OGMs : qui cultive, qu’est-ce qu’on cultive ?

Les citoyens face à l’explosion des techniques de biotechnologies

, par Inf'OGM , MEUNIER Eric

En Europe, les Organismes Génétiquement Modifiées (OGM) sont en débat depuis la fin des années 90, mobilisant un pan important de la société civile. Mais l’acronyme OGM renvoie généralement aux seuls organismes transgéniques alors que durant ces quinze ans, les entreprises de biotechnologie ont développé de « nouvelles techniques » de modification du vivant. Ces développements ont été, et sont toujours, occultés alors même que les entreprises pourraient décrocher leur Graal sous peu, en obtenant le droit de modifier le génome de plantes (pour commencer), brevets à la clé, sans être soumises à la législation sur les OGM. Dans ce débat, citoyens et gouvernements voient toujours leur liberté de parole et de décision politique restreinte, puisque enfermés socialement et légalement, dans une expression uniquement scientifique.

Un débat très confidentiel

Depuis fin 2008, l’Union européenne s’interroge pour savoir si les « nouvelles techniques de biotechnologie » appliquées aux plantes et / ou aux micro-organismes donnent ou non des organismes devant être soumis à la législation européenne sur les OGM (directive 2001/18, règlement 1829/2003, etc.). Il aura fallu attendre janvier 2012 pour avoir accès à ce qui est encore la seule information officielle émanant d’une instance décisionnaire, l’opinion d’un groupe européen d’experts mandaté par la Commission européenne pour répondre à la question posée du statut de sept techniques : mutagenèse dirigée par oligonucléotides, cisgenèse, nucléases à doigt de zinc, amélioration inverse, agroinfiltration, greffe, méthylation de l’ADN [1]. Eric Poudelet, de la Commission européenne, indiquait en mai 2012 dans les colonnes d’Inf’OGM que c’est « un sujet difficile qui préoccupe beaucoup la Commission mais les scientifiques ne sont pas toujours très d’accord […] ce sera aux États de prendre une décision ». Des discussions étaient annoncées pour l’été 2012 mais fin 2013, la Commission européenne indiquait à Inf’OGM être en cours d’analyse « afin d’établir si les nouvelles techniques mentionnées dans le rapport du groupe de travail tombent ou pas sous la définition d’OGM prévue à l’article 2 de la directive 2001/18/EC ». Bientôt une réponse alors ? Impossible de le savoir puisque « il n’est pas possible à ce stade de donner un calendrier ou des indications quant aux modalités de la publication de ces travaux par la Commission ». Pas plus qu’il n’est possible de savoir comment est menée cette analyse et par qui en interne à la Commission européenne...

En 2010, l’Institut d’études prospectives technologiques (IPTS), organisme public sous tutelle de la Commission européenne, a organisé un atelier sur ces nouvelles techniques avec la Commission européenne, l’OCDE, des instituts nationaux de recherche et administratifs, des entreprises et des associations. Ces associations ne représentaient pas la société civile mais les entreprises : Copa–Cogeca, EuropaBio, l’association allemande des semenciers et l’Union Française des Semenciers. Si un rapport a été publié en 2011 par l’IPTS [2], se basant notamment sur cet atelier, aucun compte-rendu formel n’est en revanche public car « il n’y a pas de compte-rendu » selon l’IPTS. Une absence de transparence peu compréhensible au vu des enjeux sociétaux que les biotechnologies posent.

Les entreprises intensifient leur lobby

Si d’aventure les plantes obtenues par ces techniques devaient échapper à la législation sur les OGM, cela signifierait une absence d’évaluation des risques avant autorisation, d’étiquetage des produits alimentaires contenant de telles plantes et de suivi post-commercialisation de ces plantes. Or ces obligations plaisent peu aux entreprises car elles ont un coût, imposent des délais, bref perturbent la commercialisation de leurs produits brevetés. Depuis janvier 2012 et la sortie officielle du rapport du groupe d’experts, le lobby conduit par les entreprises de biotechnologie s’est intensifié, plus ou moins directement : articles scientifiques, papiers de position d’organismes représentant les entreprises, prises de positions d’académies des sciences...

Qu’il s’agisse de la plateforme européenne de technologie « Plantes pour le futur » [3] ou de l’association européenne des semenciers (ESA) [4], le message à la Commission est qu’elle doit fournir aux entreprises une base légale solide afin de leur garantir que « leurs investissements ne seront pas vains et que leurs futurs produits ne soient pas soumis aux fruits de procédures réglementaires politisées » selon l’ESA, car elle craint « une procédure d’autorisation coûteuse et chronophage à l’instar des OGM ». Les arguments avancés rejoignent ceux de la transgenèse : assurer la sécurité alimentaire mondiale, parer aux effets du changement climatique sur l’agriculture, assurer le maintien d’emplois en Europe. En juillet 2013, le Conseil européen des académies des sciences a repris ces arguments et demandé à la Commission européenne de déclarer comme non soumises à la législation sur les OGM les produits modifiés ne contenant pas d’ADN inséré et que la décision finale ne prenne en compte que le produit final et non la technique. Une option opposée à l’actuelle approche européenne qui justement, tient compte de la technique de modification.

