Le boycott, action non-violente d’hier et d’aujourd’hui

Le boycott à travers les âges

, par BESSIS Sophie

A l’origine, le boycott est le fait de ne pas acheter des produits dont les conditions de production ne sont pas jugées justes.

Le terme est dérivé du nom de Charles Cunningham Boycott (1832-1897), riche propriétaire de l’Ouest de l’Irlande. Ce propriétaire traitait si mal ses fermiers que ses produits subirent un boycott de leur part. Charles Cunningham Boycott fit fortune en servant l’armée britannique contre son peuple. Devenu riche et rentré au pays, il acquit de grandes propriétés dans le comté de Mayo. En 1879-80, alors que l’Irlande était en pleine famine, il exigea un prix très élevé pour les terres qu’il louait à ses fermiers. Charles Stewart Parnell, avocat protestant et jeune député à la tête de la Home Rule Ligue (Ligue agraire), mobilisa alors ces derniers afin qu’ils obtiennent de meilleures conditions de travail. La population du comté décida de mettre Boycott en quarantaine et cessa toute relation personnelle, économique et professionnelle avec lui. Les fermiers refusèrent de payer et les ouvriers agricoles de travailler, sacrifiant la récolte d’une saison, ce qui entraîna la ruine du riche propriétaire. Le procédé fut ensuite appliqué ailleurs et les propriétaires qui expulsaient leurs fermiers ou les traitaient trop mal se retrouvaient du jour au lendemain sans domestiques pour les servir et sans revenus à tirer de leurs terres. Le mot "boycottage" fit son entrée en France en 1881, puis on prit l’habitude d’employer celui de boycott.

Contrairement à des actions du type blocus ou embargo, le boycott est une arme de faibles, plutôt que de puissants. Elle a, en général, été employée au nom du droit et de la justice et non du privilège de la force. Blocus ou embargo d’un côté, boycott de l’autre, les deux types d’actions sont donc loin d’être identiques. Le blocus est aussi ancien que la guerre elle-même : cette dernière s’est toujours accompagnée de sièges consistant à priver une ville et/ou un territoire de l’accès à ses approvisionnements (campagne alentour, port, voies de communications, etc.). Du siège de Troie au blocus imposé par Napoléon au Royaume Uni, l’histoire est ponctuée de ce type d’actions guerrières.

Autre forme de rétorsion qui n’est pas un boycott, c’est l’embargo. Il s’apparente davantage au blocus puisqu’il consiste à priver un pays ou un régime de tout ou partie de ses approvisionnements. Un des embargos les plus récents et les plus célèbres est celui de l’Irak jusqu’à la chute de Saddam Hussein en 2003. Il peut y avoir des embargos totaux ou partiels, comme l’embargo sur certaines technologies, imposé à l’Iran pour l’empêcher de fabriquer la bombe atomique. Ils font partie des sanctions ayant cours aujourd’hui contre des Etats jugés fautifs par la communauté internationale.
Le boycott est d’une autre nature : il n’utilise pas la force. Il consiste à refuser de s’approvisionner auprès d’un pays, d’une entreprise, d’une région qui contreviendrait aux règles éthiques ou aux engagements politiques des boycotteurs.

Les premiers boycotts

Le "boycott" a été une forme de lutte qui a existé avant qu’un nom ne soit donné à ce type d’action de résistance.

 Les anti-esclavagistes anglais ont lancé une campagne déterminée en 1790 pour convaincre leurs concitoyens de ne pas acheter de sucre en provenance des Indes Occidentales (les Antilles) produit par des esclaves, et de privilégier le sucre en provenance des East Indies (Inde), où l’exploitation de la main d’œuvre se faisait avec un peu plus de retenue.

 Le deuxième boycott bien connu de l’histoire a été celui des colonies américaines de la Grande-Bretagne : pendant la révolution américaine qui a conduit à l’indépendance de 1776, le boycott des marchandises anglaises était un moyen utilisé par les colons pour faire pression sur la métropole. "Les Fils de la Liberté", une organisation de patriotes américains a notamment appelé à boycotter le thé venant d’Angleterre (produit en Inde).

 Au Québec, en 1837, les chefs patriotes ont incité les Québécois à boycotter les produits importés d’Angleterre pour tarir les fonds publics, revenus fiscaux perçus à la douane, en vue de libérer le Québec du joug de l’occupant anglais. Ils ont appelé à remplacer les produits anglais boycottés, tels le rhum, l’eau-de-vie, le thé et la toile, par des produits locaux québécois quand c’était possible.

 Le premier boycott répertorié comme tel est celui de 1879 organisé par Charles Parnell.

