L’immigration en France : histoire, réalités et enseignements…

Le processus d’unification et d’intégration

, par ASIAD , M’BODJE Mamadou

Guide de survie pour répondre aux préjugés sur les migrations
Illustration de Claire Robert

Les débuts du processus

C’est à partir de la Révolution française que la question de l’immigration, ou plutôt des immigrations en France, prend un sens. D’abord parce que la France a pris une conscience. Certes les diversités demeurent, mais la Révolution a donné corps à la conscience nationale dans un État unitaire, État de droit et État rationnel.

Face à l’État monarchique plurinational, divers, et aux frontières floues, où l’unité tient à la personne du souverain, la France invente l’État-nation, dans lequel la nation, aux critères contractuels et consensuels, est le facteur de cohésion.
Aussi devient-il essentiel que rien ne vienne perturber ni pervertir l’unité de la nation, au moins face à l’étranger ; il faut alors définir des conditions d’appartenance à la nation.

L’émancipation des non catholiques est à ce point de vue très éclairant : il n’y a plus de corps intermédiaires, de privilèges, de nations particulières, tous doivent se fonder dans la nation française, c’est ce qu’on appelle l’assimilation culturelle, linguistique… Le problème étant de savoir la dose de pluralisme et la marge de liberté que l’appartenance à la nation française laisse à des minorités culturelles ou religieuses.

Plus encore, la perception de l’immigration comme un phénomène global posant un problème révèle une crise de la société française, une hésitation sur l’identité de la France liée à la remise en cause de l’État-nation comme référence et lieu d’appartenance unique de l’individu citoyen.

Ayant dû abandonner sa richesse culturelle interne après d’âpres et pesantes luttes, la France exigera de ses immigrés de renoncer à leur culture pour pouvoir s’installer durablement. L’intégration française a en conséquence toujours caché une pression assimilationniste.

La question identitaire

Il n’existe donc plus de référence unique, et c’est ce que l’immigration douloureusement révèle et que la conscience française, habituée à des certitudes et à une vision fixiste de la population et de l’identité française, a du mal à admettre.
Mais ce que l’histoire peut apporter, ce sont les conditions pour traiter des problèmes concrets que connaissent les populations immigrées avec sérénité et de façon efficace, sans se laisser aveugler par les mythes, et ceci sans tomber dans les schémas idéologiques.

En voyant aujourd’hui l’arrivée ou plutôt l’installation définitive de populations différentes sur le territoire français, il est bon de rappeler que la population française est hétérogène et que sa composition a constamment changée par suite d’apports étrangers.

Même le terme polémique « d’invasion étrangère » peut être relativisé en rappelant que la population occupant le territoire français actuel a été constitué par des invasions successives, mais aussi par des échanges de population ou par des infiltrations pacifiques dont le terme trop moderne d’immigration rend mal compte.
L’idée d’immigration renvoie en effet à un certain état politico-social qui fait de la citoyenneté, donc de la nationalité, la condition de la participation aux décisions du peuple souverain.

Aujourd’hui encore, le retour des affirmations identitaires entraîne une tentation de se recroqueviller sur ce modèle historique ne reconnaissant que des individus abstraits non socialement déterminés et non culturellement reliés.

Le cas de Mme D…illustre les difficultés que rencontrent beaucoup d’étrangers en situation régulière qui désirent acquérir la nationalité française. Elle relate son histoire à l’occasion du premier entretien lors de son passage à la permanence de l’ASIAD en 2012 :

Mme D… : J’ai trois enfants nés en France, de nationalité française, disposant de leurs certificats de nationalité française et qui suivent une scolarité régulière. Par ailleurs, je dispose d’une carte de résident valable dix ans, d’un logement adapté et d’un emploi stable.
Mon mari est décédé à Paris en 1990 ; j’ai depuis, la charge de mes enfants et de la famille restée au Sénégal. C’est-à-dire mes beaux-parents, mes parents, etc.
C’est en mars 2007 que j’ai déposé ma demande de naturalisation auprès de la Préfecture de Police de Paris, accompagné de toutes les pièces utiles à l’instruction de ma demande. Il m’a été remis une attestation de dépôt d’une demande de naturalisation.

Depuis cette date, la Préfecture de Police m’a adressé à trois reprises des imprimés pour déposer à nouveau une demande sans me donner des explications.
À chaque rendez-vous, je suis obligée de fournir les mêmes pièces. Je ne sais toujours pas pourquoi ma demande de naturalisation traîne depuis 2007. Malgré mes nombreux passages au bureau des naturalisations pour me renseigner, la réponse est toujours la même : votre demande est en cours d’examen...

