus de 100 000 paysans de la Vallée du Rift, le grenier à blé du pays », et moins de la moitié des terres des principales régions productives ont pu être labourées ces années-là.

Autre cause : le gaspillage et les infrastructures défaillantes. Entre les champs et les assiettes, c’est plus de 50 % de la nourriture qui est perdue. Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), par exemple, cite le Niger où près de 60 % des oignons récoltés, soit près de 3000 tonnes, sont perdus chaque année.

Citons encore parmi les causes de la faim la consommation croissante de viande : 44 % des céréales produites servent actuellement à nourrir le bétail. Or, une calorie animale demande de trois à dix calories végétales pour être produite. De plus, le régime carné se développe dans de nombreux pays du Sud, comme la Chine qui importe annuellement des millions de tonnes de soja (transgénique) pour répondre à cette demande.

La faim touche l’ensemble des « pauvres », au Nord comme au Sud

La faim ne touche pas que les pays du Sud. Ou, pour le dire différemment, la faim touche une certaine population, au Nord, comme au Sud : ceux qui n’ont pas accès au marché alimentaire. La faim existe aux États-Unis, premier producteur d’OGM au monde. L’Inde où, en 2012, 217 millions de personnes souffrent de malnutrition (soit un quart de sa population), présente pourtant une balance commerciale agro-alimentaire excédentaire. Produire plus dans un contexte d’inégalité sociale ne permet pas de réduire la faim. Garantir une alimentation équilibrée est donc un enjeu politique.

Les PGM commercialisées ne sont pas « pensées » pour réduire la sous-nutrition

Les PGM actuellement sur le marché n’ont pas de lien direct avec la faim dans le monde. Elles ont été pensées pour faciliter le travail des grands agriculteurs. Par ailleurs, les principales PGM - soja, colza ou maïs - sont destinées aux mangeoires du bétail hors-sol des États-Unis, de l’Union européenne, du Japon, et maintenant de la Chine et de l’Inde. Quand elles ne sont pas mangées par les cochons et poulets, elles alimentent le réservoir des voitures ou sont utilisées dans la préparation des plats cuisinés (notamment la lécithine de soja qui se retrouve dans près de 60 % des produits transformés). Ces utilisations ne sont d’aucune aide pour les populations qui souffrent de la faim qui ne peuvent se payer de tels produits. Au contraire, elles mobilisent des terres et renchérissent le prix des céréales sur le marché mondial. Les émeutes de la faim en 2008 ont été provoquées, en partie, par une augmentation spectaculaire du prix des matières premières agricoles et cela notamment suite à l’augmentation des quantités de maïs utilisé comme agrocarburant.

Enfin, le modèle agronomique que sous-tendent les PGM est un modèle basé sur la chimie : pesticides et engrais. Les trois quarts des variétés transgéniques ont été génétiquement modifiées pour tolérer un ou plusieurs herbicides. Ces variétés n’ont d’intérêt que dans le cadre des grandes monocultures mécanisées. Il s’agit d’une minorité. Doit-elle prendre en charge l’alimentation mondiale ? Vouloir remplacer les petits producteurs « inefficaces » par des grandes fermes de cultures transgéniques industrielles, c’est nier le rôle joué par les petites agricultures dans l’entretien des agrosystèmes et la conservation in situ de la biodiversité. C’est aussi oublier que les petits paysans approvisionnent des circuits alimentaires informels particulièrement dans les régions rurales du Sud. Éliminer ces réseaux contribue à la perte d’une production non marchande. De nombreux ménages auront alors à acheter ce qu’ils produisaient habituellement et deviendront dépendants d’éventuels emplois rémunérés.

Des PGM coûteuses et brevetées

Étant donné la complexité des techniques mobilisées, les coûts des biotechnologies végétales ont considérablement augmenté. Les retours sur investissements ne peuvent être réalisés que sur des produits développés et vendus à très grande échelle.

