République Démocratique du Congo : Une difficile reconstruction de l’Etat

Nord-Kivu : une guerre sans fin ?

, par Forum Réfugiés

Introduction

Le Nord-Kivu est une province congolaise située à l’est du pays, à la frontière avec le Rwanda et l’Ouganda. Région riche en ressources naturelles (cassitérite, or, coltan, bois…), elle fait partie des Provinces les plus pauvres de la RDC ; sa population est assez jeune, la majorité ayant moins de 15 ans. Région possédant très peu de routes et constituée de forêts denses, il est facile pour les milices, l’armée et les politiciens de s’ancrer sur un territoire afin de profiter de ses richesses au détriment de la population locale.

Depuis 2003, la situation militaire est marquée par la mise en place d’une armée intégrant les groupes rebelles et la lutte contre miliciens et officiers mutins. Les massacres commis en Ituri contraignent la communauté internationale à réagir au moyen de la force européenne Artémis agissant sous mandat onusien et commandée par la France. La MONUC déployait ses brigades dans l’Est, tandis que le Parquet de la Cour pénale internationale faisait arrêter et transférer en mars 2006 à La Haye le chef de milice Lubanga, le général factieux Laurent Nkunda (de son nom complet Laurent Nkundabatware Mihigo) faisant de son côté l’objet d’un mandat d’arrêt international et des chefs de milices katangaises ayant dû faire reddition.
Au cours de l’été 2008, le Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP), groupe rebelle congolais, alors dirigé par Laurent Nkunda et soutenu officieusement par le Rwanda, se retire d’un processus de négociations de paix entamé avec le gouvernement de la République Démocratique du Congo (RDC). Cette nouvelle crise qui éclate dans la province du Nord Kivu déstabilise les autorités congolaises et la mission de maintien de la paix des Nations-unies (alors nommée MONUC). La communauté internationale, préoccupée par les conséquences d’une conquête de Goma, la capitale du Nord Kivu, par le CNDP, multiplie les initiatives pour éviter une escalade de la violence qui pourrait mener à une confrontation entre le Rwanda et la RDC.

En novembre 2008, pour mettre fin à la crise sécuritaire et politique, le Président Kabila tend la main à son adversaire traditionnel, le président rwandais Paul Kagame. Sans recourir aux mécanismes de médiation formels privilégiés par la communauté internationale, les deux chefs d’Etat négocient rapidement un accord dont le contenu demeure secret. L’initiative congolaise surprend la plupart des partenaires internationaux de la région des Grands Lacs. Ces derniers sont cependant soulagés lorsque les discussions portant sur une intervention multinationale pour stabiliser le Kivu prennent brusquement fin. Mais quatre ans après le rapprochement des deux présidents, les soldats gouvernementaux sont encore aux prises avec les miliciens.
En avril 2012, de nouveaux combats armés reprennent suite à la défection de plus d’une dizaine d’officiers supérieurs et de quelques centaines d’hommes des FARDC issus de l’ex-CNDP. Des combats sont engagés entre cette nouvelle rébellion dite M23 et les FARDC.

L’échec du processus de brassage, de mixage et d’intégration…

L’intégration des rebelles dans l’armée régulière a montré ses limites. Le « brassage » a été adopté en 2002 dans le cadre du processus de paix (Dialogue Intercongolais). Il prévoyait l’intégration des troupes de l’ex-gouvernement de Kinshasa et des ex-mouvements rebelles au sein des Forces Armées de la RDC (FARDC). Le « mixage » est un terme spécifique qui est né de la volonté commune du pouvoir de Kinshasa et du général Nkunda, alors leader du CNDP, de réunir leurs troupes dans des brigades communes non brassées et positionnées exclusivement dans la province du Nord-Kivu. Alors que Kinshasa envisageait le mixage comme une étape intermédiaire vers le brassage des troupes du CNDP (c’est-à-dire intégrée à l’armée congolaise hors du Nord-Kivu), Nkunda, lui, souhaitait que ses militaires restent au plus près des membres de la communauté rwandophone.
Signé début 2007 à Kigali, un accord prévoyant le seul « mixage » (sur place) des forces rebelles aux FARDC ne tient que quelques mois – suffisamment pour permettre à Nkunda d’augmenter ses effectifs (y compris en enrôlant des centaines de soldats au Rwanda, ainsi que des centaines d’enfants) et d’accroître la zone sous son contrôle dans les riches territoires de Masisi et de Rutshuru. Le conflit reprend, fin août 2007, lorsque la fin du mixage est décrétée par le chef d’état-major de l’armée congolaise, au profit d’un véritable brassage.
Les enjeux économiques dans le Nord Kivu sont importants : au contrôle de terres riches en minerais et propices à l’agriculture et à l’élevage s’ajoute un butin en cash : prélèvement de contributions sur le foncier, extorsion, taxes et exploitation de minerai. L’attrait de ces biens touche l’armée régulière qui ne perçoit que sporadiquement sa solde déjà modeste.

Les parties en conflit ne se limitent pas aux FARDC (armée régulière) et au M23. D’autres mouvements armés opèrent comme :
 les FDLR : Forces Démocratiques de Libération du Rwanda, incluant de nombreux Rwandais hutus dont certains prirent part au génocide
 les patriotes Maï-Maï, rebelles anti-tutsi
Des alliances entre FARDC, Maï-Maï et FDLR ont lieu.
17 000 casques bleus se trouvent également en présence à l’Est du pays avec un mandat limité à un rôle défensif.

