Le futur et le Forum Social Mondial

, par GRZYBOWSKI Cândido

Cet article a été traduit du portugais au français par Sandrine Pires, et relu par Jean-Luc Pelletier traducteurs bénévoles pour Ritimo. Retrouvez l’article original sur le site d’Ibase : O Futuro e o Fórum Social Mundial

Aujourd’hui, je me suis laissé envahir par le climat du Forum Social Mondial. Partant de mon envie de réfléchir sur le forum et ses défis, j’ai choisi de participer à certains ateliers auto-organisés où je pourrais, pensais-je, trouver quelques idées, questions stimulantes, analyses stratégiques. Première difficulté, comme pour tous les participants : rentrer dans l’espace du FSM 2015 sur le campus de l’Université Farhat Hached El Manar, à cause des contrôles de sécurité. J’ai perdu 45 minutes dans la matinée pour entrer puis une heure au retour du déjeuner. Deuxième difficulté, trouver la salle, sans plan. Par chance un bataillon de jeunes volontaires très serviables est là pour vous aider. Mais, comme dans tous les forums, vu leur taille, c’est après avoir trouvé la salle que l’on apprend que l’activité se déroule dans une autre. Ce matin, c’était à l’autre bout du campus. Je suis arrivé… à 10h alors que l’activité démarrait à 8h30.

Photo : Camila Nobrega

Je dois reconnaître que ces difficultés ne représentent pas vraiment un problème puisqu’au FSM vous avez la chance en chemin de croiser une grande diversité de personnes, de langues et de vêtements mais aussi de discussions libres en petits groupes ici, de la musique de batucada là , les couloirs de l’université étant envahis par des militants. Quelle merveilleuse invasion de jeunes venant du monde entier avec les yeux plein d’espoir et avides de participer !

Tout à coup vous rencontrez quelqu’un que vous n’avez pas croisé depuis longtemps, vous prenez plaisir à le saluer et à échanger quelques mots sur le cours de la vie et l’activisme politique et culturel. Le Forum imprègne peu à peu les gens pour ce qu’il y a de meilleur : rencontres avec des personnes qui, connues ou inconnues, sont au FSM parce que, d’une façon ou d’une autre, elles partagent avec vous les rêves et les motivations d’un monde meilleur. Je fais part de ces observations pour dévoiler le micro-contexte et ce qui attire les participants au FSM. Je crois que cela fait partie des bonnes choses du Forum. Une nouvelle culture politique de gauche doit s’appuyer sur cette joie de la rencontre, de la complicité et du bien-vivre, sur des émotions et des sentiments qui facilitent l’échange et la réflexion sur le monde et ses défis, rendant ainsi le militantisme plus humain.

Lorsque j’ai finalement trouvé les salles et le groupe de participants, mes questions et mes doutes sur le FSM sont revenus en force. L’activité proposée : « Vers un mouvement citoyen mondial » a été programmée sur deux jours, avec trois ateliers par jour Unbon exemple pour illustrer le problème que j’évoquais dans la chronique précédente . Cela ressemble à une proposition d’unité dans la diversité, mais ça ne l’est pas, nous en sommes très loin même. Il s’agit d’une initiative qui se renferme sur sa propre proposition, ignorant toutes les autres, plus de mille dans ce FSM. Selon mon évaluation, elle a réuni près de cent participants, se connaissant déjà, mais elle ne s’est pas ouverte au risque de dialoguer avec les milliers d’autres. En cela, réside la faiblesse stratégique du FSM. Le programme est auto-organisé, ouvert à toutes les propositions afin de capter la diversité, Apparemment intense par les thèmes qu’il aborde, il ne promeut dans la pratique qu’une juxtaposition d’activités. Elles sont réunies au sein d’un même programme et de l’espace du FSM mais elles ne se centrent pas sur la recherche commune et partagée de quelque chose de nouveau. La proposition de convergence – à laquelle deux jours ont été consacrés – n’a jamais réussi à donner satisfaction puisqu’elle est, elle-aussi, auto-organisée. Cela crée une espèce de cacophonie politique, amplifiée par le problème des langues. Une activité en anglais, comme celle que j’ai choisie, exclut totalement le citoyen moyen présent au FSM 2015, très majoritairement arabophone, sans compter toutes les autres langues.

J’ai été un auditeur attentif lors de la première partie de l’activité. Nous y avons discuté du fossé entre les mouvements sociaux et les ONG, sans grande nouveauté. Cela ressemblait plus à un moyen d’occuper l’espace et de faire acte de présence qu’à une avancée dans les enjeux. Il a manqué cet effort fondamental d’évaluation des initiatives citoyennes existantes en direction de nouveaux mouvements de citoyenneté capables d’impacter le monde s’ils forment des coalitions unitaires et stratégiques. Nous ne pouvons pas oublier les défis réels dans le concret de nos sociétés, structures et processus de pouvoir qui limitent l’apparition et le renforcement de thématiques collectives et planétaires, au sein d’une économie globalisée, qui concentre les richesses et détruit la planète.

Par ailleurs, « un mouvement citoyen mondial » ne pourra jamais exister. Car soit les mouvements sont divers et pluriels, à l’image de la citoyenneté et du monde, soit ce ne sont pas des mouvements en tant que tels. Laissons tomber le sujet unique ! Le FSM est né pour rompre avec ce modèle de pensée.

Après le déjeuner, pour la troisième série d’ateliers, j’ai changé pour suivre l’activité « L’avenir du FSM », en quête de lumière. Je suis arrivé en retard pour les motifs déjà évoqués. Je me suis retrouvé avec un petit groupe de 30 personnes partageant des évaluations sur les bons côtés du FSM et discutant de la réalisation du prochain. L’avenir s’est ici trouvé réduit à [échanger] des idées [pour savoir] où faire le prochain. Inutile de préciser à quel point ma frustration a été grande, d’autant plus que j’avais déjà fait part de mes doutes à certains organisateurs de l’activité – qui sont mes amis et complices – quant à la capacité du FSM à se réinventer stratégiquement face aux défis d’aujourd’hui et de demain.

Pour finir, je poursuis ma participation observatrice et complice. A vrai dire, et jusqu’à présent mon embarras ne cesse de croître. Je sais que d’autres le partagent et que, seul, je ne pourrai pas le résoudre. J’ai beaucoup donné de ma personne, comme militant et directeur de l’Ibase, pour mettre sur pied le Forum Social Mondial. Certes, tout naît, grandit et meurt dans la vie mais il est difficile de voir une initiative rassembleuse de citoyennetés, si jeune, porteuse d’une idée généreuse et audacieuse, inspiratrice d’espoir pour différents peuples, commencer à perdre de sa pertinence politique dans un contexte où le néolibéralisme devient de plus en plus agressif et sauvage.