La signature de la fiducie pour l’Initiative Yasuní-ITT

, par ACOSTA Alberto

 

Cet article a été publié initialement en espagnol par ALAI. Il a été traduit par Vincent Lepage, traducteur bénévole pour rinoceros.

 

Au lendemain de la commémoration du bicentenaire de l’assassinat des patriotes par les troupes espagnoles dans ville de Quito, le 2 août 2010, la fiducie [1] tant espérée entre le gouvernement national et le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) dans le cadre de l’Initiative Yasuní-ITT a été signée. Grâce à cette signature, il sera enfin possible de concrétiser les offres formulées par plusieurs pays pour financer le fonds de cette initiative.

Il est regrettable d’avoir attendu autant de temps. Néanmoins le temps n’est pas aux lamentations mais bien aux célébrations. Les différences entre ce qui a été proposé en décembre 2009 et en juillet 2010 ne sont pas majeures. De façon symptomatique, la présence d’un délégué autochtone dans le conseil d’administration aurait disparu. Mais il s’agit en substance de la même chose : une fiducie avec le PNUD comme garant international que les apports extérieurs seront dédiés aux fins stipulées par l’État, avec une garantie que le pétrole de l’ITT (Ishpingo, Tambococha, Tiputini) restera sous terre.

Comme point de départ, rappelons que les analyses réalisées pour estimer le rendement de cette proposition par rapport à l’extraction du pétrole ont mené à des résultats encourageants. Laisser le pétrole sous terre, en recevant de l’étranger au moins la moitié des recettes qu’on cesserait de percevoir pour l’exportation du pétrole, est plus profitable que de l’extraire. On arrive à cette conclusion y compris sans prendre en compte les passifs environnementaux et sociaux considérables liés à l’exploitation du pétrole. Et sans compter que les immenses et multiples avantages collatéraux dont bénéficiera l’Equateur en impulsant cette proposition d’avant-garde n’ont pas été pris en compte non plus pour arriver à ce résultat. A travers cette Initiative, un scénario pourrait se dessiner dans lequel (presque) tous seraient bénéficiaires : l’Équateur et le reste de la communauté internationale, hormis bien sûr les compagnies pétrolières, leurs intermédiaires et leurs avocats crapuleux qui s’obstinent en faveur de l’extraction du pétrole de l’ITT.

Les embarras sont derrière nous. Aujourd’hui, il convient de saluer la ministre María Fernanda Espinosa pour son travail depuis janvier de cette année, ainsi que les commissions qui ont mené à bien le travail avec le PNUD. Une mention spéciale revient à l’ex-ministre des affaires étrangères Fander Falconí, défenseur de cette Initiative depuis plusieurs années. Il convient aussi de souligner les efforts et la persévérance de ceux qui depuis la fin de la décennie des années 90 ont eu la vision de la possibilité d’un Équateur post-pétrolier. La liste serait longue mais je souhaite distinguer l’une des personnes clés dans cette détermination : Esperanza Martínez. De même, il faudrait étendre ces félicitations à de nombreuses personnes de l’étranger, notamment Martínez Alier ou Joseph Vogel dans le domaine académique, ou à la députée allemande Ute Koczy, dans le domaine politique, qui ont contribué à la cristallisation de cette Initiative. Et il n’est pas possible de nier que l’on ne serait pas arrivé au point actuel sans la volonté et l’appui du président Rafael Correa, qui malheureusement n’a pas pu être présent au moment de l’acte de signature de la fiducie de cette Initiative…

Depuis que cette Initiative a été proposée officiellement dans les premiers jours de l’année 2007 jusqu’en août 2010, nous avons vécu un processus complexe [2]. Il a été difficile d’accepter cette Initiative, considérée y compris comme « une utopie à temps complet » par Gustavo Duch dans le journal Galicia Hoxe le 5 novembre 2009.

Aujourd’hui, alors même qu’une nouvelle et complexe étape commence à peine, au cours de laquelle il faudra assurer les contributions internationales pour son financement, cette Initiative montre déjà des résultats satisfaisants. Le thème s’est invité dans le débat national et même au niveau international dans de multiples arènes. Dans plusieurs régions du pays, les positions favorables à l’Initiative se consolident. Et, au niveau international, l’Initiative est présentée comme une première alternative concrète pour affronter le réchauffement global.

