Le ragi plutôt que le riz

, par Infochange , SIDDHARTHA Ananda

Comme dans le reste de l’Inde, dans le taluka de Pavagada au Karnataka, le ragi perd du terrain face au riz, à l’arachide et à d’autres cultures commerciales. Jusqu’à il y a 15 ans, c’était l’inverse. Quelles sont les pressions du marché et de la politique qui ont causé ce revirement, et quelles sont ses conséquences sur la santé, la nutrition, la productivité et la lutte contre les sécheresses ?

Dès le 16ème siècle, Kanakadasa, l’un des grands philosophes et poètes du Karnataka, a écrit sur les avantages du ragi par rapport au riz. Dans Ramadhanyacharitre il raconte un différend entre le riz et le ragi (une variété de millet). Aucun de ces grains ne pouvait prouver sa supériorité, alors ils demandèrent au Seigneur Rama de décider. Il les envoya tous deux en prison pour six mois. Après quelques mois, le riz commença à pourrir, mais le rustique grain de ragi survécut et obtint les bénédictions de Rama. Non seulement est-ce une histoire à propos de la longévité du ragi, mais il s’agit aussi d’un message social qui indique que les castes les plus faibles pourraient ne pas être aussi faibles qu’elles semblent l’être.

Chandan Gowda, professeur associé au Centre pour l’Étude de l’Exclusion Sociale à la Faculté nationale de droit, dit que la couleur sombre du ragi serait la principale raison de son statut inférieur. Le ragi mudde a longtemps été l’aliment de base des populations pauvres, en particulier dans les régions les plus sèches du sud du Karnataka, qui n’ont pas eu d’irrigation jusqu’au début du 20ème siècle. Le ragi n’est pas cuisiné pour les invités lors d’occasions sociales, comme les mariages ou les fêtes. La supériorité du riz est, en quelque sorte, une extension du système de castes.

Il est peu avant 11 heures, mais le soleil semble déjà être à son zénith. N. L. Ravi Kumar se penche sur ses plants fleuris de kanakambaram (crossandra), arrachant les mauvaises herbes. Les plantes ont été arrosées il y a une heure à peine, mais le sol n’en montre aucun signe. Le kanakambaram est seulement l’une des espèces que cultive Kumar, les autres étant le ragi, l’arachide et le riz. En désignant du doigt son père, qui fait paître des moutons sous un jacquier, Kumar explique que de son temps il consacrait l’intégralité des 2,5 hectares de leurs terres pour le ragi et autres mils et pour les légumes. Quand le fils a repris, le marché l’a cependant forcé à s’adapter. Aujourd’hui, il y a peu de demande pour le ragi sur le marché libre. De plus, le prix qu’il atteint est trop faible pour faire vivre une famille. Kumar cultive maintenant du ragi sur 0,2 ha seulement ; le reste est consacré à l’arachide, au riz et aux fleurs.

Le ragi a été cultivé en Inde, et en particulier dans l’État du Karnataka, au sud de l’Inde, pendant des milliers d’années. Cependant, depuis ces trente dernières années, cette culture est en déclin. Dans le taluka de Pavagada, près de la frontière avec l’Andhra Pradesh, il y a eu une désaffection majeure de la culture du ragi et d’autres cultures traditionnelles au bénéfice de cultures commerciales comme l’arachide, le tournesol, le tamarin, la noix de coco, la mangue, la noix d’arec (noix de bétel) et le karanj (pongamia pinnata). Aujourd’hui, seulement environ 600 à 800 hectares de ragi sont cultivés dans le taluka alors que le riz couvre 3.000 hectares. « C’était l’inverse il y a de cela 10 ou 15 ans », explique Pannegendra Gupta, directeur technique au département de l’agriculture, Pavagada.

Le bas prix du ragi sur le marché a obligé les agriculteurs à se tourner vers une agriculture commerciale. « Dans le passé, le ratio entre les cultures marchandes et les cultures alimentaires était très faible. Ce qui s’est passé, c’est que les cultures marchandes ont pris le devant de la scène et les cultures vivrières ont extrêmement diminué. La tendance est de cultiver des cultures commerciales plutôt que d’assurer sa propre sécurité alimentaire », explique Vatturi Srinivas, membre de longue date de la Société de développement du Deccan et coordinateur national du Réseau du millet d’Inde. Ceci a été aggravé par le fait que le gouvernement accorde des subventions pour les cultures commerciales mais pas pour les cultures vivrières.