De plus, les PGM sont des variétés brevetées. Le brevet est conçu pour faciliter ce retour sur investissement. Mais il empêche la sélection à la ferme et il oblige à racheter les semences annuellement. Le brevet est en soi un frein à la sécurité alimentaire. Si les OGM étaient réellement à but « humanitaire », aucun droit de propriété industrielle ne viendrait entraver leur libre circulation…

Promesse 2 : des plantes résilientes

Comme dans l’exemple précédent, nous retrouvons de façon intrinsèque aux OGM des éléments qui vont que ces plantes participent au déréglement climatique (ou à la faim) et sont donc loin d’être une solution durable à ces importantes questions. En effet, le système agro-alimentaire industriel, basé sur des monocultures, des élevages hors-sol, l’utilisation d’intrants chimiques, et désormais de plus en plus souvent sur des plantes génétiquement modifiées (PGM), est fortement émetteur de gaz à effet de serre. Les deux principales sources d’émissions d’origine agricole y sont directement liées : la production des engrais azotés et la perte de matière organique des sols (humus) qui stocke le carbone. De plus, étant données les sommes colossales qui ont été investies dans la privatisation des ressources génétiques et la fabrication de plantes transgéniques « Climate Ready », les entreprises semencières ont besoin de leur trouver un débouché. Elles misent aussi, pour cela, sur le marché du carbone agricole. Et les brevets déposés sur les « OGM Climat » (ou « Climate Ready ») interdiront justement aux paysans de ressemer une partie de leur récolte et d’échanger leurs semences, ce qui est en soi un élément important pour mettre au point des plantes résilientes. En effet, la résilience viendra au contraire de plantes sélectionnées par des paysans dans leur champs. La notion de « population » s’oppose en tout point au variété moderne de type hybrides ou OGM.

Premier point, fondamentale, jusqu’à présent, les PGM n’ont pas permis de de réduire les pulvérisations de pesticides. Les données disponibles montrent que si les pulvérisations diminuent dans un premier temps, rapidement, la courbe s’inverse. Pourquoi ? Dans les champs de PGM qui tolèrent un ou plusieurs herbicides (ex. le soja Roundup Ready), on observe au bout de quelques années l’apparition de plantes indésirables (adventices ou plantes férales) devenues résistantes à l’herbicide utilisé. Pour les plantes Bt, qui produisent un ou plusieurs insecticides, même schéma : les insectes cibles s’adaptent… ou des parasites autrefois mineurs prennent la place laissée vacante. Ceci relance alors le cycle des pulvérisations.

Deuxièmement, les plantes transgéniques ne permettent pas de mieux valoriser l’azote du sol, ce qui aurait en effet eu un impact positif sur le climat. Il existe des PGM nommées NUE pour « Nitrogen Use Efficiency ». Ce sont des variétés hybrides F1, sur le point d’être commercialisées et sélectionnées pour être cultivées selon les principes de l’agriculture industrielle. Donc la meilleure absorption des engrais azotés qu’elles permettraient ne compensera pas les émissions de gaz à effet de serre inhérentes à leur production. Il s’agit d’une fausse promesse… plus proche du greenwashing que d’une volonté de remettre en cause un système profondément polluant. En revanche, l’entreprise qui a mis au point ces variétés a d’ores et déjà demandé qu’elles soient classées comme technologie propre et de bénéficier des crédits carbones (dans le cadre du protocole de Kyoto).

Enfin, les promoteurs des OGM mettent en avant que les plantes Roundup Ready permettent de pratiquer le sans labour. Or, le labour des terres libère du carbone dans l’atmosphère. Ceci est tout à fait exagéré. En effet, premièrement, on peut pratiquer le sans labour sans plantes transgéniques.

Ensuite, le non labour pratiqué avec le soja Roundup Ready – comme en Argentine par exemple – ne permet pas de stocker du carbone pour plusieurs raisons. Cette culture a remplacé des prairies naturelles ou des forêts (dans ce cas, il y a perte de stockage de carbone). Elle s’est accompagnée d’une utilisation massive d’herbicides qui a permis de supprimer les rotations de culture. Ces pratiques ont eu un effet dramatique sur la biodiversité et le taux de matière organique vivante stockée dans les sols. La fertilité globale s’est réduite : il a fallu la compenser par plus d’intrants chimiques. Et l’absence de travail du sol n’est pas toujours le meilleur moyen de stocker plus de carbone. Une étude Inra / Arvalis « montre que le stockage de carbone a été similaire pour trois modes du travail du sol - labour annuel, travail superficiel et semis direct - au bout de 41 ans ».