Il n’est pas possible de continuer à extraire des combustibles fossiles dans le monde au rythme actuel. Cela pour deux raisons : parce que nous nous rapprochons au niveau mondial du pic pétrolier de Hubbert (c’est-à-dire qu’il y aura de moins en moins de réserves pétrolières disponibles) et que nous ne sommes pas loin non plus du pic d’extraction du gaz. Et deuxième raison : à cause du changement climatique. S’il faut laisser le pétrole et le charbon sous terre, où cela doit-il être ? Dans des lieux de particulière fragilité environnementale et sociale, comme le Yasuní-ITT, d’autres lieux en Équateur, mais aussi dans le Delta du Niger, les territoires de l’Amazonie comme le Madidi en Bolivie ou le Parc National Laguna del Tigre au Guatemala ; où un projet similaire a été proposé.

Le gouvernement équatorien a pris beaucoup, peut-être trop de temps pour concrétiser la fiducie. Les positions changeantes du président de la République ont failli faire échouer l’Initiative. Sans trop insister sur le passé, mais en maintenant la vigilance en raison de l’expérience accumulée, tout en redoublant d’optimisme et de volonté politique, c’est le moment de maintenir un appui décidé à l’Initiative Yasuní-ITT dans cette nouvelle phase, au cours de laquelle les menaces et les obstacles ne manqueront pas. Il est l’heure d’aider ou plutôt de continuer d’aider à ce que des contributions extérieures arrivent, en rappelant toujours que le peuple équatorien est le premier contributeur.

La fiducie, c’est-à-dire le fonds de capital levé pour ne pas exploiter l’ITT et qui sera géré par les Nations unies, est indispensable dans ce projet. Néanmoins ce n’est pas suffisant. S’il n’y pas de clarté ni de détermination de la part du gouvernement, la signature de la fiducie est seulement un geste symbolique. D’autre part, le succès de cette Initiative ne peut servir de prétexte pour que le gouvernement assume que ses engagements envers la Nature sont remplis et continue d’étendre de manière irresponsable la frontière pétrolière dans le centre Sud de l’Amazonie ou à ouvrir la porte à l’industrie minière à grande échelle à ciel ouvert.

Garder en tête les menaces connues

Il revient au président de la République, après la signature de la fiducie, de donner des signes nouveaux et renforcés d’appui à l’Initiative. C’est à lui de donner réalité à ce qu’il a déclaré de façon réitérée et solennelle à plusieurs reprises : le fait de laisser le pétrole dans le sous-sol de l’ITT est « un projet emblématique » de la « révolution citoyenne ». Il conviendrait que son gouvernement, dans ce cas, s’engage formellement à ne pas l’exploiter l’ITT durant son mandat. Cela donnerait un délai stable. Cela implique aussi de fait d’archiver définitivement les propositions pour retirer une lettre à l’ITT en exploitant le champ Tiputini. Cela signifie de ne pas tolérer des activités pétrolières à la périphérie de l’ITT. Le gouvernement a donc l’obligation de contrôler les impacts provoqués par les routes ouvertes pour les projets pétroliers situés à proximité. Cela inclut le respect strict des peuples en isolement volontaire dans n’importe quel endroit de l’Amazonie, en commençant par le bloc Armadillo, en conformité avec l’article 57 de la Constitution de Montecristi.

Le gouvernement devrait également freiner les autres menaces qui cernent le Yasuní, comme la déforestation ou l’extraction illégale de bois, la colonisation incontrôlée, le tourisme illégal et l’axe multimodal Manta-Manaus dans le cadre de l’Initiative pour l’Intégration de l’Infrastructure Régionale Sud-américaine (IIRSA).

De même, il conviendrait de reconnaître l’opportunité d’incorporer le bloc 31 à l’ITT. En effet, dans ce bloc, il y a peu de pétrole et de faible qualité, mais sa rentabilité serait assurée avec l’ITT. Il faut d’ailleurs souligner que le type de brut existant dans cette zone est mélangé avec de l’eau extrêmement polluée, dans une proportion qui peut aller d’un baril de pétrole pour quatre d’eau.

De même, il serait important d’avancer les discussions pour analyser la possibilité qu’au Pérou un traitement similaire soit donné au bloc 67, directement voisin de l’ITT, où à peine un tiers des réserves existantes dans le champ d’hydrocarbures sont du côté équatorien [3]. Avec cet élargissement, on n’empêche pas l’exploitation horizontale du pétrole du bloc ITT du côté péruvien, comme l’ont affirmé certaines personnes, puisque c’est techniquement impossible à l’heure actuelle.

Avec ce potentiel élargissement de l’ITT par l’Est avec le bloc 67 péruvien et par l’Ouest avec le bloc 31, cela assurerait une zone beaucoup plus grande présentant des caractéristiques similaires de méga-biodiversité, dans laquelle a été enregistrée la présence de peuples non contactés. Tous ces blocs ajoutés à la zone intangible dans le Sud du Parc Yasuní formeraient une importante réserve de vie.