La naissance du M23 sur les cendres du CNDP

Les mutins du M23 sont d’anciens soldats du Conseil National pour la Défense du Peuple (CNDP) menés par le Général Bosco Ntaganda. Le nom M23 fait référence à la date du 23 mars 2009, date à laquelle le CNDP, alors mouvement politico-militaire, avait signé avec le gouvernement un accord pour mettre fin à la rébellion, se muer en parti politique, et faire intégrer ses troupes dans les FARDC.
Bosco Ntaganda, qui malgré le mandat d’arrêt lancé contre lui par la Cour Pénale Internationale en 2006, remplaça au Sud et Nord Kivu le général Laurent Nkundabatware Mihigo, arrêté en janvier 2009 et placé en résidence surveillée.

Bosco Ntaganda proclama en janvier 2009 que l’arrestation de Laurent Nkundabatware et son arrivée à la tête du mouvement du CNDP allait favoriser le retour à la paix dans l’est de la RDC. En mars 2012, le procureur de la Cour pénale Internationale (CPI), Louis Moreno Ocampo, fit pression auprès du Président de la RDC, Joseph Kabila, afin qu’il arrête et qu’il livre le Général Bosco Ntaganda à la Cour pour complicité de crimes graves avec Thomas Lubanga, reconnu coupable en mars 2012 par la CPI, d’enrôlement d’enfants ayant participé activement aux combats durant la guerre entre les tribus Hema et Lendu, en Ituri, dans la Province Orientale.
En avril 2012, Bosco Ntaganda regroupe ses partisans, dont notamment de nombreux membres des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) basés au Nord et Sud Kivu. Le Mouvement du 23 mars ou M23 naît alors, prônant l’idéologie du CNDP, du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) et de l’Alliance de forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), trois mouvements désirant négocier avec le gouvernement congolais et ayant pu bénéficier de l’aide de Kigali.
Les combats entre les FARDC et le M23 ont déjà provoqué des milliers de déplacés aussi bien à l’intérieur du pays que dans les pays voisins, principalement au Rwanda et en Ouganda.

Des conséquences humaines : 470 000 déplacés

Les civils sont bien sûr les principales victimes du conflit : depuis la reprise des combats en avril 2012 et l’intensification des combats en juin, plus de 470 000 déplacés ont été recensés à l’Est de la RDC. Les territoires de Masisi, de Walikale, de Rutshuru et de Beni, dans la province du Nord-Kivu sont le théâtre de nombreux affrontements et de nombreuses violations du droit international humanitaire : meurtres de civils, viols généralisés, pillages, recrutement d’enfants-soldats commis par toutes les parties au conflit.

Le Rwanda responsable du conflit ?

Le rapport des experts des Nations Unies, publié au troisième trimestre 2012, accuse clairement le Rwanda d’avoir préparé, planifié et soutenu la mutinerie armée des rebelles du M23 à l’Est de la RDC. Le Rwanda fournirait des armes, des munitions, et diverses fournitures au M23. Ces données confirment le résultat de nombreux rapports d’enquête publiés depuis 2003 par les ONG internationales sur les conséquences de l’implication du Rwanda dans les actes des rebelles et des groupes armés : viols, violations des droits humains, pillage des ressources et hausse de la criminalité transfrontalière à l’Est de la RD Congo. Le Rwanda réfute ces accusations mettant en avant son engagement depuis 2009 dans le processus de paix dans l’Est du Congo.

Les grandes puissances impliquées dans le conflit

Durant la Guerre froide, l’importance géostratégique du Zaïre en Afrique centrale et australe fut cruciale pour le bloc occidental. Cette période s’est caractérisée par un appui important au régime dictatorial du Président Mobutu. Les Etats-Unis s’assuraient un allié par un apport conséquent en armes dans sa lutte contre les régimes communistes en Tanzanie, en Angola et au Congo Brazzaville. Mobutu, alors chargé de soutenir et protéger les intérêts économiques et stratégiques de l’Occident, fut détrôné à la Chute du Mur par le leader ougandais Museveni, nouveau joker américain dans la région. L’appui des Etats-Unis aux rebelles de l’AFDL en 1996 fut conséquent tant sur le plan logistique - reconnaissance, communication et intendance -, qu’au niveau politique – prises de position et médiation régionale. En amont du conflit, les fournitures d’armes et de munitions, d’équipements et d’hommes par les puissances occidentales ne sont donc pas à négliger.
De plus, les différents rapports du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la RDC publiés depuis 2001 dénoncent un pillage constant et systématique des ressources du pays dans ces territoires en proie aux conflits. Stocks de minéraux (coltan, cuivre, cobalt et diamant), de café, de bois et de bétail sont soit transférés dans les pays voisins, soit exportés sur les marchés internationaux par les ressortissants de ces derniers, militaires ou civils. Plusieurs des principaux acteurs impliqués dans ces pillages et exploitations illicites ont pu être identifiés, en l’occurrence : les groupes armés impliqués dans le conflit, plusieurs officiers militaires des armées du Rwanda, du Burundi, de l’Ouganda et du Zimbabwe, des personnalités politiques congolaises, mais aussi des sociétés multinationales étrangères européennes, américaines et asiatiques. En aval du conflit, l’implication des puissances occidentales dans le pillage des ressources du Congo est également à prendre en compte.