Promotion des DESC dans le secteur de l’artisanat au Mali

Les comités DESC et la revendication des droits : l’accès aux espaces de production et la sécurisation foncière des artisans

, par TDHF

La sécurisation foncière des artisans reste un enjeu de taille, elle conditionne souvent le développement de leurs activités.

Dans les villes maliennes, les plans d’aménagement prévoient généralement la mise en place de sites artisanaux, réservés aux artisans pour l’installation de leurs ateliers. « Mais ces plans sont rarement respectés », déplore Mamadou Minkoro Traoré, président de l’Assemblée Permanente des Chambres de Métiers, « ces espaces sont morcelés, ils servent à autre chose ou sont revendus ». Faute d’espace, une grande majorité des artisans travaillent aujourd’hui dans des conditions de production précaires, incertaines et parfois dangereuses en raison de la vétusté des ateliers et de leurs équipements.

Certains n’ont d’autres choix que de s’installer sur des terrains communaux ou sur de petites parcelles inoccupées, souvent insalubres. Les autres travaillent à même les trottoirs, en bordure de route, dans ces milliers d’ateliers de fortune qui longent les avenues des grandes villes du pays. Des sites spontanés, « illégaux », desquels les artisans se font expulser régulièrement, sans compensation… des expulsions aux conséquences économiques souvent désastreuses pour les artisans et leurs familles. (Voir le témoignage à la page suivante).

Outre les risques auxquels les artisans sont exposés - accidents du travail, risques sanitaires, expulsions, etc. - ces conditions de production ont des effets très négatifs sur la qualité de la production, sur la rentabilité de l’activité artisanale et, in fine, sur ses perspectives de développement.

C’est ce que résume Assitan Traoré, présidente de la Fédération Nationale des Artisans du Mali (FNAM) : « Le grand problème de nos artisans, c’est l’insécurité foncière. Ils occupent des terrains desquels ils peuvent être déguerpis à tout moment. Il suffît que la Mairie décide d’entreprendre des travaux d’embellissement, de refaire une route et ce sont des dizaines, parfois des centaines d’artisans qui sont chassés. Cela crée une très forte incertitude : les artisans ne peuvent pas investir, ni moderniser leurs ateliers dans ces conditions. Le risque est trop grand ».

Les comités DESC : lutter contre les expulsions et promouvoir l’accès des artisans aux espaces de production

L’accès aux espaces de production est donc l’un des principaux défis auxquels les artisans maliens font face, un défi sur lequel les comités DESC ont décidé, dès leur création, de se concentrer et qui depuis est au cœur des combats qu’ils mènent, forts des différents cycles de formation dont ils ont bénéficié et de tout l’appui et de l’encadrement techniques assurés au quotidien, sur le terrain, par l’équipe de GUAMINA.

« Auparavant, nous travaillions en ordre dispersé, sans méthode, sans discipline, nos arguments étaient souvent insuffisants, nous étions mal préparés », explique Issa Samaké, membre du comité de la commune III de Bamako. « Maintenant, nous faisons un vrai monitoring. S’il y des expulsions, nous allons sur place, nous enquêtons, nous enregistrons les cas, nous consultons les plans d’aménagement de la commune. C’est une manière de rappeler aux autorités leurs engagements, une manière de les mettre devant leur responsabilités ».

Et ce travail a porté ses fruits. À titre d’exemple, dans la commune III, ce sont plus de 200 artisans expulsés qui - grâce à l’action du comité DESC auprès du maire, puis du gouverneur du district - ont pu regagner les parcelles dont ils avaient été chassés. Ils ont obtenu des titres provisoires. « C’est un bon début, mais il faut continuer à travailler. Notre objectif ce sont des titres définitifs pour tous ces artisans »poursuit Issa.

Dans la même commune, le comité - réelle force de proposition - s’est positionné dans le débat lancé par les autorités en vue de l’aménagement et de l’assainissement d’un vaste marigot. Son idée : y installer des centaines d’artisans et affecter les taxes qu’ils paieront aux travaux d’entretien et de réfection du marigot.

Les négociations avec le ministère de l’Urbanisme sont en cours. Et les autres comités de Bamako ne sont pas en reste : 4 nouveaux sites artisanaux ont été obtenus dans la commune II (grâce à l’action combinée de l’APCMM, des associations professionnelles et des comités DESC), 158 titres provisoires accordés aux artisans de Djelibougou dans la commune I, etc.

