La suppression de la démocratie

, par PRADA ALCOREZA Raúl

L’article a été traduit de l’espagnol au français par Aurélie Gasc, et relu par Virginie de Amorim, traductrices à Ritimo. Retrouvez l’article original sur le site d’Horizontes nómadas, La suspensión de la democracia

Le président Rafael Correa a fermé, sans trop de ménagements, la fondation Pachamama, qui soutient les peuples autochtones en Amazonie et défend les droits de la nature, comme l’établit la Constitution plurinationale de l’Équateur.

Le gouvernement « progressiste » de la révolution citoyenne n’a pas aimé la critique de Pachamama concernant les concessions faites par le gouvernement à des compagnies pétrolière transnationales sur les territoires riches en biodiversité.
Quelles sont les raisons de cette violation et de cette violence désinvolte de la part de l’État ?

Il se trouve que le président, qui pense que le scrutin qu’il a obtenu et sa réélection constituent une attribution de pouvoirs suprêmes sur la Constitution et sur les droits fondamentaux, agit de son propre chef, menant à bien cette violation de droits sacrés. Ces chefs de file, insufflés d’un ego débordant, se croient au-dessus du commun des mortels et de leurs obligations, de leurs revendications et de leurs plaintes. Ils pensent jouer au théâtre de l’histoire des grandes ligues ; par conséquent, ces détails gênants doivent être réglés d’un claquement de doigts.
En Amérique Latine il y a eu des présidents qui prenaient le pays pour un aéroport, d’autres qui prennent le pays pour un terrain de foot, Correa semble lui prendre le pays pour une salle de classe, au sens le plus scolastique, où le professeur est l’autorité suprême indiscutable et où les élèves doivent se contenter d’apprendre, au risque de recevoir des avertissements ou d’être expulsés.

Ces contradictions ne peuvent certainement pas s’expliquer par un gouvernement progressiste et par une Constitution adoptée par le peuple équatorien et promulguée par le président lui-même.

La contradiction de ces gouvernements progressistes peut plutôt s’expliquer par leur attachement au modèle extractiviste colonial dépendant du capitalisme. Pour ces gouvernements populistes du XXIème siècle il n’y a pas d’autre réalité que la contrainte imposée par le système-monde capitaliste aux périphéries, celle d’être condamné à l’extractivisme, c’est-à-dire, à livrer ses ressources naturelles aux centres du système-monde et aux puissances industrielles émergentes.

Ce réalisme imposant ne résiste pas face au dépouillement et à la dépossession des populations causés par les relations de subordination, qui maintiennent les pays de l’économie extractive et l’État rentier. L’unique argument de leur part est qu’il n’y a pas d’autre alternative que poursuivre le développement de l’industrie extractive, afin d’utiliser ses ressources pour l’investissement social et l’investissement industriel. Voilà l’argument partagé par toutes les élites au pouvoir qui ont gouverné nos pays, que ce soit les conservateurs, les libéraux, les nationalistes, les néo-libéraux ou les progressistes. Ils peuvent se différencier dans la forme politique, dans la relation avec le peuple, avec le national-populaire, ils peuvent se différencier dans le discours. Cependant, en partageant ce préjudice de condamnation historique, selon lequel nous devons accepter le rôle que nous impose la géopolitique du système-monde capitaliste à savoir être dans l’industrie extractive, ils ne font rien d‘autre que prouver qu’ils appartiennent au même modèle de reproduction de la dépendance. Avec la circonstance aggravante de la destruction écologique et l’ethnocide des peuples autochtones.

Même si l’on peut dire que ces gouvernements progressistes récupèrent une partie du contrôle des ressources naturelles en terme de souveraineté, ça ne les exempte pas de faire les choses à moitié. Ce qui a été récupéré est perdu à cause des relations de dépendance et de subordination des pays de l’industrie extractive vis-à-vis des pays centraux du système-monde, industriels, monopolistiques et dominants, en plus d’être des pays coloniaux. Même si ces gouvernements organisent des redistributions de la recette, voire même, comme c’est le cas en Équateur, un investissement social, ces faits et ces conséquences sociales ne peuvent se justifier que par des ressources naturelles élaborés par le néolibéralisme, même si d’autres contrats moins coûteux existent.

