Malawi : « révolution verte » et souveraineté alimentaire, quel avenir ?

Les limites à la révolution verte : enjeux pour la souveraineté alimentaire

, par CRISLA

Identification des bénéficiaires et détournements

Un problème récurent dans le programme de subvention est l’identification des bénéficiaires. Il avait été dit que le programme devait s’adresser aux « plus pauvres parmi les pauvres ». Or le programme ne touche théoriquement « que » de l’ordre de 1,5 à 2 million de personnes directement. Cette disponibilité relativement limitée couplée à des problèmes d’organisation pousse les différents acteurs à s’adapter : revente et falsification des coupons sont monnaie courante. Le manque de transparence dans la distribution des coupons ainsi que les délais de mise en œuvre sont une source de frustration récurrente pour nombre de petits paysans.

Sensibilité à la crise financière mondiale

Le programme étant notamment dépendant des bailleurs de fonds internationaux, cela le rend dépendant des aléas financiers mondiaux. Ainsi, lors de la crise financière de 2008, les coûts du programme ont dû être réévalués de 20 à 29 milliards de kwachas.

Introduction de l’industrie agrochimique, dépendance et impact sur la santé et l’environnement

Introduction de l’industrie agrochimique

De nombreuses analyses s’accordent pour considérer que la politique nationale de subvention d’engrais agit positivement en terme de sécurité alimentaire. Ce qui est souvent moins mis en lumière est que cette politique s’accompagne de l’introduction au Malawi des majors de l’industrie agrochimique (Monsanto, Pannar Seed, Yara, Farmer’s World...).
Les semences subventionnées par l’Etat (le maïs essentiellement) sont systématiquement des semences hybrides produites par l’industrie agrochimique.

Utilisé selon les prescriptions des industriels, le maïs hybride présente un rendement théorique nettement supérieur aux variétés locales. Selon le recensement agricole de 2007, le maïs hybride représentait 42% des surfaces plantées en maïs (58% pour les variétés locales). Le maïs hybride représentait alors 71% des semences de maïs acheté.

Mais le maïs hybride produit des épis plus grands et un meilleure rendement à condition de mettre les fertilisants adaptés. Sans engrais, la production serait dérisoire. Autre contrainte du maïs hybride, après la récolte, il se conserve beaucoup plus difficilement à moins d’y incorporer des pesticides contre les rongeurs et autres parasites qui peuvent s’attaquer aux sacs de grain. Des témoignages rapportent des cas d’intoxication après avoir trop traité le maïs. Les témoignages récents indiquent que Monsanto fait pression sur le gouvernement pour l’introduction des organismes génétiquement modifiés (OGM), à la fois pour le coton et le maïs.

Rendements

Les promoteurs du maïs hybride arguent que les variétés locales de maïs ont des rendements généralement beaucoup plus faibles. Néanmoins, ces variétés locales ont été sélectionnées par les paysans afin de fournir des rendements plus constants quelque soit la quantité d’engrais. Ainsi, les variétés locales sont mieux adaptées aux sols et conditions climatiques des différentes zones où elles poussent tandis que les variétés hybrides sont « fabriquées » pour donner de bons rendements dans un contexte « optimum » de sols, de pluies, de fertilisation, etc.…
Les variétés locales se conservent aussi mieux. En particulier, elles sèchent mieux, ce qui facilite les conditions de stockage et limite l’attaque par les rongeurs (ce qui implique une moindre nécessité de pesticides).
En outre, les propriétés nutritives ne sont pas forcément équivalentes pour le même poids de farine de maïs.

Stérilité et dépendance : une atteinte à la souveraineté alimentaire

Un des points critiques repose sur la stérilité des semences. Les variétés hybrides promues par le gouvernement en collaboration avec l’industrie agrochimique sont ou stériles, ou bien leurs propriétés bénéfiques se dégradent après 2 ou 3 récoltes. Ces propriétés créent de ce fait une forte dépendance des paysans qui doivent racheter régulièrement les semences qu’ils conservaient auparavant d’une année sur l’autre.

Le Malawi n’a pas encore fait parler de lui comme l’Inde avec des suicides en masse de paysans, ruinés par l’échec de ces nouvelles techniques agricoles. Néanmoins, quelques exemples ont été reportés de paysans désespérés prêts à tout pour avoir les moyens d’acheter le paquet semences/engrais/pesticides.

Une stratégie innovante ?

Les programmes de subvention aux intrants agricoles de la part du gouvernement malawien actuel ont eu leur effet dans la réduction de l’insécurité alimentaire. Cependant, un regard historique montre que ce genre de stratégie n’est pas nouveau dans l’histoire du pays : depuis 1970, au moins une dizaine de programmes de subvention ont été mis en œuvre. Ce qui n’a pas empêché les famines accentuées lors des périodes de catastrophes naturelles (sécheresses, inondations).
Pour certains paysans « sans terre », la révolution verte malawienne a un goût amer. Tous les engrais et semences du monde ne font guère de différence pour ceux qui n’ont pas suffisamment de terre pour couvrir les besoins alimentaires de leur famille. La solution durable au problème pourrait être ailleurs alors qu’au sud du Malawi, le petit producteur cultive en moyenne moins d’un demi hectare…

Accaparement des terres et agrocarburants : ou comment le Malawi s’éloigne de la redistribution

Historique

Les disparités dans la distribution des terres ne sont pas indépendantes de l’histoire politique du Malawi. A l’indépendance au milieu des années 1960, le gouvernement Banda a hérité d’une structure agricole divisée entre les domaines commerciaux qui dominaient la production de tabac, thé, sucre, etc., et les petites exploitations axées sur les cultures vivrières. Sans réellement modifier les formes coloniales du pouvoir, la politique gouvernementale a continué à favoriser les exportateurs et les réformes foncières n’ont fait qu’encourager davantage l’expansion des domaines sur les terres communales, transformant les occupants de droit en locataires et créant une nouvelle classe de gens sans terres. Des paysans ont été chassés de leurs terres par l’État pour faire place à des réserves naturelles et autres « zones protégées » qui ont surtout servi à promouvoir le tourisme. Entre 1967 et 1994, plus d’un million d’hectares occupés par des communautés locales selon le droit coutumier sont passés sous le contrôle de l’État et des propriétaires de grands domaines.
Parallèlement, le pays (en particulier dans la partie Sud) a connu plusieurs épisodes d’immigration depuis le Mozambique augmentant encore la densité de population et la rareté des terres pour certains.