« Il n’y a strictement aucun soutien du gouvernement. Le seul soutien qu’ils donnent occasionnellement est pour l’arachide, mais rien pour la culture du ragi. L’agriculture n’est pas facile pour les paysans de cette région », explique Kumar. Le coût des semences par acre pour la culture de l’arachide est de 2.500 roupies (soit 85 Euros par hectare). Le gouvernement accorde une subvention de 50% pour cela.

P. R. Seshagiri Rao, ancien élève de l’Institut indien des sciences à Bangalore, pense également qu’il y a eu un changement vers la culture de l’arachide. « Maintenant, vous ne trouverez pas 2 hectares d’une autre culture (que l’arachide) dans cette région ». Il soutient également que les cultures vivrières ont reculé parce que la sécurité économique est devenue plus importante que la sécurité alimentaire. « Cette seule région reçoit environ 50 crores (500 millions) de roupies de subventions pour la culture de l’arachide. Sans cette subvention, les agriculteurs n’auraient pas pu cultiver d’arachide », ajoute-t-il avec une pointe de cynisme.

Le passage à des cultures commerciales a soulevé un autre problème : la diminution de la productivité des terres. Selon Rao, même si les pâturages ont été mis sous culture après la sécheresse de 2003, la productivité par hectares a en fait baissé à cause de l’augmentation de l’utilisation d’engrais chimiques. La productivité des terres a diminué « de probablement 75% par rapport à environ sept ou huit ans, » explique Rao. « Il en va de même pour la capacité de rétention d’eau et la quantité de nutriments dans le sol. »

Couplée à ce problème, l’exode rural de la région pourrait s’avérer un désastre pour l’agriculture. Au cours de la dernière décennie, une partie non négligeable de la population a migré vers Tumkur, Anantapur et Bangalore. Bien que les chiffres exacts ne soient pas disponibles, Rao estime que jusqu’à 75% de la population aurait migré rien que vers Bangalore après la sécheresse de 2003.

Kumar reconnaît que son village a été confronté au même problème. « Les garçons tout comme les filles partent pour les grandes villes, en particulier ceux qui sont instruits. Les filles se marient tôt. Les hommes ne veulent pas rester ici et devenir agriculteurs. Ils n’y voient aucun avenir. Seuls les plus pauvres parmi les pauvres sont contraints de rester. Cela rend difficile pour les paysans en place de trouver des coolies (travailleurs). » Kumar obtient un maximum de 3 quintaux (300 kg) de ragi à la demi-acre (0,2 ha). Auparavant, son père obtenait environ 8 quintaux à l’acre. Contrairement à lui, Kumar ne pratique pas la polyculture, qui implique de cultiver du millet en même temps que des légumineuses et d’autres cultures telles que le horse gram (macrotyoma uniflorum), le ricin et le haricot mungo.

Le millet continue à être cultivé dans la région, mais la superficie a diminué de manière drastique. En dehors du ragi il y a un certain nombre d’autres millets cultivés ici : le millet de Kodo, le millet commun, le millet italien, le petit mil, le millet de Sawa et le millet perlé. Ces millets étaient très répandus dans le passé, mais aujourd’hui, seuls quelques paysans éparpillés dans le taluka les cultivent.
Le ragi partage le même sort que les autres millets. Rao explique qu’il y en avait environ 10 variétés, mais qu’au cours de la dernière décennie, des variétés telles que le ragi konnanakumbina, le ragi kari et le ragi butta ont disparu. Avec la commercialisation de l’agriculture et le développement des cultures de rente, la diversité des cultures a souffert. « Par le passé, dans certaines régions, les agriculteurs avaient planté pas moins de 50 variétés différentes de cultures sur 1 acre de terrain. Elles arrivaient à maturité à différentes périodes et il y avait donc un approvisionnement constant. Elles s’étaient également adaptées à l’environnement : s’il pleuvait, certaines cultures poussaient, s’il ne pleuvait pas, d’autres cultures s’épanouissaient », se souvient Srinivas avec nostalgie.

Rao insiste sur le fait que de nouvelles cultures telles que le souci et le soja, qui ont été introduites au cours des 10 dernières années, ont ajouté à la diversité des cultures, mais la biodiversité agricole dans son ensemble a diminué. « La biodiversité agricole, le stock de variétés plantées pendant environ 2000 ans, ont été érodés de façon substantielle. Ceci est une perte définitive. Une fois que vous la perdez, vous la perdez pour toujours », dit-il. « Traditionnellement, les herbes sauvages recueillies dans les champs étaient utilisées comme nourriture. Toutefois, ces plantes n’accompagnent bien que les boulettes de ragi, et non le riz. Le passage au riz a détruit ces combinaisons culinaires traditionnelles. Ces plantes sauvages ne sont plus populaires. Maintenant, les agriculteurs sont obligés d’acheter des légumes du marché ce qui alourdit leur fardeau financier », explique Rao.