Ils ne peuvent justifier que la Constitution, qui établit clairement la condition de l’État plurinational, la perspective du bien vivre, les droits des nations et des peuples autochtones, la défense des droits de la nature, soient laissés de côté.
Le fait d’ignorer la Constitution et de la transgresser est non seulement un outrage grave, mais plus encore la preuve très claire que ces gouvernements progressistes se fichent de la Constitution. Elle est, pour eux, excepté ce qu’il se passe au Venezuela, un livre d’exposition, au meilleur des cas, un idéal, non atteignable pour le moment. La Constitution est remplacée par le réalisme politique et le « pragmatisme », qui continuent de jouer le jeu de la soumission de nos pays, comme l’ont fait les gouvernements qu’ils ont critiqués, libéraux et néo-libéraux, bien qu’ils le fassent à visage découvert.

On comprend alors les réactions violentes de ces gouvernements lorsque les peuples autochtones les interpellent et les poursuivent en justice, ou lorsqu’une ONG comme Pachamama les critique. Les chefs de file considèrent que ces peuples et ces organisations constituent un obstacle au développement et à la modernité. Ces « révolutionnaires » ne se rendent pas compte qu’en réfléchissant ainsi, ils expriment un profond colonialisme, le mépris des propriétaires des terres d’Abya Yala. C’est le constat de la conquête interminable.

Chronologie du despotisme

Lors de l’intervention, samedi (début décembre 2013), du président Rafael Correa, une vidéo a été diffusée accusant des représentants de Yasunidos et de la Fondation Pachamama de boycotter l’appel d’offres pour le XIème cycle de négociation pétrolière, correspondant au bloc du sud-est. Ils ont été également accusés d’avoir agressés l’ambassadeur chilien, Juan Pablo Lira et Andrei Nikonkov, représentant de l’entreprise Bielorusnet, entité publique de Biélorussie, tous deux participant à l’événement.

Les protestations contre l’industrie d’extraction pétrolière ainsi que la faible participation d’investisseurs ont marqué le cycle de négociation.
Le cycle de négociation a été un échec dés les premiers mois de 2013.
Face à ces circonstances frustrantes, le gouvernement équatorien a décidé de renouveler l’appel pour la fin de l’année. Les enveloppes, qui contenaient quatre offres pour seulement quatre des 21 blocs proposés ont été ouvertes. Les blocs qui ont suscité l’intérêt sont les 28, 29, 79 et 83, tous situés dans le nord de la carte de la partie sud-est de l’Équateur. L’entreprise chinoise Andes est le seul prestataire pour les blocs 79 et 83. Pour le bloc 28, un consortium entre Petromazonas, entreprise publique d’Équateur, Enap, du Chili, ainsi qu’une autre entreprise d’État, Belorusnet, s’est formé. L’entreprise espagnole REPSOL est intéressée par le bloc 29.

La présence de ces investisseurs a tendu la situation et a participé à la fermeture de la fondation Pachamama. Il s’agit d’une répression déchaînée contre la protestation et contre la critique de livrer des concessions dans la zone de Yasuni et en Amazonie équatorienne, où vivent des peuples autochtones isolés.

Face à la fermeture injustifiée de Pachamama, la fondation prépare une stratégie légale pour contrer cette fermeture de la part du gouvernement. Les membres de la Pachamama disent que la fondation ne fermera pas sans que ses huit membres ne se battent. Belén Páez, représentante de la fondation, a annoncé qu’ils auront recours à des actions légales pour montrer que la fermeture de son bureau à Quito est dû aux déclarations affirmant que sur les blocs 79 et 83 (qui ont été soumis lors du cycle de négociation), vivent des autochtones isolés volontairement en Amazonie.
Selon Belén Páez, cette affirmation se vérifie sur la carte que le ministère de la Justice a présenté à l’Assemblée pour donner son feu vert à l’exploitation des camps Ishpingo, Tambococha et Tiputini, camps qui se trouvent dans le Parc National Yasuni.
Belén affirme que : « Parler de ce qui s’est passé samedi est un mauvais prétexte de la part de l’État contre la Fondation. Nous sommes consternés, sur le qui-vive. A midi des fonctionnaires des ministères de l’Environnement, de l’Intérieur et des membres de la Police sont entrés dans nos bureaux habillés en civil pour fermer nos locaux, avec l’accord ministériel 125. »

Pour les membres de Pachamama cela ne fait aucun doute, il y a eu violence dans cette violation de domicile, il n’y a pas eu d’information préalable concernant les raisons de leur accusation, ils n’ont pas non plus eu le droit de se défendre. Mario Melo, avocat de la Fondation, connu pour son implication prépondérante dans le cas Sarayacu, estime que les violations aux procédures légales sont évidentes. Il explique : « Nous souhaitons condamner cet outrage au droit d’association de la part des fonctionnaires qui ne font pas face et obéissent simplement aux ordres du président Correa. »

