Où vont les Sans-papiers ?

Législation et politique de l’immigration en France

, par CIIP

Il n’est pas aisé de s’y retrouver dans les textes de loi relatifs à l’entrée, au séjour des étrangers ainsi qu’au droit d’asile, dans les ordonnances et autres circulaires : la fameuse ordonnance du 2 novembre 1945, qui régit pour la première fois les conditions d’entrée et de séjour des étrangers, a été modifiée des dizaines de fois, que ce soit par Messieurs Marcellin, Fontanet, Bonnet, Stoleru, Pasqua, Chevènement et Sarkozy , Hortefeux, Besson, Guéant... Mais une même logique habite toutes ces lois, à savoir une démarche soupçonneuse et même répressive. Un constat inquiétant, surtout depuis la promulgation des trois lois les plus récentes, en novembre et décembre 2003, proposées par Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur et Dominique de Villepin, ministre des Affaires étrangères, et en 2010 par Eric Besson. Ces lois rendent les conditions d’entrée, de séjour et d’accès à l’asile de plus en plus draconiennes et génératrices de « déboutés », condamnés soit au renvoi dans leur pays d’origine, à leurs risques et périls, soit à une vie clandestine inhumaine et indigne.

Depuis septembre 2005 de nombreuses circulaires du Ministère de l’Intérieur donnent injonction de dénoncer tout étranger en situation irrégulière non seulement aux services dépendant du Ministère de l’Intérieur (Préfectures, police...) mais aussi à tous les organismes aidant les étrangers (services de santé, éducation nationale, services sociaux...) A rebours d’autres pays européens, la France procède à des régularisations au compte-gouttes basées sur le chiffre et l’arbitraire. A titre d’exemple, la circulaire du 13 juin 2006 prévoit la régularisation des parents sans papiers ayant au moins un enfant scolarisé, sous certains critères cumulatifs et subjectifs (comment apprécier « la réelle volonté d’intégration des familles » ?) mais le Ministère de l’Intérieur annonce le nombre de personnes qui seront régularisées avant même l’examen des dossiers. Depuis 2007 sont fixés des objectifs chiffrés d’expulsions d’étrangers en situation irrégulière (25000 en 2007, 26000 en 2008, 28 000 en 2009, 28 500 en 2010…) ! Un pays où la pratique de l’arbitraire est entrée dans la loi est-il encore un pays de droit ? Face à l’inhumanité de cette politique d’immigration, la mobilisation s’est organisée autour des Collectifs de soutien aux sans papiers et du Réseau Education sans frontières.

L’avant dernière loi modifiant le « CESEDA » (Code d’entrée et de séjour des étrangers et des demandeurs d’asile) adoptée le 24 juillet 2006 est entrée en vigueur le 1er janvier 2007. Il s’agit d’une loi réformant le droit des étrangers, droit s’appliquant à tous les étrangers demandant un titre de séjour en France. C’est le cas des demandeurs d’asile déboutés et de nombreux sans-papiers. Cette loi a été qualifiée par nombre d’associations de défense des droits de l’Homme et des droits des étrangers de « liberticide » (cf. Analyse du document de travail interministériel sur le projet de loi modifiant le CESEDA, CIMADE, 2006). Elle institutionnalise des circulaires ministérielles qui sont déjà en application et qui remettent en question le droit des étrangers tel qu’il existait jusqu’à ce jour notamment concernant certaines dispositions comme le regroupement familial ou l’obtention d’un titre de séjour de plein droit après dix ans de résidence… Cette loi instaure le principe d’immigration choisie ce qui pour les associations de défense des Droits de l’Homme est synonyme "d’immigration jetable".

Quant à la dernière loi, d’Éric Besson, de 2010, qui doit entrer en vigueur en septembre 2011, qualifiée par la plupart des organisations associatives de "Loi de la honte", elle prévoit ni plus ni moins de porter de 32 jours à 45 jours la durée maximale de rétention, de créer de nouvelles "zones d’attente", en plus de celles existant déjà dans les ports, aéroports, gares desservant l’international, tout près du lieu d’arrivée en nombre d’étrangers, en restreignant considérablement leurs droits, d’amoindrir notablement le rôle du JLD (Juge de la liberté et de la détention) qui ne pourra quasiment plus décider de la mise en liberté des étrangers "retenus", d’interdire à un étranger expulsé de retourner en France d’ici 2, 3 ou 4 années : une "double peine", au dire des associations, et enfin de rendre possibles des poursuites à l’encontre des "aidants"…

La création par N. Sarkozy d’un "Ministère de l‘immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement" a marqué un tournant, institutionnalisant l’amalgame entre les questions d’identité nationale et les questions de migrations. Cette grave dérive dans la politique française de l’immigration se traduit par des atteintes aux droits de la personne humaine : chasse à l’étranger dans la rue, les quartiers, les écoles, les foyers, les administrations, les hébergements d’urgence, les entreprises, pressions et incitations à la dénonciation, placements en garde à vue et mises en centre de rétention d’enfants et même de bébés, rafles, convocations-pièges et arrestations en préfecture…

Fichage, enfermement, expulsions… l’arsenal politico-judiciaire ne cesse d’être renforcé dans une obsession sécuritaire qui désigne les étrangers qui veulent venir en France ou qui y sont déjà comme une "menace", comme un "problème" qu’il faut résorber voire éliminer… au mépris total des droits.