Cultiver du ragi est bénéfique car il fournit également du fourrage pour le bétail. Environ 2 tonnes de fourrage utilisable sont produites sur 1 acre de terrain. « Le ragi est autant cultivé pour le fourrage que pour le grain lui-même », dit Rao.

Près de la maison de Kumar, l’odeur âcre de bouse de vache flotte dans l’air. Ses deux taureaux, occupés à mâcher du fourrage, sont probablement ses biens les plus précieux. Ses bovins sont une manne non seulement parce qu’ils lui fournissent de la bouse de vache tout au long de l’année, mais aussi parce qu’ils sont utilisés pour labourer la terre. D’autres agriculteurs qui ne peuvent pas se permettre de louer un tracteur et qui n’ont pas de bétail trouvent qu’il est extrêmement difficile de s’en sortir. « Les paysans qui ne possèdent pas leurs propres taureaux doivent attendre que leurs voisins finissent de labourer. Parfois, ce délai leur est préjudiciable, car semer au bon moment est important, » dit Kumar.

L’air dans la maison de Kumar est rempli de l’odeur du ragi qui bout. Sa femme, Rathnamma, est affairée à préparer un sambar pour accompagner le ragi. Kumar affirme que dans toute le taluka, seuls10% des gens mangent du ragi, le reste mange du riz. « Il faut manger du mudde (boules de ragi) avec du curry de haricots mungo. Ce n’est généralement pas mangé avec du riz. De nos jours, les gens mangent ce dont ils ont envie. Ils ne suivent pas la tradition. J’ai deux filles à la maison. Si nous faisons du mudde à la maison, elles ne mangent pas. Elles veulent du riz. Elles préfèrent le riz. Moi, j’ai grandi en mangeant du ragi. J’en connais les bienfaits. Voilà pourquoi les enfants doivent être élevés au ragi. Il en va de même pour nos cultures, qui doivent être nourries au gobra (bouse de vache) à la place des engrais chimiques », dit-il en mettant la table pour le repas.

Il y a non seulement eu un détournement du ragi vers le riz, mais moins de plats sont aujourd’hui à base de ragi. Les agriculteurs de la région ne font que des mudde (boulettes) et des chapati (galettes) de ragi. Dans le passé, il y avait au moins six plats dont le ragi était l’ingrédient principal.

Alors que nous nous asseyons pour manger, Kumar s’excuse de ne pas servir de riz. « Si vous mangez des boulettes de ragi, vous pouvez travailler pendant deux à trois heures sans vous arrêter. Mais, avec du riz, vous êtes fatigué après seulement une heure et vous devez vous reposer. Les gens ont trop l’habitude de manger du riz raffiné ici. Le riz n’a pas de valeur nutritive, mais les gens en mangent quand même », explique Kumar en secouant la tête.

Avoir une alimentation adéquate est un problème de longue date dans le taluka. Avec plus de 80% de la population vivant au-dessous du seuil de pauvreté, la plupart dépend du système de distribution publique (PDS) pour le riz et le blé. Plus tôt, à Bangalore, Srinivas avait dit : « Le riz donné par le PDS est à la fois raffiné et de qualité inférieure et est donc moins nourrissant. » Cela a été préjudiciable à la santé de la population dans toutes les zones arides, y compris le taluka de Pavagada. « J’ai vu une augmentation du nombre de cas de malnutrition dans le taluka », explique K. G. Jagadish, médecin généraliste au centre de santé primaire Y.N. Hosakote. « Les cas de cholestérol, de diabète et d’hypertension artérielle étaient rares auparavant. L’anémie et les problèmes pendant la grossesse chez les femmes et les jeunes filles ont également augmenté ces derniers temps », ajoute-t-il. « Ceci est principalement dû à la consommation du riz et du blé distribués par le PDS ».

