Le commerce équitable au supermarché ?

, par VIVAS Esther

Cet article a été traduit de l’espagnol au français par Emilie Roosen, traductrice bénévole pour Ritimo. Retrouvez l’article original sur le site d’Esther Vivas ici : Comercio justo en el supermercado

Malgré l’oxymore que représente “supermarché équitable”, où le premier concept annule le second et vice versa, nombreuses sont les grandes chaînes de distribution qui comptent dans leurs linéaires des produits certifiés équitables et solidaires. Quelques-uns des plus grands distributeurs au niveau mondial comme Wal-Mart et Tesco vendent des aliments issus du commerce équitable et promeuvent leurs marques propres, en se dotant d’une image responsable et équitable. C’est aussi ce que font ici des entreprises telles que Eroski, Alcampo [1], Carrefour et El Corte Inglés.

Les prix les plus bas

Le cas de Wal-Mart, numéro un des supermarchés et plus grande entreprise au monde, d’après la liste Fortune Global 500, est un bon exemple d’une telle incompatibilité. La bataille pour offrir les prix les plus bas, signe identitaire de l’entreprise, a aussi atteint les produits du commerce équitable. Si, il y a quelques années, sa marque phare de café équitable était Millstone Coffee, la bataille des prix l’a conduit à chercher de nouveaux fournisseurs capables d’offrir des coûts de production plus bas. La stratégie de Wal-Mart pour baisser les coûts consistait à contrôler toute la chaîne de commercialisation du produit. C’est ainsi que Wal-Mart est entré en contact avec une petite coopérative du nord du Minas Gerais (Brésil) qui pouvait offrir des coûts de production inférieurs et Transfair USA (FLO International aux États-Unis), a légitimé la stratégie de Wal-Mart en certifiant la production.

Avec cette nouvelle opération, le kilo de café de commerce équitable acheté dans un supermarché Sam’s Club (de Wal-Mart), revenait près d’un tiers moins cher que d’autres marques. De cette façon, Sam’s Club se transformait en l’un des principaux distributeurs de produits de commerce équitable au détail aux États-Unis, en vendant le café issu du commerce équitable le moins cher du marché dans quelque mille établissements de l’entreprise. Les cadres de Wal-Mart parlent déjà d’une nouvelle étape où les concepts de « durabilité » et de « commerce équitable » se sont ajoutés au slogan de la société : « des prix toujours plus bas ». Mais qu’arrivera-t-il à la petite coopérative du Minas Gerais, le jour où Wal-Mart trouvera un fournisseur encore moins cher ?

Se coller l’étiquette « d’équitable »

Tesco, le plus grand distributeur de Grande Bretagne, n’a pas non plus laissé échapper l’occasion de prendre le train en marche. La Grande Bretagne n’est pas le plus grand marché de produits de commerce équitable en Europe pour rien, suivie plus loin de l’Allemagne et de la France. Tesco affirme proposer « la plus grande offre de produits issus du commerce équitable », fruits, gâteaux, muesli, thé, apéritifs, jus, pour atteindre un total de plus de quatre-vingt-dix produits, parmi lesquels certains sous marque propre. Un chiffre dérisoire, si on le compare aux plus de 40 000 produits que commercialise l’entreprise, 0,2 % du total de l’offre, selon un dossier des Amis de la Terre, bien que suffisant pour se coller l’étiquette d’« équitable ». L’intérêt de Tesco pour le commerce équitable a significativement augmenté quand l’un de ses rivaux, la chaîne de supermarchés Co-operative Group a décidé de produire ses chocolats selon les principes du commerce équitable et quand la superficie consacrée à ces produits a doublé.

Dans la gamme de produits équitables de Tesco, les roses rouges sont, sans aucun doute, un des produits phare. La société a fait un lancement publicitaire sans précédent en affirmant qu’il s’agissait des premières fleurs du commerce équitable commercialisées en Grande Bretagne et qu’elles « garantissaient un meilleur échange économique pour les petits producteurs des pays en développement. » Pourtant, la réalité diffère des slogans publicitaires, selon la journaliste Felicity Lawrence, aucune des deux entreprises qui fournissent les roses kenyanes ne pouvaient être assimilées à de « petits producteurs », les deux étaient des multinationales de 4500 et 2500 travailleurs respectivement, la plus grande, de propriété hollandaise, et les communautés qui recevaient le bénéfice n’étaient pas des coopératives de producteurs, comme nombre de consommateurs pouvaient le penser, mais des immigrés qui vivaient dans des baraquements, propriétés des entreprises. Le cas des roses rouges n’est qu’un exemple de la toile de fond que dissimule la pratique du commerce équitable par des acteurs de la grande distribution comme Tesco.

Écoblanchiment

En Espagne, onze chaînes commerciales vendent des produits étiquetés équitables, dans mille supermarchés et points de vente. Carrefour, Alcampo et Eroski sont parmi ceux qui consacrent le plus d’efforts à se doter d’une image « équitable et responsable » à partir de la commercialisation de ces produits.
Pourtant, l’introduction d’aliments issus du commerce équitable dans leurs linéaires ne modifie pas l’ensemble de leurs pratiques commerciales. Ainsi, le commerce équitable est utilisé comme un instrument de marketing et de greenwashing, derrière lequel se cache la précarisation des droits du travail, l’asservissement du petit agriculteur, la promotion d’un modèle de consommation irrationnel et insoutenable, un impact environnemental négatif et la concurrence déloyale envers le commerce local.
Dans ce contexte, il est fondamental de mener un plaidoyer pour un commerce équitable qui refuse d’être un outil marketing au service de multinationales et de grandes surfaces. Un commerce équitable transformateur est nécessaire, qui tienne compte de tous les acteurs de la chaîne commerciale, d’amont en aval, qui travaille dans une perspective globale de commerce équitable aussi bien au niveau international Sud-Nord qu’à l’échelle locale, qui recherche l’équité dans les transactions commerciales Nord-Nord et Sud-Sud et qui défende le droit des peuples à la souveraineté alimentaire.