Colombie, un peuple pris en otage

La résistance de la société colombienne

, par CDATM

Après ce tableau assez sombre, on peut se demander comment vivent les Colombiens. Tout simplement en résistant, à leur risque et péril face à la répression. Une résistance dont ils ont une longue expérience. Sur fond de lutte pour les terres dont ils étaient chassés dans les années 1950, les paysans ont appris à résister. De là sont nés les mouvements armés de guérillas et depuis les réseaux de résistance non-violente.

Des intellectuels colombiens nous fournissent des clés pour mieux approcher les causes des violences dans leur pays. L’écrivain William Ospina constate que depuis « le début de la colonisation, à chaque époque, chaque richesse a donné lieu à des violences, des cruautés, des injustices et des conflits armés ». L’exploitation des richesses a été principalement orientée vers l’exportation si bien qu’elles ont profité surtout à des étrangers alors qu’une majorité de Colombiens restait dans l’indigence. Nombre d’historiens ont affirmé ce qu’exprime W. Ospina : les Colombiens n’ont pas une propension innée à la violence et ce qui est en jeu en Colombie, l’est aussi dans le monde.

Le peuple colombien n’est pas passif face à cette logique de violence. Il devrait même être un exemple pour tous les peuples qui vivent sous de fausses démocraties. Les paysans souhaitent récupérer leurs terres, les journalistes leur liberté de parole, les prisonniers politiques leur famille, les déplacés leur maison, les Colombiens leur souveraineté nationale, leur droit à la santé et à l’éducation et les magistrats, pouvoir juger en toute sérénité des crimes contre l’humanité.

Ce combat s’organise et se met en réseau. Des citoyens luttent pour la reconnaissance de leurs droits, des dizaines d’organisations locales, nationales et internationales se sont créées et luttent chaque jour, avec les risques qu’ils encourent, pour que ce conflit soit révélé comme étant ce qu’il est : une lutte entre une poignée de privilégiés et le reste de la population. Certaines associations se chargent de recueillir des témoignages, d’autres de former juridiquement et politiquement des communautés pour qu’elles puissent se défendre.

Une association colombienne, le CINEP (Centre d’investigation et d’éducation populaire) joue un rôle phare en Colombie et en Amérique latine par une réflexion approfondie sur la violence et le soutien des mouvements populaires par la formation des militants et notamment les défenseurs des droits humains. Les « communautés de paix » créées avec l’appui du CINEP se maintiennent sur leurs terres. L’objectif principal de l’organisation est la défense de la vie sur les territoires des communautés, par la promotion des droits humains, économiques, sociaux, culturels, politiques et environnementaux.

La justice a profité de la démobilisation des paramilitaires pour engager courageusement une centaine d’actions en justice contre des militaires, des fonctionnaires d’Etat et contre des membres de l’appareil politique proche du Président, pour leurs liens avec les paramilitaires et les narcotrafiquants. Des députés et sénateurs sont aujourd’hui sous les verrous. Dans ces révélations, la presse colombienne a joué un rôle inhabituel. Les témoignages sur les atteintes aux droits humains des associations de défense de ces droits auprès d’organisations internationales, ont été déterminants pour faire connaître au monde entier les exactions commises par les forces armées. (pour la première fois en novembre 2009, un général à la retraite Jaime Humberto Uscátegui a été condamné à 40 ans de prison par le Tribunal supérieur de Bogotá, pour avoir facilité, en 1997, le massacre par des paramilitaires de la population du village de Mapiripan alors qu’il avait été acquitté en première instance).

Le chemin de la paix passe par une refondation de l’Etat seul légitimé à assurer le contrôle des services de sécurité dans leur mission de maintien de l’ordre dans le respect des droits humains de chacun. Un Etat de droit ne peut émerger qu’avec la volonté de tous de régler les conflits par la négociation sous la coupe d’une justice indépendante. (Il est significatif qu’une sénatrice Piedad Cordoba, leader du « Mouvement des Colombiennes et Colombiens pour la paix », désignée pourtant en 2007 pour faciliter les échanges humanitaires, ait été récemment destituée de son mandat, pour avoir eu des contacts avec les FARC, d’ailleurs avec succès pour la libération d’otages). La politique sécuritaire et répressive est en contradiction avec l’Etat de droit.