…J’ai pris un rendez-vous avec le Maire en 2009, il m’avait promis de faire un courrier à la Préfecture de Police, mais comme je n’ai reçu aucune information de sa part depuis notre rencontre, je ne suis pas retournée le voir.
Je suis en relation avec l’assistante sociale de mon quartier depuis le décès de mon mari. Elle connaît toutes mes difficultés matérielles et administratives, mais ne peut intervenir sur ce genre de problème.

C’est une formatrice de l’association où je prends des cours de français depuis plusieurs années qui m’a parlé de l’ASIAD ; je n’ai pas sollicité d’autres associations sur cette question.
À l’issue de ce rendez-vous avec l’ASIAD, l’intéressée a introduit une nouvelle
demande qui a fait l’objet d’un refus. Un recours contestant ce refus est en cours.

Il devient donc utile de rappeler quelques éléments des conditions à remplir avant le dépôt d’une demande, indépendamment de l’intégration dans la société française qui est en lien avec les dispositifs du CUCS : Contrat Urbain de Cohésion Sociale (voir page 10).

Les conditions de la naturalisation

En règle générale, seule une personne majeure peut demander à être naturalisée (article 21-22 du Code civil).
Résidence en France : le requérant doit, d’une part résider en France au moment de la signature du décret de naturalisation ; d’autre part, justifier d’une résidence habituelle en France durant les cinq années qui ont précédé le dépôt de sa demande (articles 21-16 et 21-17 du Code civil).
La résidence en France suppose que l’intéressé ait fixé en France, de manière stable, le centre de ses liens familiaux et de ses intérêts matériels.
Il ne suffit donc pas qu’il séjourne régulièrement en France ni qu’il y soit domicilié : il faut, selon la formule consacrée par la jurisprudence, qu’il y ait son « domicile de nationalité ».
Pour apprécier si la condition est remplie, la pratique administrative confortée par la jurisprudence, tient compte notamment du niveau et de l’origine des ressources, d’une part, du lieu de résidence de la famille d’autre part.
Dans l’état actuel des pratiques et de la jurisprudence, on exige en général du postulant :

  • qu’il dispose de revenus personnels et stables lui permettant de subvenir à ses besoins ;
  • que la source de ses revenus, qu’ils proviennent de l’exercice d’une profession ou de sa famille, soit localisée en France ;
  • qu’il ait la totalité de ses proches attaches familiales –conjoints et enfants mineurs- en France. Si le conjoint ne réside pas en France, il faudra qu’il justifie d’une procédure de divorce, d’une séparation de fait, ou encore du caractère temporaire de la séparation : par exemple pour des raisons de santé ou pour des raisons professionnelles, à condition que la personne qui demande la naturalisation dispose elle-même en France d’une autonomie financière.

Enfin, la demande de naturalisation étant personnelle, les conditions de sa recevabilité s’apprécient au regard de la seule personne du requérant : en conséquence, l’administration ne saurait opposer au requérant le fait que son conjoint n’ait pas présenté de demande de naturalisation…

Les contradictions

Guide de survie pour répondre aux préjugés sur les migrations
Illustration de Claire Robert

Même si on considère que l’intégration est plus qu’une coexistence, il est perceptible que les moyens de l’intégration se heurtent à des limites et rencontrent les effets inattendus ou pervers des politiques technocratiques.

L’intégration ne se décrète pas ; elle se négocie et se construit par des ajustements constants. Elle ne peut être unilatérale.

Les moyens institutionnels de l’intégration sont relativement simples à énumérer. Ainsi, pour les résidents étrangers, ils sont au nombre de cinq :
l’égalité de traitement avec les nationaux – aujourd’hui presque totalement réalisée dans les textes ;

  • l’acquisition de la nationalité consacrant l’égalité totale des droits – notamment les droits politiques et le statut personnel du pays de résidence (droit du nom, de la filiation, du mariage, des successions, autrement dit le droit des personnes et de la famille), souvent plus avantageux que le statut d’origine pour les femmes et les enfants notamment ;
  • les politiques sociales de logement, d’emploi, de formation ayant pour mission de combler les inégalités et d’assurer au mieux une certaine égalité des chances ;
  • la lutte contre les discriminations par les moyens du droit civil, administratif et pénal, que ces discrimination s’expriment par l’injure ou la diffamation, par des refus de service ou d’embauche, qu’elles soient motivées par l’appartenance ou non à une race, une ethnie, une religion, une nationalité ou à raison du sexe, et qu’elles soient une action ou une omission ;
  • les droits politiques au niveau local, garantissant la représentation individuelle et la participation au-delà des associations.