Les grandes questions : brevet, choix démocratique

La question des brevets présents dans les plantes modifiées du fait de la technique utilisée est absente de ces argumentaires. Les entreprises souhaitent que la plupart de ces techniques ne soient pas considérées comme donnant des OGM ou qu’elles soient exclues du champ d’application de la loi. La demande du Conseil européen des académies des sciences de considérer seulement le produit final et non la technique utilisée pour le modifier apparaît contradictoire avec la propriété industrielle revendiquée sur ces mêmes produits. Car si un produit final devait être classé comme OGM ou non OGM sans considérer la technique qui a permis de l’obtenir (avec comme seule toile de fond : la nature peut-elle également produire de tels organismes ?), la propriété industrielle (qui se base sur les notions d’innovation et de nouveauté) sera, elle, revendiquée du fait de brevets détenus par des entreprises et portant sur ces techniques. Or, dans le domaine agricole, surtout celui des semences, la question de la propriété industrielle est importante. Car elle aboutit à la privation des agriculteurs du premier maillon de la production, la semence. Les dernières évolutions de ce dossier montrent que le travail en cours vise à criminaliser encore plus l’activité paysanne (cf. les analyses du Réseau Semences Paysannes), déclenchant des mobilisations syndicales et citoyennes. Les nouvelles techniques permettent ces évolutions car elles fournissent aux entreprises l’outil leur permettant de concrètement faire valoir ce qu’elles considèrent être leurs droits : l’interdiction faite aux paysans de travailler avec des semences sur lesquelles un industriel souhaite étendre une propriété industrielle détenue via un brevet sur des gènes ou techniques.

Les biotechnologies questionnent notre capacité à opérer de réels choix démocratiques. Il n’est pas possible pour une société de suivre, technique par technique, les débats organisés selon l’agenda des entreprises et les seuls critères techno-scientifiques. Les positions des entreprises ou du Conseil européen des académies des sciences l’illustrent parfaitement : la décision législative finale sur le statut OGM ou non de ces techniques devra reposer sur les seules considérations scientifiques. L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) impose une telle approche, rendant illégale toute décision nationale non scientifiquement justifiée (cf. plainte à l’OMC contre les moratoires nationaux). Sans oublier que le traité bilatéral en cours de négociation entre les États-Unis et l’Union européenne pourrait fournir aux entreprises le droit de réclamer des dommages et intérêts suite à la fermeture du marché européen à leurs produits ou activités professionnelles, à l’instar du traité entre le Canada et les États-Unis [5]. Cette contrainte du tout scientifique prive gouvernements et citoyens de leur parole. Car tous ne sont pas scientifiques. Tous ne sont pas capables d’analyser 900 pages de résultats d’analyses de toxicologie.

Mais tous ont le droit d’avoir un avis qui repose, non sur des considérations scientifiques, mais éthiques, culturelles, sociales et/ou économiques tout aussi légitimes pour fonder un avis politique, et tous ont le droit que cet avis soit pris en compte par les instances politiques sans que ces dernières le rejettent pour non scientificité. D’autant que la « vérité scientifique » n’est pas toujours partagée par tous les experts compétents... Le cadre techno-scientifique actuellement imposé résulte donc en des choix qui ne sont pas ceux d’une société dans sa diversité mais ceux que les entreprises imposent lorsqu’elles toquent à la porte du législateur.

Quelle évaluation des risques est prévue ?

Ce qui n’est pas considéré comme OGM (ou soumis à la législation sur les OGM) n’est pas évalué avant commercialisation et la question des impacts sur la santé ou sur l’environnement n’est donc pas abordée.

Certaines de ces techniques seront pourtant considérées comme donnant des OGM et la Commission européenne a d’ailleurs déjà saisi l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) sur deux techniques (cisgenèse et nucléase à doigt de zinc avec insertion de gène) pour savoir si le cadre actuel d’évaluation des OGM permet d’évaluer les risques liés aux organismes obtenus par ces techniques. Dans les deux cas, l’AESA a conclu que ces techniques pouvaient faire l’objet d’une évaluation allégée par rapport à la transgenèse ! Or, sur le seul plan des risques sanitaires, l’évaluation de ces derniers pourrait, en 2016, faire l’objet de nouvelles directives de la part de l’AESA et de la Commission européenne. Car si l’évaluation des risques sanitaires a été renforcée en 2011, une révision est prévue après l’aboutissement du projet européen GRACE qui s’intéresse à la pertinence des analyses de toxicologie. Or, la composition du groupe d’experts, avec quelques pro-OGM avérés comme Joachim Schiemann, coordinateur du projet [6], laisse peu de doutes quant à une conclusion d’inutilité de ces analyses...

La liste des sept techniques étudiées par le groupe d’experts européens entre 2008 et 2012 n’est d’ores et déjà plus exhaustive. Car les entreprises se sont depuis appropriées d’autres techniques : méganucléases, Talens, accélération de floraison ou encore une nouvelle technique de production de semences de Pioneer... Un allongement de liste qui conduit la Commission européenne à espérer que son analyse en cours débouche sur des conclusions qui pourraient « également servir de référence pour d’autres techniques qui pourraient émerger dans le futur ». Les citoyens ne sont pas les seuls débordés par les entreprises puisque les gouvernements de plusieurs pays ont conduit ou conduisent encore des travaux similaires à ceux de l’Union européenne sans pourtant analyser tous les mêmes techniques. Une différence d’analyse qui conduira à des législations différentes, et donc des plaintes récurrentes des entreprises qui verraient bien une harmonisation internationale des législations sur les OGM.