Brésil : l’affrontement de deux modèles de société

La nécessité d’une réforme agraire au Brésil

, par CIIP

Les partisans d’une agriculture juste et « humaine » réclament à grands cris une réforme agraire qui devrait notamment donner à chaque paysan une terre à travailler dignement, et ainsi abolir une des inégalités les plus criantes du pays.

Le droit à la terre est la première condition de la réalisation du droit à une alimentation adéquate. Les petits agriculteurs, notamment à travers le puissant Mouvement sans-terres, attendent depuis de nombreuses années une réforme agraire qui tarde à se mettre en place.

Le plan de réforme agraire rendu public le 21 novembre 2003 prévoyait de dégager de l’expansion des entreprises agricoles 2 750 000 emplois ruraux nouveaux. Le Brésil en est bien loin. Face aux critiques acerbes de la société civile et des "sans-terres", Lula invoque alors la nécessité de procéder de manière réfléchie à la réforme. Aujourd’hui en 2010, la réforme agraire est pour ainsi dire « passée aux oubliettes ».

La faute à la fois à la pression exercée par les gros propriétaires terriens renforçant leur répression "privée" des "sans-terres", avec l’appui le cas échéant de la logistique des firmes transnationales implantées sur place mais aussi à l’option prise par le gouvernement Lula de développer l’agriculture intensive d’exportation baptisée "agrobusiness".

Sacrifiée pour le développement plus juteux de la canne à sucre et du soja, la réforme agraire n’en reste pas moins réclamée avec de plus en plus d’insistance par le MST, qui n’a pourtant pas su faire plier Lula lors de ses deux mandats successifs.

La politique de Lula (2002-2010) à propos de la question agricole

En 2002, l’espoir était revenu du côté du Brésil avec l’élection du leader du Parti des Travailleurs, Luiz Inácio da Silva, dit « Lula ». Ancien syndicaliste et proche du Mouvement des sans-terres, son arrivée au pouvoir devait favoriser l’avènement d’une réforme agraire, d’une redistribution des terres, voire d’une expropriation de certaines multinationales sous-exploitant les terres. En bref, un message fort en direction du monde paysan, qui n’en attendait pas moins.

Pourtant, ses premières mesures se sont tournées en direction du lobby de l’agrobusiness, contraint par la loi du marché extérieur et incapable d’effectuer un virage radical en termes de développement agricole sans ruiner un pays déjà très endetté.

Malgré tout, en 2003, Lula promet de donner des terres à 400 000 familles pauvres avant 2006, ce qu’il confirmera à cette date malgré la contestation du MST. Et en 2007, le gouvernement exproprie la fazenda da Barra dans la région de Ribeirão Preto (1780 ha alloués au MST), ce qui reste une grande victoire des petits agriculteurs contre les grands producteurs d’éthanol.

De même, la politique "Zéro Faim" a permis d’éradiquer en grande partie la famine dans le pays à travers la "Bolsa Familia", qui assure à tous un revenu minimum, mesure très populaire pour les classes plus défavorisées de la population.

En restant dans l’axe de son prédécesseur en matière de développement agraire, les deux gouvernements Lula (2004 – 2010) et Dilma (2011- 2016) ont fait du Brésil une "puissance émergente", un des premiers exportateurs mondiaux de matières premières. Mais, dans le même temps, et malgré les progrès accomplis, la pauvreté et les inégalités sociales restent des problèmes réels et lancinants : les choix du gouvernement ont entraîné une réduction continue de la surface cultivable destinée à la production alimentaire, avec, pour première conséquence, la hausse constante des prix des denrées de base, comme le haricot, et surtout des terres (+15% en moyenne, avec des pics à plus de 100% dans certains états comme Sao Paulo), contraignant à la vente de nombreux petits exploitants et renforçant la concentration foncière. La politique monétariste de Lula et de Dilma, leur obéissance aux règles du marché mondialisé et le laxisme concernant la culture transgénique et la déforestation de l’Amazonie ont ainsi engendré de nombreuses déceptions et frustrations dans le monde de la petite paysannerie. Il convient néanmoins de rappeler que sur le plan national, le Parti des Travailleurs ne dispose d’aucune majorité ni au Sénat ni à l’Assemblée et se voit obligé de conclure des alliances avec la droite. Ces petits agriculteurs, notamment à travers le puissant Mouvement des sans-terres, attendent depuis de nombreuses années une réforme agraire qui tarde à se mettre en place.

Le plan de réforme agraire rendu public le 21 novembre 2003 prévoyait de dégager de l’expansion des entreprises agricoles 2 750 000 emplois ruraux nouveaux. Le Brésil en est bien loin. Face aux critiques acerbes de la société civile et des "sans-terres", Lula invoque alors la nécessité de procéder de manière réfléchie à la réforme. En 2010, à la fin de ses deux mandats, la réforme agraire est pour ainsi dire "passée aux oubliettes". Et les gouvernements de Dilma Roussef n’ont pas été différent de son prédécesseur en matière de reformes, surtout, agraire.

La faute à la fois à la pression exercée par les gros propriétaires terriens renforçant leur répression "privée" des "sans-terres", avec l’appui le cas échéant de la logistique des firmes transnationales implantées sur place mais aussi à l’option prise par les gouvernements successifs du Parti des Travailleurs de développer l’agriculture intensive d’exportation baptisée "agrobusiness". Sacrifiée pour le développement plus juteux de la canne à sucre et du soja, la réforme agraire n’en reste pas moins réclamée avec de plus en plus d’insistance par le MST, qui n’a pourtant pas su faire plier ni Lula, ni Dilma lors de leurs trois mandats successifs.