La politique française recourt aux quatre premiers instruments. Le dernier reste l’apanage des démocraties nordiques, qui n’ont pas hésité depuis les années 85 à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux étrangers.
Le débat sur la citoyenneté locale a été ouvert dès la fin des années 70, en France. Il ressurgit au gré des périodes électorales. Or n’est-ce pas là l’indice d’un traitement spécifique à l’immigration, depuis plusieurs années, celui d’un enjeu électoraliste, dont la charge symbolique est un des rares moyens de différentiation entre les discours politiques ? Il en résulte des attitudes manichéennes particulièrement néfastes à une démarche d’intégration.

Comment, dans ces conditions, aménager une meilleure intégration au sein de sociétés devenues hétérogènes et qui évoluent vers des sociétés « duales », segmentées autant par les différences culturelles que par les classes sociales ? Un phénomène de minorisation des communautés et une ethnicisation des relations sociales opèrent au détriment des plus pauvres.
Les conséquences en deviennent dramatiques lorsqu’elles se conjuguent avec la dégradation des conditions d’emploi, d’éducation et d’habitat. Comment vanter les différences au moment où s’accentuent les inégalités ? Peut-on concilier les revendications communautaires et la lutte contre les intolérances et les discriminations ?

C’est dans ce contexte que naît le Contrat Urbain de Cohésion Sociale, avec ses multiples dispositifs dont certains sont présentés ci-dessous.

Les nouveaux dispositifs d’accueil et d’intégration

Le cadre législatif évolue depuis ces vingt dernières années parce que la politique de l’immigration est toujours en cours de définition. Retenons ici, la naissance du Comité Interministériel à l’Intégration, par décret n° 89-881 du 6 décembre 1989 qui sera modifié par décret n° 2003-84 du 30 janvier 233. Le 10 avril 2003, le Comité a arrêté trois axes de réflexion :

  • Construire des parcours d’intégration pour les nouveaux migrants ;
  • Encourager la promotion sociale et professionnelle ;
  • Agir contre les intolérances pour l’égalité des droits.

À l’occasion de la réunion du Comité du 10 avril 2003 qui ne s’était pas réuni depuis 1990, la synthèse du programme annuel d’actions contenue dans le dossier de presse, indique … le gouvernement souhaite marquer un tournant en matière de politique publique d’intégration dans la république. Dorénavant, l’accueil de nouveaux migrants s’inscrira résolument dans une logique d’intégration à terme pour ceux qui le souhaitent. Parce que des hommes et des femmes se sentent ignorés par la République, détachés d’un projet commun il est impératif de renouer avec une ambition : assurer les conditions d’une promotion sociale et professionnelle, en un mot, réparer l’ascenseur social républicain.
Par ailleurs, la loi du 10 juillet 1991 avait réformé l’aide juridique et fondé le nouveau secteur de l’accès au droit.

Les CDAJ : Conseils Départementaux d’Aide Juridique, présidés par les présidents de tribunal de grande instance, sont chargés d’évaluer les besoins en matière d’accès au droit, d’établir une politique locale et partenariale de l’aide à l’accès au droit.
Instances regroupant les magistrats, les professionnels de la justice et les élus, ils visent la coordination des actions existantes et un meilleur ancrage territorial des initiatives. Les CDAJ placent d’emblée la politique locale d’accès au droit au niveau départemental.

Le bilan des CDAJ est relativement modeste : seuls 26 ont été créés et beaucoup ont fonctionnés sans consommer l’intégralité des crédits d’État qui leur étaient affectés.
La loi du 18 décembre 1998 sur l’accès au droit et la résolution amiable des conflits réforme la loi de 1991. Cette loi élargit le champ d’application de l’accès au droit par son article 53.

L’aide à l’accès au droit

L’aide à l’accès au droit comporte :

  • L’information générale des personnes sur leurs droits et obligations ainsi que leur orientation vers les organismes chargés de la mise en œuvre de ces droits ;
  • L’aide dans l’accomplissement de toute démarche en vue de l’exercice d’un droit ou de l’exécution d’une obligation de nature juridique et l’assistance au cours des procédures juridictionnelles ;
  • La consultation en matière juridique ;
  • L’assistance à la rédaction et à la conclusion des actes juridiques.