Au XXe siècle et au début du XXIe

Au XXe siècle, la pratique du boycott s’est amplifiée et a été utilisée par plusieurs mouvements de libération nationale, en particulier dans le cadre d’actions non violentes. Il a, en effet, l’avantage de pouvoir être très efficace en nuisant au pays ou à un quelconque autre adversaire désigné, sans pour autant recourir aux différentes formes de lutte armée.

 C’est pourquoi Gandhi en fit en Inde son arme favorite : il lança en 1930 un boycott des impôts perçus par les autorités impériales britanniques. Cet exemple sera suivi au début des années 70 aux Etats Unis, par les opposants à la guerre du Vietnam qui refusaient de payer la partie de leurs impôts allant aux dépenses de guerre.

 Aux Etats Unis également, le mouvement des droits civiques a utilisé cette arme : à l’appel de M.L. King en 1955, les habitants noirs et les militants des droits civiques de Montgomery ont boycotté les bus de la ville pour réclamer la fin de la discrimination raciale.

 Quelques autres boycotts célèbres : celui des Jeux Olympiques de Moscou par les Etats Unis et quelques 80 autres pays, en 1980, pour protester contre l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS. Par mesure de rétorsion, l’URSS a boycotté à son tour (mais avec 13 autres pays seulement) les JO de Los Angeles en 1984.

 Des militants tibétains ont appellé à un boycott des produits venant de Chine, fabriqués dans des camps de travail, dans des manufactures tenues par des militaires ou par une main-d’oeuvre privée de ses droits.

 Enfin, le boycott des produits des colonies israéliennes : depuis juillet 2005, la société civile palestinienne appelle au « Boycott, Désinvestissement et Sanctions ».

 Une des rares fois où le boycott a été prôné par un groupe d’Etats sans y avoir été incités par des associations est le boycott d’Israël par les membres de la Ligue Arabe. Dans le cadre de cette action, toute entreprise de quelque pays que ce soit travaillant avec Israël était théoriquement boycottée par les pays arabes. Mais ce boycott est resté assez théorique, d’autant que de nombreux subterfuges ont été inventés pour le détourner.

Aujourd’hui

L’appel au boycott de certains produits ou de certaines entreprises est de plus en plus courant : compagnies pétrolières, Mc Donald, etc.

La consom’action – le fait de vouloir consommer de façon citoyenne et non plus seulement de manière consumériste – ne connaît plus de frontières depuis que l’économie et l’accès à l’information se sont mondialisés. Grâce à Internet, des consommateurs sensibilisés à certaines causes peuvent désormais se relier et partager un même mot d’ordre face à la même marque, et ceci d’un bout à l’autre du globe. Cela se vérifie aux États-Unis, où le boycott fait partie de la culture mais aussi en Asie, où ce phénomène connaît beaucoup de succès et même en France, où 70 % des consommateurs se disent prêts à participer à des campagnes de boycott.

La force du boycott réside avant tout dans la capacité de communiquer des acteurs de l’action : l’appel doit être diffusé le plus largement possible pour avoir un réel impact sur le pays ou l’entreprise visé. Le boycott est un phénomène que les entreprises doivent prendre en compte pour ne pas être pénalisées par une baisse de demande. Il est d’autant plus efficace que l’entreprise a de gros frais fixes. Dans ce cas, une baisse de 5% de la demande peut parfois faire baisser son bénéfice de plus de moitié. L’appel au boycott peut donc avoir un énorme impact. Pour le coup, le législateur a depuis longtemps mis en place dans certains pays, dont la France, des lois anti-boycott.
Lorsqu’une entreprise est victime d’un boycott statistiquement significatif, il ne lui reste qu’à changer de slogan et à faire une communication sur des "valeurs positives" : écologie, social, développement durable. Cela a un prix.

Il est parfois reproché au boycott de renforcer le pouvoir du consommateur par rapport au pouvoir du citoyen et donc d’être un outil entrant dans la logique consumériste actuelle. Ce n’est pas tout à fait vrai dans la mesure où de nombreuses actions de boycott se mettent au service d’une consommation citoyenne.

Certains estiment aussi que le face-à-face Syndicat/Patronat fait progressivement place à un face-à-face consom’acteurs/multinationales. Les « consom’acteurs » utilisent, en tant que citoyens, leur pouvoir d’achat comme une sorte de droit de vote pour compenser leur impuissance en tant qu’électeurs. Ils constituent désormais un contre-pouvoir. Les multinationales sont en expansion. Or elles sont moins dépendantes du pouvoir politique et des élus d’un pays, donc aussi de leurs électeurs. En l’absence de vote efficace, les citoyens utilisent alors leur autre moyen d’exercer un contre-pouvoir : le boycott ou chantage au non-achat.

Le boycott, outil privilégié des combats non-violents du XXIe siècle ?