Identifier les nouvelles menaces

Dans ce contexte de définition des financements de l’Initiative, il convient d’être attentif aux menaces qui rôdent. Le débat sur ce point a à peine commencé. Ici, il faudrait signaler, par exemple, qu’une discussion est nécessaire autour de l’acceptation du financement lié au marché du carbone ou à l’annulation de la dette externe. Ensuite, quand le fonds sera constitué, une autre activité prioritaire sera le contrôle permanent sur l’utilisation des ressources financières générées. En effet, la gestion de ces ressources peut être une autre source de conflit.

Le modèle du marché du carbone, qui consiste à commercialiser les émissions en imposant des conditions aux pays bénéficiaires, a été qualifié de nouvelle forme colonialisme. Les pays industrialisés ont pollué l’atmosphère de la planète avec leurs émissions de gaz à effet de serre. Aujourd’hui, au lieu de s’engager à les diminuer et à résoudre par eux-mêmes le problème, ils proposent, à travers des offres du marché, des mécanismes spéculateurs et non efficients. Ces options se caractérisent par des profits très élevés qui ne réduisent pas les émissions, mais qui remettent des droits à polluer en échange d’une compensation. Le marché du carbone, en réalité, est une forme de privatisation de l’air.

Un nouveau projet émerge : REDD - Réduction des Emissions issues de la Déforestation et la Dégradation des forêts. REED propose la création de puits de carbone et pourrait devenir un permis de polluer. REED s’avère être une fausse solution au changement climatique et implique une série de risques qu’il est important de prendre en considération.

Détaillons les principales menace s :
 Ce mécanisme permet de remplacer la forêt tropicale originale, c’est-à-dire la forêt, par de simples plantations arboricoles.
 Il privilégie une moindre exploitation forestière, ce qui entraînera une gestion spéculative avec des hausses et des baisses dans la déforestation, au lieu de l’empêcher.
 Il transforme la forêt en un simple fournisseur de services écologiques comme puits de carbone. Il transforme la forêt, ses arbres et l’air en une marchandise.
 Il aliène la gestion des territoires puisque les fins économiques prévalent sur l’administration locale, notamment pour les peuples autochtones. Ces derniers, les propriétaires de ces territoires, pourraient devenir dans le meilleur des cas de simples gardes-forestiers.
 En résumé, en priorisant les aspects économiques, en commercialisant les services environnementaux ou en permettant l’extraction pétrolière ou minière, on viole le caractère sacré des forêts. Pour les peuples autochtones et les communautés paysannes, les forêts ne sont pas de simples marchés à carbone, elles sont un espace de vie.

Comme beaucoup de ces aspects sont prévus dans les négociations du mécanisme REDD, ils ne devraient pas être utilisés dans le cadre de l’Initiative Yasuní-ITT. Dans un État plurinational, tel qu’il se doit d’être construit en Équateur par mandat constitutionnel, il ne peut être admis que les droits sur les territoires autochtones soient aliénés. Dans un pays qui reconnaît constitutionnellement les Droits de la Nature, il ne peut être admis que ses fonctions soient commercialisées. En somme, dans un État souverain, les fonctions de conservation ne peuvent pas être déléguées à des tiers.

Du point de vue des communautés et de notre pays, placer ses expectatives dans un projet de conservation lié à des engagements envers les pays riches conduits dans la pratique à retarder la lutte pour nos droits. Parmi les droits qu’il faut revendiquer auprès des pays riches le premier est celui qu’ils assument directement la plus grande part de la dépollution environnementale, le changement de leur style de production, de leur consommation déprédatrice, et en définitive le paiement de leur dette écologique. Il s’agit du fondement crucial de la coresponsabilité différenciée dans le cadre d’une nouvelle institutionnalité écologique globale.

De plus, ce mécanisme nous mettrait en situation de concurrencer le Mexique, le Brésil, le Congo et d’autres pays qui sont de grands déforestateurs. Pour ces pays, REDD représente un nouveau portefeuille de projets aussi bien forestiers que de conservation avec lesquels ils cherchent simplement des bénéfices financiers. Sa mise en œuvre présage une plus grande distanciation entre pays qui devraient marcher ensemble pour la construction d’une justice climatique globale.

En définitive, l’Initiative Yasuní ITT n’a rien à voir avec le REDD, et les apports reçus pour la fiducie ne devraient pas être utilisés pour des projets en lien avec le REDD ou le marché du carbone, car ils termineraient aux mains des ONG environnementalistes ou d’entrepreneurs de divers acabits. Les revenus obtenus devront être investis préférablement dans la transformation de la matrice énergétique et le développement du potentiel des sources alternatives et renouvelables d’énergies disponibles dans le pays ; dans la conservation des espaces protégés ; dans un processus massif de reforestation qui exclut les monocultures d’espèces exotiques ; dans le développement social durable, notamment en Amazonie avec la participation des populations de la zone ; et dans des investissements en sciences et technologie.