Le manque de sensibilisation sur les qualités nutritionnelles du ragi ne semble pas être le problème. « Les gens sont au courant. Ils savent que le ragi c’est mieux. Nous n’avons pas besoin de le leur enseigner. Ils vous le diront. Pourtant, ils continuent à acheter du riz, parce que c’est beaucoup moins cher », m’avait dit Seshagiri Rao plus tôt. « Pourquoi achetez-vous un téléphone chinois ? » Il éclate de rire. « Je n’ai pas besoin de vous dire que c’est mauvais. Vous faites un choix économique. Vous connaissez les inconvénients. Pourtant, vous l’achetez. » Le riz du PDS est moins cher que le ragi sur le marché libre.

Ce choix économique a affecté la santé des gens. « Les handicaps ont augmenté en raison des niveaux nutritionnels inférieurs. C’est le PDS qui est à blâmer », explique Surendra Kumar, qui est un superviseur de réadaptation communautaire à la Narendra Foundation, une ONG qui travaille avec les personnes handicapées dans le taluka. « Cette génération ne se soucie pas des apports nutritionnels. Dans le passé, les gens mangeaient du ragi à au moins un repas par jour. C’était généralement le matin avant d’aller travailler aux champs. Le soir, ils mangeaient du riz. Aujourd’hui, les gens sont préoccupés par la nourriture qui a bon goût », ajoute-t-il.

Au fil des ans, le PDS a compromis l’importance accordée par la communauté locale à la culture du ragi et d’autres millets. Alors qu’auparavant les agriculteurs dépendaient de leur propre production pour les céréales alimentaires, ils peuvent maintenant obtenir du riz et du blé subventionnés par le PDS. « Dans l’Andhra Pradesh et le Karnataka c’est un problème très grave. A cause du PDS et du riz et du blé bon marché qu’il fournit, beaucoup de terres sont laissées en jachère. Même les paysans pauvres ne ressentent pas la nécessité de cultiver leurs terres puisqu’ils peuvent acheter des céréales peu chères si facilement », dit Srinivas. Le riz et le blé sont les seules céréales alimentaires distribuées par le PDS.

Srinivas et ses collègues du MINI (Réseau du millet d’Inde) croient qu’il y a un besoin urgent de relancer le ragi et d’autres millets, et d’introduire le ragi dans le PDS. Avec la loi sur la sécurité alimentaire en cours d’élaboration, les membres du MINI ont envoyé aux décideurs politiques une lettre mettant en évidence les questions dont ils pensaient qu’elles nécessitaient un réexamen avant que le projet de loi ne soit déposé au Parlement.

Certaines de leurs exigences étaient :
• inclure les millets dans le PDS.
• donner la priorité aux céréales produites localement, en particulier les millets.
• fournir un soutien financier et technique aux cultivateurs de millets.
• Insister sur l’agriculture biologique afin de maintenir la diversité et le contenu nutritionnel de l’agriculture, et l’amélioration du sol.
• Établir des liens directs entre les marchés et les agriculteurs ce qui permettrait l’élimination des intermédiaires.
• Développer des installations de stockage appropriées pour s’assurer que les agriculteurs ne soient pas obligés de vendre leurs grains et donc de dépendre du marché pour leurs propres besoins. Si le gouvernement met en place des systèmes de stockage au niveau local, ce problème pourrait être résolu.
• Servir de la nourriture à base de millet dans les foyers du gouvernement, les écoles et les anganwadis (centres pour l’enfance appuyés par le gouvernement) pour assurer une nutrition de qualité aux enfants.

« Nous avons parlé à Sharad Pawar et Abhijit Sen de la Commission de planification et ils ont dit que l’achat de millet pour les besoins civils n’a pas été fait parce que la qualité du stockage n’est pas bonne. Il y a beaucoup de politique derrière ceci, à cause des lobbies du riz et du blé », déclare Srinivas.

P. Sainath, journaliste chevronné et rédacteur en chef des affaires rurales à The Hindu, a un autre avis. Il maintient que malgré le fait que « le renouveau et l’expansion de la culture du millet sont très importants », cela ne se résume pas seulement à de la politique. « Il n’y a pas de complot derrière la destruction du millet. C’était une issue logique, bien que perverse, de l’orientation que nous avons prise dans l’agriculture, qui a eu l’effet de réduire considérablement la diversité des cultures vivrières, tout comme un million d’autres choses... Si les choix politiques imposent que seuls le blé et le riz reçoivent de l’aide ou des subventions, alors ils (les agriculteurs) se sentiront obligés de cultiver cela », explique-t-il. [...]