Ainsi, de nombreuses familles vivent avec moins d’un hectare de terrain à cultiver dans un contexte de forte densité de population rurale (plus de 330 hab./km² au sud du pays).

Avec l’augmentation de la densité de population, le système de rotation des cultures qui prévalait les siècles précédents, n’est généralement plus possible. Probablement, cette évolution s’est produite à une échelle de temps relativement rapide, ne laissant pas le temps au système agro-écologique de trouver un équilibre : aujourd’hui les terres s’épuisent et les rendements diminuent s’ils ne sont pas soutenus par les engrais industriels.

L’occupation des moins bonnes terres, où l’eau est absente

Dans certaines parties du pays, en particulier dans la région Sud, les zones les moins fertiles, ou les plus dures à cultiver, ou celles avec l’eau la plus inaccessible n’étaient pas habitées il y a encore un siècle. Aujourd’hui beaucoup de villages s’y sont installés, dépendent des quelques forages existants (et insuffisants) pour s’alimenter en eau. Les meilleures terres sont souvent occupées par les grandes plantations (« Estates ») où la monoculture du maïs, du tabac et de la canne à sucre sont de mise.

Une distribution inéquitable des terres

Selon l’organisation GRAIN, de nos jours, seuls le Brésil et la Namibie sont encore plus inéquitables dans la distribution de leurs terres que le Malawi. Aujourd’hui la moitié des terres arables du Malawi serait répartie entre quelques 30 000 domaines de 10 à 500 hectares.

Accaparement des terres

Cette distribution inéquitable est encore accentuée par un phénomène de concentration des exploitations sous le regard bienveillant du gouvernement et des bailleurs de fonds internationaux.
De plus en plus de grandes exploitations malawiennes finit entre les mains d’étrangers. Pour ne citer que quelques exemples (cités par l’association GRAIN et l’International Food Policy Research Institute (USA)) :
En 2009, le gouvernement de Djibouti a signé avec le gouvernement malawien un accord concernant la concession de 55 000 hectares de terres irriguées.
La Chine est en train de négocier une surface similaire.
Le fonds agricole britannique CRU Investment Management a récemment acheté un domaine de 2000 hectares au Malawi pour y produire des poivrons et autres récoltes destinées à l’exportation vers l’Europe.
Une autre société britannique, Lonhro, affirme être en train de négocier un accord qui couvrirait des dizaines de milliers d’hectares le long du Lac Malawi pour y planter du riz.
L’industrie du sucre est elle aussi en expansion : des villageois de la province de Chikwawa ont récemment été chassés de leurs terres, sans compensation, par la compagnie sucrière ILOVO, une filiale d’Associated British Foods.
L’accaparement des terres concerne également la compagnie malawienne Mulli Brothers qui a des liens directs avec le président Bingu et le parti au pouvoir DPP (supportant officiellement les campagnes électorales). Les habitants du piémont du Mulanje sont ainsi en conflit avec Mulli Brothers qui les chasse de leur terre pour étendre les plantations de thé. Mulli Brothers est réputée posséder des très importantes surfaces agricoles à travers ses différentes filiales réparties sur tout le pays. Cependant il est très difficile d’obtenir des données chiffrées à ce sujet.
Le recensement agricole de 2007 a également montré qu’une famille sur cinq craignait d’être expropriée et que 47% des villages malawiens connaissaient des conflits fonciers dont 5% étaient directement liés aux conflits entre villages et « estates ». Les données indiquent aussi que si 69% des parcelles familiales ont conservé la même surface au cours des 10 dernières années, un plus grand nombre ont vu leur surface se réduire plutôt qu’augmenter. Cette réduction a touché en particulier les petite parcelles.. Selon ces mêmes statistiques gouvernementales, usurpation et expropriation comptent pour 23% de la diminution de la surface des exploitations familiales (17% sont dus aux inondations et à l’érosion).

Pour y faire quoi ?

Les industries agricoles arguent qu’elles contribuent au développement économique, employant localement des ouvriers et créant à la fois de l’emploi et des sources de devises pour le Malawi via les exportations (par ex. : de sucre ou de café).

S’il est pris l’exemple d’ILOVO, des pratiques d’expropriation des terres sont néanmoins reportées par plusieurs sources (l’association GRAIN, l’association Oxfam France) qui citent des témoins. Dans le même temps on trouve du sucre ILOVO "équitable" en Europe.
Mais cela cache certains problèmes, notamment celui de l’utilisation des terres arables pour la production des agrocarburants. C’est le cas avec ILOVO au Malawi.
Dans un contexte comme le Malawi, l’utilisation des terres arables pour la production des agrocarburants laisse d’autant moins d’espace pour les cultures vivrières et peut contribuer ainsi à une situation de pénurie alimentaire chronique pour la population.
Dans la sous région, le phénomène n’est d’ailleurs pas propre au Malawi. Au Mozambique, le groupe sucrier Tereos a reçu une concession de 100 000 ha récemment, donc 15 000 sont plantés en canne à sucre.