La définition des cinq priorités énoncées dans le paragraphe précédent a été atteinte sans pression des contributeurs potentiels. C’est dans l’exercice de sa souveraineté même que l’Equateur se propose de transiter vers une économie post-pétrolière.

De même, il faudra être attentif à ce que le financement de ce fonds ne se fasse pas par annulation de la dette. Il n’est pas possible de financer un projet vivant avec des ressources provenant de dettes odieuses, comme le sont beaucoup des dettes bilatérales contractées avec l’État espagnol, par exemple. En principe, les apports doivent être des fonds nouveaux.

Récupérons l’Initiative pour la société civile

La société civile a été à l’origine de l’Initiative. Aujourd’hui, elle apparaît un peu laissée à l’écart. Néanmoins, le moment est à la joie et à l’entrain. Le verbe « yasuniser » se conjugue déjà dans d’autres régions du monde.

Fêtons la signature de la fiducie, dont le contenu devra être totalement divulgué pour savoir à quoi nous attendre. Contribuons dans la mesure de nos contacts et de nos savoirs à renforcer cette Initiative.

N’oublions pas que les compagnies pétrolières, obstinées à commercialiser le pétrole de l’ITT, et qui osent même invoquer l’intérêt national et le bénéficie de la plus grande majorité, ne cesseront pas d’agir pour que l’Initiative Yasuní-ITT échoue. L’attitude hésitante du président de la République au cours de ces trois dernières années, et sa féria de noms d’oiseaux en janvier de cette année, font parfois penser qu’il y a un risque réel que le projet échoue, sous prétexte que la commission ne parviendrait finalement pas à réunir à temps les apports offerts et les nouveaux apports nécessaires. Le gouvernement pourrait alors faire endosser l’échec aux pays développés qui avaient promis ces apports, au PNUD et même aux écologistes pour ne pas avoir obtenu le financement nécessaire.

Nous devons donc toujours avoir en tête que cette Initiative doit s’ancrer dans la société civile. Elle a émergé de la résistance des communautés amazoniennes qui ont souffert des coups portés par les compagnies pétrolières en Amazonie, notamment de la Texaco. Puis un peu plus tard est venue l’idée d’un procès contre cette entreprise de la part des personnes touchées par son action irresponsable en Amazonie. Ensuite, cet effort soutenu de résistance a débouché sur la proposition d’un moratoire pétrolier dans le centre Sud de l’Amazonie équatorienne.

Ce sont donc les communautés de la zone de Yasuní, en première ligne, ainsi que le reste de la région amazonienne et la société équatorienne dans son ensemble, qui doivent être les acteurs fondamentaux de la pression en faveur de la mise en place de cette Initiative. De même, ils doivent être chargés du contrôle de cette mise en œuvre, et notamment de l’utilisation des ressources financières obtenues.

Actuellement, devrait même être débattue l’opportunité ou non d’étendre l’activité pétrolière (et minière) dans le Sud de l’Amazonie. Comme société, nous pourrions assumer le défi de ne pas l’étendre, en cherchant d’autres ressources pour financer l’économie, à travers le démontage systématique et créatif de subventions coûteuses et inégalitaires aux combustibles dérivés du pétrole, qui pour beaucoup doivent être importés à des coûts très élevés.

À ce niveau, alors qu’un chemin complexe et riche a déjà été parcouru, que nous disposons d’une nouvelle Constitution qui priorise le respect des Droits Humains individuels et collectifs et qui intègre révolutionnairement les Droits de la Nature, l’Initiative Yasuní-ITT n’est plus un choix qui dépendrait exclusivement de son financement. La mener à bien est une obligation des gouvernants et la soutenir est un devoir de tous les habitants du pays et même du monde.

Notes

[1La fiducie est un contrat ou une convention en vertu de laquelle une personne transfère des biens ou des droits de propriété à une autre personne afin que cette dernière administre les biens en bénéficie propre ou au bénéfice d’un tiers. En anglais trust, en espagnol fideicomiso. (NdT)

[2Dans le livre récemment compilé par Esperanza Martínez « ITT – Yasuní Entre le pétrole et la vie » (Abya Yala), de nombreux documents et déclarations sur ce projet sont présentés, y compris des documents qui en décembre 2006 ont cristallisé cette proposition dans le cadre d’un moratoire pétrolier dans le centre Sud de l’Amazonie équatorienne.

[3Quelle est la position des différentes forces politiques qui se présenteront aux élections présidentielles au Pérou en 2011 ? Pourrons-nous influer pour qu’il y ait un débat sur la « yasunisation » du bloc 67 ?