Le riz, le blé, le sucre, l’huile et le kérosène sont fournis via le PDS, mais pas dans les bonnes quantités. A Pavagada, les familles reçoivent rarement les 20 kg de riz qui leur sont impartis. « Il y a beaucoup de corruption en termes de prix et de quantité donnée. Nous sommes supposés obtenir du riz à 3 Rs par kg mais ils nous le font payer 3,25 Rs. Même cette petite somme d’argent que nous devons payer en plus nous affecte dans le scénario actuel, où les oignons sont à 60 Rs le kilo, l’ail à 120 Rs le kg et les tomates à 40 Rs le kg. Ils devraient commencer à fournir aussi ces légumes de base dans le cadre du PDS. Comment allons-nous survivre dans ces conditions ? », demande Kumar.

Comme d’autres agriculteurs dans le taluka, Kumar insiste pour que du ragi soit proposé par le PDS. Cela garantirait que les gens aient du ragi toute l’année et pas seulement pendant six mois comme c’est le cas maintenant. « Le gouvernement devrait donner du ragi au lieu du blé. Ce sera bon pour tout le monde. Cela garantira que nos enfants grandissent en bonne santé. Cela devrait faire partie du programme de distribution des repas du midi également. En outre, le ragi a un effet refroidissant sur le corps, il ne génère pas de chaleur », explique Kumar [...].

Une Siridhaanya Mela (foire au millet) de deux jours qui s’est tenue à Bangalore en février de cette année a lancé un appel pour la promotion du millet dans l’Etat. Il reste à voir dans quelle mesure ils obtiendront la réalisation de leurs objectifs. Avec 20.450 magasins PDS et 12 millions de titulaires admissibles de cartes de rationnement au Karnataka, « introduire les millets pourrait simplement inaugurer une nouvelle direction dans la recherche de l’Etat et du pays de la sécurité et de la souveraineté alimentaires, qui sont toutes deux devenues de plus en plus importantes », explique P.V. Satheesh, directeur de la Société de développement du Deccan. Selon une estimation du groupe de travail sur le biocarburant du Karnataka (Bio Fuel Task Force), l’Etat dispose d’environ 1,35 millions d’hectares de terres dégradées et en jachère. « Elles pourraient être utilisées pour cultiver du ragi et d’autres mils et assurer la sécurité alimentaire de l’Etat », ajoute Satheesh. « Les statistiques du gouvernement montrent qu’il y a environ 25 millions d’hectares de terres en jachère en Inde. Si les agriculteurs sont incités à cultiver du millet sur ces terres, on obtiendra un minimum de 25 millions de tonnes de nourriture », dit Srinivas.

Dans un contexte de réchauffement climatique et d’évolution des schémas pluviométriques, les millets ont également le potentiel pour lutter contre la pauvreté et la faim et réduire l’impact de la crise climatique. Leur capacité à croître dans un sol pauvre non irrigué et dans des conditions de faible pluviosité a ajouté à l’idée que les millets sont les cultures de l’avenir. Le riz et le blé, deux des céréales alimentaires les plus produites en Inde, relèvent du groupe de cultures C3. Elles absorbent moins de carbone et sont gourmandes en eau. Les millets, au contraire, sont des cultures C4 ; ils ont une absorption de carbone plus élevée et utilisent l’eau de manière plus efficace. Ils peuvent également servir de puits de carbone en absorbant plus de dioxyde de carbone de l’atmosphère. « Au lieu de profiter des avantages naturels des millets, les scientifiques essaient de convertir le riz et le blé en cultures C4 par modification génétique », dit Srinivas avec un sourire cynique.

Il m’a dit que, dans certaines régions, les agriculteurs ont étudié les aléas de température et ont reconnu que leurs stocks de semences traditionnelles les ont aidés à « s’adapter ». Ces agriculteurs ont obtenu environ 75% de la production qu’ils dégageaient normalement, en dépit des changements défavorables du temps. « Nous n’avons pas besoin d’investir du temps et de l’argent dans la modification génétique de plantes pour nous adapter aux différents schémas climatiques. Nous avons déjà des cultures qui poussent dans ces conditions. Nous avons besoin de faire revivre ces cultures traditionnelles. Les capacités naturelles des variétés vont devenir très importantes à l’avenir. La monoculture n’est pas l’avenir. La diversité est de la plus haute importance », déclare Srinivas.

Alors que le soleil descend sur le paysage aride, Kumar dit qu’il devra peut-être renoncer à cultiver même le peu de ragi qu’il produit actuellement. C’est devenu financièrement non viable. « Même moi je risque de céder et de cultiver des fleurs pour faire plus d’argent », dit-il. Son vieux père ne va pas aimer ça.