L’accès au droit dépasse le simple accès à la justice. Il s’agit d’intégrer le droit aux pratiques sociales par une meilleure information, une volonté de recourir plus fréquemment aux modes alternatifs de règlement des conflits.

Le décret du 19 avril 2000 précise les règles de fonctionnement des CDAD : Conseils Départementaux d’Accès au Droit et la loi de prévention de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 décline, elle, dans son article 1er, l’accès au droit comme un élément des missions des administrations et des structures publiques.
La loi du 29 juillet 1998 résulte en grande partie de l’action des associations de lutte contre la pauvreté. Ce sont elles qui ont placé l’accès au droit comme un élément constitutif de l’égale dignité de tous.

De la même façon, la loi du 18 décembre 1998 sur l’accès au droit n’aurait vu le jour sans le concours d’associations militants pour l’accès au droit, notamment : Droit d’Urgence.

Les effets des dispositifs

Les réponses de services publics : des centrales d’information administrative existent, ainsi que des sites d’information sur Internet, mais la question de l’accès à cette information, égale pour tous et au bon moment, n’est pas résolue. La couverture territoriale des besoins par une multitude d’initiatives plus proches des populations demeure limitée malgré dix ans d’efforts. Les CDAD, pas plus que les MJD : Maisons de la Justice et du Droit ou les PAD : Points d’Accès au Droit, ne sont pas généralisées.

Les réponses militantes syndicales et associatives se caractérisent par leur diversité, leur inventivité, leur souplesse et adaptabilité. Mais elles demeurent pour la plupart fragiles tandis que la qualité est très variable. Les réponses du marché sont partagées par différents acteurs qui ont plus ou moins le choix du partenariat ou de la concurrence :

  • L’assurance de protection juridique se développe ;
  • Des avocats s’organisent pour occuper une place sur le marché de la formation et du conseil ;
  • Des éditeurs conçoivent des outils divers : littérature juridique et presse spécialisée ; importante croissance des publications de guides des droits et des modes de recours ; outils pédagogiques destinés à l’initiation au droit.

Certaines associations sont inscrites dans la logique du marché, ou du moins vues comme des concurrents par les acteurs du marché, parce qu’elles offrent des prestations en matière d’accès au droit, d’aide aux victimes, ou de médiation, pour lesquelles elles sont subventionnées, parfois dans des proportions importantes.

C’est le cas d’associations issues ou très proches d’instances judiciaires (beaucoup d’associations d’aide aux victimes sont dans ce cas, ainsi que des associations habilitées par la justice pour le suivi éducatif des mineurs et qui développent l’accès au droit comme champ secondaire). Mais aussi d’associations qui ont une mission de service public généraliste comme le CNIDF : Centre National d’Information sur les Droits des Femmes, l’ADSEA : Association Départementale pour la Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence, les associations de consommateur, …A noter que toute association qui développe une offre d’accès au droit et reçoit des financements publics en fonction du nombre de bénéficiaires, et/ou fonctionne avec un droit d’entrée payant, est à cheval sur ces trois logiques : militantisme, marché, service public.
Ces réponses partagent un déficit de notoriété. La diversité des acteurs de l’accès au droit : avocats, magistrats, associations, travailleurs sociaux, structures commerciales aux motivations, aux cultures et aux déontologies différentes, contribue certainement à cette faible visibilité, et retarde probablement l’intégration des dispositifs aux pratiques professionnelles des acteurs locaux.

La question de leur connaissance réciproque à défaut de leur complémentarité ou de leur coopération n’est pas réellement résolue, d’autant que l’information dans ce domaine est devenue à la fois un enjeu économique et un enjeu de pouvoir institutionnel.

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Références bibliographiques :
 BAROU (J) et LE (H.Kh.) : L’immigration entre loi et vie quotidienne, Ed L’Harmattan, Paris, 1993.
 VERMES (G.) : Cultures ouvertes, sociétés interculturelles. Du contact à l’interaction, Ed. L’Harmattan, Paris, 1994
 MEMMI (A.) : Les fluctuations de l’identité culturelle ; in la France identitaire, Esprit N° 1, Janv. 1997. 
 SELIM (A.) : L’identité culturelle, relations ethniques et problèmes d’acculturation, Anthropos, Paris, 1981.
 LEVEAU (R), WITHOL DE WENDEN (C) : La deuxième génération, Revue Pouvoirs n° 47, PUF, 1988.
 OVAERE (F), Sous la direction de : L’accès au droit et l’information juridique de proximité en Ile - de France : Place et rôle des associations d’éducation populaire, Fonjep, Paris,Septembre 2001.