Birmanie : à qui profite le gaz ?

Le rôle de la communauté internationale

, par CRISLA

Comme au Darfour, en Tchétchénie ou au Tibet, en Birmanie se pose plus que jamais la question du rôle des institutions internationales, de l’attitude ou de la marge de manœuvre des démocraties et du poids dérisoire de textes théoriquement contraignants. D’un autre côté, certains prônent le développement économique et technologique comme perspective de sortie des régimes totalitaires. Mais cette stratégie ne tarde pas à dévoiler ses limites dans le temps.

Positions des acteurs gouvernementaux

L’attentisme et le retrait des autres membres de l’ASEAN [1] vis-à-vis de la situation intérieure en Birmanie pourraient en partie s’expliquer par les soucis internes de ces pays en proie à leurs propres rébellions. Ces pays ne souhaiteraient pas en effet que la communauté internationale regarde de trop près leurs problèmes internes. Parmi eux, le gouvernement thaïlandais prône un "engagement constructif" envers la junte alors qu’il est en pleine crise politique ; Singapour qui accueille complaisamment les généraux et investit massivement en Birmanie ; le Cambodge qui reste en retrait, peinant lui-même à se remettre sur pied ; le Vietnam et le Laos, dirigés par des partis communistes peu désireux de partager le pouvoir ; l’Indonésie, démocratie musclée en prise avec la montée de revendications ethniques et des mouvements islamiques ; les Philippines qui demandent la libération d’Aung San Suu Kyi mais qui n’osent aller plus loin tant dominent sur place clientélisme, prébendes, coups de force et corruption sur fond de guérillas dans les îles du sud ; la Malaisie qui, alors qu’elle est en prise avec des tensions inter-religieuses, considère avec méfiance toute initiative qui pourrait faire école dans la sous-région ; Brunei enfin qui emboîte le pas à ses partenaires de l’ASEAN, ce qui en dit long…

Le Japon, jusqu’aux événements de septembre 2007, restait le donateur le plus généreux en terme d’aide publique au développement officielle en Birmanie. En outre, à l’instar de TOTAL pour la France, le Japon est impliqué dans l’exploitation du gaz birman (champ de Yetagun à Tanintharyi dans le golfe de Martaban) à travers la Nippon Oil Exploration Ltd. Depuis les événements de septembre 2007, il a suspendu en partie son aide publique et adopte un ton moins conciliant, louvoyant ainsi entre la carotte et le bâton.

Pour Pékin, la politique de non-ingérence prime. Ainsi, la Chine a empêché le conseil de sécurité de l’ONU de se saisir du dossier birman et y a mis son veto. Elle reste en effet le principal partenaire économique de la Birmanie, son principal fournisseur d’armes et les compagnies chinoises se taillent la part du lion dans l’exploitation des richesses naturelles birmanes.

L’Inde, jusque vers la fin des années 1980, s’en tenait à une certaine réserve vis-à-vis du régime birman, tout en se montrant accueillante envers les réfugiés politiques. La concurrence avec la Chine, la montée des mouvements armés dans les provinces frontalières avec la Birmanie et la défense de ses intérêts commerciaux et énergétiques ont poussé l’Inde au changement vers plus de coopération avec les généraux. Cela s’est concrétisé par des accords commerciaux, l’investissement de compagnies indiennes sur les champs gaziers de la côte arakanaise et le projet de développement du port de Sittwe. Néanmoins, l’Inde a suspendu ses livraisons d’armes depuis les événements de septembre 2007 montrant qu’elle reste assise entre deux chaises.

Un acteur remarqué depuis 2007 sur la scène birmane est la Russie, dont l’agence atomique a l’intention de construire un centre de recherche nucléaire en Birmanie. En outre, l’achat à la Russie par les généraux d’armement antimissile et l’investissement en Birmanie d’une compagnie aurifère russe en février 2008 montrent les liens étroits qui unissent ces deux régimes autoritaires.

Selon la radio japonaise NHK en avril 2008, la Corée du Nord fournirait également des armes conventionnelles et des missiles à la Birmanie alors que les relations diplomatiques entre les deux pays, qui étaient interrompues depuis 1983 ont repris en 2007.

L’entrée de la Russie et de la Corée du Nord sur la scène militaire birmane pourrait ainsi suggérer la volonté des généraux d’accéder à la technologie nucléaire et balistique.

L’ONU, qui a tenté ces dernières années de favoriser le dialogue entre les généraux et l’opposition démocratique via une série d’émissaires, semble avoir échoué jusqu’à présent dans ses démarches, comme l’illustre le fiasco de la dernière visite en Birmanie en août 2008 de l’émissaire nigérian de l’ONU Ibrahim Gambari.

Le soutien de Pékin et Moscou au conseil de sécurité en janvier 2007 (avec usage de leur droit de veto), puis en septembre 2008, a permis au représentant de la junte de demander devant l’Assemblée Générale de l’ONU la levée des sanctions internationales sur la Birmanie.
Au même moment, le gouvernement français s’est lui-même contenté de demander aux investisseurs et en particulier à TOTAL de geler les investissements en Birmanie, sans parler de retrait.

Positions des acteurs non gouvernementaux

Certaines organisations non gouvernementales choisissent, hors du territoire birman, de mener des actions de plaidoyer auprès des gouvernements et des sociétés transnationales qui opèrent en Birmanie, leur demandant de se retirer du pays pour ne pas financer la junte. Les succès sont mitigés face aux acteurs russes, indiens ou plus encore chinois.
D’autres, moyennant un mutisme de façade, négocient avec le régime militaire pour pouvoir mener des actions humanitaires dans certaines régions de Birmanie, que ce soit auprès de minorités opprimées ou bien auprès des victimes de catastrophes naturelles. Là encore, le succès de ce type d’intervention peut être sujet à discussion tant que la politique coercitive des militaires perdure.

Perspectives

Il est possible d’imaginer toutes sortes d’évolutions futures en dehors du schéma "dictature/démocratie" d’autant que le contexte géopolitique actuel joue sa part dans la destinée immédiate du pays et ce, dans un sens qui ne correspond pas nécessairement à l’idéal d’opinion publique occidentale. Car en multipliant les coups de boutoirs à une junte en veine d’ennemis extérieurs, l’Occident ne l’amène pas seulement à se fermer à son influence ; il l’oblige d’une certaine manière à s’ouvrir à d’autres. Ce constat est partagé par le cercle de réflexion stratégique International Crisis Group (ICG), dans le bilan des sanctions économiques prises par les pays occidentaux à l’encontre de la Birmanie.

Notes

[1Organisation politique, économique et culturelle des Nations du Sud-Est asiatique (ANASE en français) que l’on désigne plus souvent par le sigle anglais (ASEAN). Regroupe 10 pays : les cinq états fondateurs en 1967 : l’Indonésie, la Malaysie, les Philippines, Singapour et la Thaïlande rejoints par le Brunéi (1984), le Vietnam (1995), la Birmanie, le Laos (1997) et le Cambodge (1999)