Les Organismes Génétiquement Modifiés

Les organismes génétiquement modifiés n’ont jamais été formellement interdits. Leur autorisation est renouvelée d’année en année. Les pouvoirs publics ont cédé à la politique du fait accompli après que de nombreux agriculteurs du sud du Brésil eurent planté du soja transgénique.

La responsabilité des dommages environnementaux susceptibles d’être causés par les cultures OGM sera imputée aux agriculteurs, ce qui exonérera du même coup les multinationales productrices de semences transgéniques comme Monsanto.

L’assouplissement des règles de culture OGM se fait au profit des firmes transnationales déjà implantées, et destinées à en attirer d’autres, le tout au détriment de l’éco-système, sans parler des problèmes sanitaires encore mal connus.

Le gouvernement brésilien subit une triple pression. Celle des industriels souhaitant la levée des restrictions à la production et la culture de semences OGM, celle des importateurs européens plutôt hostiles aux OGM, auxquelles s’ajoute le fait que le Parti des Travailleurs n’a jamais obtenu la majorité aux deux Chambres (Parlement et Sénat).

Les dangers de la monoculture

La culture intensive de canne à sucre, d’eucalyptus et de soja s’accélère de plus en plus au Brésil avec l’investissement massif de nombreuses firmes transnationales appâtées par la quantité de terres cultivables et une main d’œuvre peu chère. Cet accroissement n’est pourtant pas sans dangers, et provoque de nombreuses catastrophes économiques, sociales, environnementales et culturelles.

En 2008, le Brésil ne comptait pas s’arrêter là et entend accroître encore sa surface de terres arables de 7 millions rien que pour la canne à sucre, soulevant de nombreux problèmes : d’une part la monoculture nécessite un traitement chimique préalable des terres et entraîne sa dégradation et son appauvrissement, et a également tendance à « asphyxier » toutes les autres cultures environnantes, notamment en raison de la quantité d’eau exigée et de la pollution des terres induites. L’impact des plantations d’eucalyptus, surnommées « désert vert » en raison de leur immensité et utilisé pour son bois en raison de sa pousse très rapide, est par exemple catastrophique pour les terres arables alentour et pour les rivières environnantes. Et l’expansion de ces monocultures se fait évidemment au détriment des terres produisant des denrées alimentaires, quand ce n’est pas illégalement en plein cœur de la forêt amazonienne.

Les travailleurs dans les champs de canne à sucre sont exploités, travaillant pour trois fois rien dans des conditions de travail inhumaines et une pression terrible, leur salaire étant calculé au rendement : moins de 1 euro par tonne de canne à sucre ! Ce qui entraine une course au rendement difficilement supportable pour l’organisme humain. Pire, 80 % de ces travailleurs sont des salariés temporaires, embauchés pour les huit mois de récolte. Et ces derniers sont constamment menacés par le spectre de la mécanisation, brandi à tout va par les actionnaires lorsque des mécontentements se font entendre. Voilà ce que l’on peut appeler un nouvel esclavage moderne…

Alors que le pays joue la carte de « l’énergie verte » et que le gouvernement élabore un label garantissant un éthanol « écologiquement durable », les tonnes de cendres issues de la transformation du sucre en éthanol retombant sur les zones habitées font plutôt mauvais effet… de même, la technique du « brûlis », qui consiste à brûler les feuilles de canne sans toucher à la tige pour augmenter l’efficacité de la récolte, dégage également d’énormes quantités de gaz à effet de serre et autres éléments polluants.

Quand la canne se substitue à d’autres cultures d’exportation ou occupe des terres précédemment consacrées à l’élevage, un effet domino se produit : riz, maïs et troupeaux ne disparaissent pas, ils se déplacent vers de nouveaux territoires... en Amazonie par exemple, où se poursuit la déforestation.
Les derniers touchés ? Les peuples autochtones d’Amazonie, qui voient monter le péril de la destruction de leur habitat d’origine sans rien pouvoir faire d’autre que de s’enfoncer plus loin dans les terres ou risquer de voir leur culture disparaître au contact de la société industrielle.

La politique des grands barrages

Ou comment deux entreprises françaises se retrouvent au cœur du conflit de plus en plus tendu entre gouvernement brésilien et populations indigènes[[Lire l’article : http://multinationales.org/Barrages-amazoniens-comment-EDF-et]]

Au cours des deux dernières décennies, de nombreuses entreprises multinationales ont investi au Brésil, et particulièrement dans trois cultures : le soja, la canne à sucre et l’eucalyptus. Pour répondre aux besoins croissants en énergie et en eau afin de répondre aux besoins de l’agriculture intensive, le Brésil s’est lancé dans une politique de réalisation de grands barrages.

Les milieux politiques brésiliens, enrichis dans l’agriculture et l’industrie agro-alimentaire, partageaient le choix d’une politique d’investissement à long terme. Le Brésil a donc élaboré un projet de 24 barrages hydro-électriques (2016-2020), ces barrages utilisant largement l’eau des fleuves amazoniens. Les investisseurs misent sur un doublement de la production d’ici 2030. Outre les projets générés par l’augmentation de la production, les centrales hydro-électriques sont censées produire une énergie à bas coût en quantité suffisante.

Ces choix politiques ne font pas l’unanimité dans la population. Le mécontentement vient du sacrifice qui est fait de la production familiale et pluraliste. L’extension des terres cultivables s’établit au détriment des populations autochtones. L’agriculture industrielle a en outre des effets dévastateurs sur les sols et les "brûlis" provoquant une pollution de l’air. Le coût humain – rythme forcené et mauvaises conditions de travail, salaires de misère – est également très important.