Fassoun Doumbia et Diahara Koné ont tous deux bénéficié directement de l’action des comités DESC. Ils témoignent…

Fassoun est forgeron. Vingt ans qu’il travaille dans la commune III de Bamako. Il employait trois ouvriers… jusqu’au jour où les autorités communales l’ont chassé de son atelier. En cause : le réaménagement de la route au bord de laquelle il était installé.

Fassoun - « Les gens de la commune sont passés à l’atelier et m’ont donné un ordre d’expulsion. Ils ont détruit mon atelier et ont cassé mon hangar, mais personne ne m’a dit où me réinstaller. J’ai dû partir, je ne pouvais plus travailler. Ça a duré trois mois. Ça a été très difficile pour moi et pour ma famille. À l’école, par mois, on me demande 3 000 Francs CFA par enfant (5 €), je n’ai plus pu payer et mes enfants ont dû quitter l’école. Pour la nourriture aussi, c’était difficile : quand tu ne travailles pas, tu ne trouves pas à manger, pour te soigner aussi, c’est compliqué…

Mais le comité DESC est intervenu. Ils sont venus nous voir, ils ont écrit au maire, au gouverneur. Le gouverneur est même venu sur place et nous avons pu nous réinstaller. J’ai essayé de reconstruire un peu l’atelier, mais ce n’est plus comme avant. Vous pouvez voir, c’est délabré, on travaille dans de mauvaises conditions. Mais au moins, on peut retravailler et gagner un petit quelque chose. Mais notre autorisation reste provisoire. Peut-être demain, ils vont venir et me chasser encore une fois. On ne sait pas, on n’est sûr de rien ».

Diahara Koné est teinturière, elle a 28 ans. En 2010, avec sa mère, elle s’est installée sur le site artisanal de Djelibougou dans la commune I de Bamako. Depuis, grâce à l’appui du comité DESC, elles ont obtenu un titre provisoire sur ce terrain… une évolution importante pour elles.

Diahara - « Auparavant, nous étions obligées de travailler à la maison, sur la parcelle familiale, mais nous avions beaucoup de problèmes, surtout avec les voisins. Ils se plaignaient tout le temps à cause de la couleur des eaux usées qui coulaient jusque dans la rue, des produits toxiques que nous utilisons. Ils voulaient que nous partions, il y avait beaucoup de conflits et pour nous, c’était vraiment difficile de travailler dans ces conditions. Mais heureusement, nous avons pu nous installer sur cette parcelle, ici sur le site de Djelibougou. C’est vraiment plus facile, on peut mieux travailler, se concentrer sur notre travail, sans être dérangées.

Puis, nous sommes en plein air, nous sommes plus visibles, il y a du passage, les gens voient notre atelier et notre travail. Nous avons gagné beaucoup de clients comme ça. Maintenant on a plus de monde qui travaille ici, on a dû recruter parce que le travail a augmenté, on a plus de commandes, alors on doit avoir un maximum de personnes pour suivre le rythme. Avant, nous étions 8 à la maison, mais ici on emploie plus de 15 personnes, sans parler des apprentis que nous encadrons et formons.

On est même en règle, on paie les impôts chaque année, les patentes, les taxes et on nous donne maintenant des reçus. Avant, ce n’était pas comme ça. Les agents de l’administration fiscale venaient à la maison et on s’arrangeait entre nous. Maintenant, c’est officiel. Mais le vrai problème, c’est d’obtenir un titre définitif pour cette parcelle, pour qu’on soit vraiment chez nous, pour qu’on puisse agrandir l’atelier, le moderniser. C’est vrai qu’on a déjà construit, il y a la zone de séchage, les toilettes, les fosses pour les produits, c’est mieux comme ça, pour la santé, pour nous et pour les gens qui travaillent ici.

Mais, on ne sait pas encore si on va pouvoir rester ici définitivement. Alors on attend encore avant d’investir davantage. Mais nous avons un tas de projets : on voudrait installer un atelier de couture et aussi construire une maison pour pouvoir recevoir et accueillir les clients. À la maison, le vieux (responsable de la famille, le père en l’occurrence) n’accepte pas que les clients viennent tard. Mais les clients étrangers eux ils s’en fichent de ça, parfois ils arrivent tard le soir et soit tu leur vends, soit ils partent ailleurs. On perd souvent des clients comme ça. Si on avait la maison, on pourrait les accueillir ici et gérer notre affaire comme on le veut, sans toujours avoir l’autorisation du vieux. »