Timor Leste : un petit pays en devenir

Les conditions d’une paix pérenne

Au Timor Leste, le combat pour une paix durable ne fait que commencer. Au-delà même de la reconstruction physique, il s’agit de la recomposition patiente d’une société en état de choc.

Les violences qui ont eu lieu en 2006 et 2008 sont d’ailleurs le symptôme de relations distendues entre les différents groupes de la société est-timoraise mais surtout d’une déficience de l’Etat.

La pacification ne peut se dérouler qu’à long terme et à deux niveaux : les communautés locales et la nation qui se construit ; ainsi que la relation de celle-ci avec l’extérieur (il s’agit ici de la relation avec l’Indonésie plus particulièrement, mais également du rôle de la communauté internationale dans le processus de reconstruction).

Une communauté nationale morcelée

La population est-timoraise est assez hétérogène, pas tant d’un point de vue des références religieuses ou ethniques par exemple, car elle appartient largement à la culture papou et est très majoritairement catholique, mais plutôt au regard des appartenances générationnelle, linguistique et surtout géographique.

« Il existe un clivage ancien, mais qui n’est ni ethnique ni linguistique, entre les populations de l’ouest de Timor Leste (Kaladi/Loromonu) et ceux du grand-est (Firaku/Lorosae). Ce clivage s’est forgé à l’époque coloniale portugaise entre ceux de l’ouest proche de Dili et considérés comme mieux « assimilés » et ceux de l’est, regardés comme moins « civilisés ». Cette différence a été renforcée de 1975 à 1999, dans la mesure où l’essentiel de la résistance armée liée au Fretilin (parti indépendantiste) s’est concentrée à l’Est, zone que l’armée indonésienne contrôlait moins. L’idée d’un Ouest collaborationniste est restée, et les autorités n’ont pas su la dissiper. En 2006, les troubles qui ont résulté en partie de ces tensions est/ouest ont provoqué la mort de 37 personnes, le déplacement de 150 000 autres et ont rendu nécessaire le retour d’une force multinationale. » (CABASSET Christine, DURAND Frédéric. 16 juillet 2007. « Les élections présidentielles de 2007 à Timor Leste » in EchoGéo).

« Une ligne de fracture sépare également ceux qui ont passé les 25 années d’occupation en exil de ceux qui sont restés sur place pour résister. Le gouvernement actuel est largement issu de cette élite lusophone, cultivée, que la rumeur publique soupçonne d’avoir bénéficié des atouts d’une vie à l’étranger en se constituant parfois des fortunes personnelles importantes.
Ceux qui sont restés sur place, sous le joug indonésien, ont du mal à trouver leur place dans un étroit marché du travail où la langue portugaise est privilégiée par rapport à l’indonésien. Les anciens combattants se sentent parfois les grands perdants de cette indépendance et revendiquent de plus en plus fortement leur place dans une société qu’ils ont largement contribué à libérer : la tentative d’assassinat perpétrée contre le président José Ramos Horta en février 2008 en semble symptomatique.

Une autre difficulté potentielle pour le jeune État naissant réside dans cette partie de la jeune génération qui a le sentiment d’être une « génération sacrifiée ». En effet, les jeunes gens nés dans les années 1975-1980 n’ont connu que l’occupation indonésienne, ont été éduqués dans un système indonésien et ne se reconnaissent parfois pas dans ce gouvernement qui choisit le portugais pour langue officielle (elle serait tout au plus parlée par 15 % de la population), langue dont la maîtrise est nécessaire à l’accession à certaines des plus hautes fonctions administratives. Ils avaient également, pour partie, tendance à rejeter la présence de l’important contingent portugais au sein de la force onusienne, y voyant une nouvelle forme de colonisation.

Les fonds qui affluent aujourd’hui au Timor Leste et la mise en place d’une économie néolibérale répondent aux besoins urgents de la reconstruction, mais ils accentuent également des inégalités importantes, notamment entre habitants des villes et des campagnes. De surcroît la population a le sentiment que la nouvelle économie du pays est contrôlée par l’étranger, ce qui nourrit une certaine amertume.

Ajoutons à cela le fort taux de chômage et il n’est pas étonnant d’observer un mécontentement se traduisant par des manifestations parfois violentes (comme le furent les incidents qui eurent lieu au printemps 2006) : quelle place pour cette jeunesse désœuvrée dans l’État naissant ? » (extrait de Marie Redon).

Réconciliation avec l’Indonésie

L’un des plus imposants défis auquel ce jeune Etat est confronté, outre la réconciliation des « ennemis » au sein même de la société est-timoraise, est en effet la normalisation des relations avec son puissant voisin, exigée par le fait que ce micro Etat émergent reste nettement dépendant de l’extérieur.

« En ce qui concerne la réparation des crimes commis contre la population est-timoraise, la fragilité même du processus de démocratisation en Indonésie limite sévèrement la capacité de poursuivre les auteurs de violations des droits de l’Homme. Il est donc nécessaire qu’un processus permette à la société est-timoraise d’accepter le souvenir des crimes dont elle a été la victime, sans qu’il soit tributaire de la justice indonésienne. » (MCGIBSON Rodd, BLAIKER Roland. Janv 2001. « Timor Oriental : le combat pour la paix et la réconciliation » in Culture et Conflits n°41).

Afin de préserver leurs relations bilatérales, les gouvernements timorais et indonésien ont choisi d’éviter le recours à la justice pour réparation des graves violations des droits humains au Timor-Leste en privilégiant des initiatives telles que la Commission Vérité et Réconciliation, instituée conjointement par Timor-Leste et l’Indonésie en 2005, excluant les poursuites pénales contre les auteurs des exactions antérieures.

Plus récemment encore, lors du dixième anniversaire du référendum d’autodétermination, le 30 août 2009, le président José Ramos Horta a appelé à fermer le chapitre de l’occupation indonésienne et a demandé aux Nations Unies d’abandonner leurs investigations et leur idée de mettre en place un tribunal international pour juger ces crimes.
En effet, l’intégration régionale est une ambition majeure des dirigeants du Timor Leste prenant le pas sur la « réparation », si tant est qu’il puisse y en avoir une.
Les deux parties gagnent à entretenir de telles relations, ne serait-ce qu’au niveau commercial : les Est-Timorais ont un besoin urgent de biens de consommation à bas prix, ce qui offre aux entreprises indonésiennes de nouveaux débouchés pour leurs produits.

Le soutien de Jakarta à Dili est aussi un moyen de contrebalancer l’influence australienne et celle de la Chine qui a établi des relations diplomatiques avec Timor Leste dès 2002, l’Indonésie préférant sans doute voir le petit pays rester dans le giron des Etats asiatiques du Sud Est.

Cependant, ces relations, aussi indispensables soient-elles, demeurent exposées à deux facteurs de tension : le rapatriement des réfugiés est-timorais qui reste très problématique et l’administration de la frontière entre le Timor oriental et le Timor occidental.

Mémoire et oubli

Pour la construction d’une cohésion et d’une unité de l’identité nationale et d’un projet collectif de société, il est essentiel que soit menée une véritable réflexion afin de définir les valeurs sur lesquelles les habitants dans leur diversité vont construire l’avenir de leur pays.
Dans cette perspective, l’un des défis centraux de la société timoraise post-conflit est qu’il existe une différence de conception concernant le processus de réconciliation entre la communauté internationale et les traditions du pays, il s’agit alors de réussir à trouver un terrain d’entente. (voir l’article de Marthino Gusmao).