L’équipe de Pachamama fera appel aux instances nationales et internationales pour ouvrir de nouveau les locaux. Il est possible de recourir à des actions légales administratives et à des mesures de protection. La plainte ira également devant la Commission Inter-américaine des Droits de l’Homme (CIDH). L’avocat M.Melo comprend bien que la toile de fond de la fermeture sont ses déclarations sur les surveillances constantes effectuées en Amazonie depuis plus de 15 ans. Moins d’une année et demie est passée depuis la sentence de la Court IDH sur le cas Sarayacu et malgré cela, le gouvernement a autorisé le bloc 79.

Cela affecterait quelques 6 700 hectares de ce territoire autochtone, qui bénéficie de mesures préventives octroyées par la Court IDH, qui stipule que tout projet sur ce territoire devra être consulté de bonne foi. A son tour, Esperanza Martinez, d’Action Ecologique, a rappelé qu’elle était présente la semaine précédente lorsque a eu lieu la « zapateada » de Yasunidos suite à l’appel d’offres de lu cycle de négociation du Sud-Est. Esperanza a expliqué qu’ils n’avaient pas organisé d’émeutes, et qu’ils n’avaient pas non plus participé à des actes de violence. Aucune des personnes présentes ne savait qui était l’ambassadeur du Chili, ni ne connaissait l’entrepreneur biélorusse. Dans le même sens, Belén Páez a commenté tristement les agissements du Ministre Serrano, rappelant qu’il y a quelques années, il a collaboré avec eux pour défendre leurs causes. Pourtant, le ministère de l’Intérieur s’est exprimé sur son compte Twitter au sujet de l’opération d’intervention contre la Fondation, avançant ce qui suit :« Pour la dissolution des ONG impliquées dans des agressions récentes pour ingérence dans les politiques publiques et contre la sécurité interne et la paix. »

Ce communiqué sort après le reproche fait par le président Correa au ministre José Serrano sur l’absence de protection officielle pour les personnes agressées le jour où l’appel d’offres a été lancé.

A la fin de la revue de presse, durant laquelle ces dénonciations ont été faites, des membres de Yasunidos qui n’avaient rien dit, se sont rassemblés et on déclarés que malgré la censure, ils ne se tairaient pas. Ils continueront de récolter des signatures dans tout le pays pour qu’il y ait une consultation populaire qui empêche l’exploitation de Yasuni-ITT.

Le front de défense de la Constitution, Montecristi Vive, a rendu public un communiqué condamnant la fermeture de Pachamama. Voici un extrait du communiqué :
« La récente mesure contre la fondation Pachamama confirme l’autoritarisme du gouvernement qui cherche à restreindre la liberté de la société civile sur des sujets publics et de mettre des limites aux excès du pouvoir. Il est surprenant de voir la vitesse à laquelle les fonctionnaires se font l’écho des déclarations du Président, exécutent, sans prendre le temps de la réflexion et sans aucune explication.
Nous ne pouvons pas oublier les innombrables fonctionnaires publics qui, longtemps avant d’appartenir au gouvernement actuel, ont été membres et employés d’organisations non gouvernementales et de collectifs citoyens, se seraient sûrement opposés à ce qu’ils approuvent aujourd’hui par leur silence. Nous appelons la société civile à ne pas être indolente, à s’émouvoir face aux menaces constantes que constitue ce gouvernement pour les secteurs qui ont décidé de résister aux politiques de soumission et dévastatrices qui nuisent à la nature et qui portent atteintes aux droits des peuples et des nationalités. Il est évident que derrière ces décisions abusives il existe des intérêts économiques qui occasionnent et exigent une main de fer et une discipline de la société. Nous ne le permettons pas. Être en désaccord est un exercice de la démocratie. »

Cette chronologie du despotisme nous montre comment fonctionnent les gouvernements progressistes, avec leurs divers contextes, y compris l’important affrontement au Venezuela, avec une « droite » forte et en campagne. Ce n’est pas le cas en Équateur, ni en Bolivie, où les gouvernements se sont plutôt placés à droite, en s’alliant avec les bourgeoisies locales et les nouveaux riches, en lien avec des entreprises transnationales bien qu’ils le fassent dans de meilleures conditions que les gouvernement néolibéraux. En Équateur et en Bolivie, la répression se fait contre les peuples autochtones, leurs organisations, leurs dirigeants et l’intention rendue publique d’étouffer la critique de « gauche ».