La lutte des tireurs de pousse-pousse de New Delhi pour survivre

Pédaler pour gagner sa croûte 

, par Intercultural Resources , GEORGE PT

L’article a été traduit de l’anglais au français par Marija Baric, traductrice bénévole à Ritimo. Retrouvez l’article original sur le site de Ritimo, Pedaling for Bread : Rickshaw Pullers of Delhi Struggle for a Living.

La migration d’un nombre important de personnes des zones rurales vers les zones urbaines a entraîné la croissance sauvage et explosive des villes en Inde. Alors que de nombreux migrants sont accusés du surpeuplement des villes, un examen critique des conditions de vie des migrants révèle que cette responsabilité est erronée.

Un tireur de pousse-pousse attend des passagers dans le vieux Delhi
Photo by PT George

La plupart des migrants dans les villes indiennes vivent dans une pauvreté extrême, sont confrontés à une pénurie de logements convenables, d’eau potable et d’installations médicales. Ces migrants sont souvent victimes du courroux d’organismes publics, municipaux et de la police.

Un nombre significatif de travailleurs migrants à New Delhi dépendent des pousse-pousse pour soutenir leurs familles restées dans leurs villages. Bon nombre de ces travailleurs migrants deviennent tireurs de pousse-pousse car cela constitue un moyen rapide pour eux de gagner de l’argent lorsqu’ils sont en ville. Cet article contribue à éclaircir certains des enjeux et des défis confrontés quotidiennement par les tireurs de pousse-pousse tout en effectuant un travail ingrat indispensable à leur survie.

La situation des migrants de New Delhi

Au cours des dernières décennies, la capitale de l’Inde, New Delhi, a été témoin d’une croissance urbaine sans précédent et d’un afflux massif de migrants, en particulier des zones rurales des États voisins. Une étude comparative des rapports du recensement de 1991 et celui de 2001 fait apparaître une augmentation de plus de 40% de la migration vers New Delhi au cours de cette période de dix ans. Selon le rapport de 1991, la population migrante totale de New Delhi s’élevait à 1,54 millions pour atteindre 2,17 millions en 2011.

La grande majorité de ces travailleurs migrants prennent part à divers secteurs informels et travaillent comme femmes de ménage, éboueurs, chauffeurs, marchands ambulants, vendeurs en bordure de route, conducteurs de cyclopousses et ainsi de suite. Des milliers de travailleurs migrants rejoignent l’industrie du cyclopousse en tant que tireurs, mécaniciens ou employés dans diverses unités auxiliaires qui soutiennent l’industrie du cyclopousse. On estime que 2 millions de cyclopousses sillonnent les routes de l’Inde. Le nombre exact est probablement nettement plus élevé car il n’existe pas de registres fiables disponibles, mais l’industrie du cyclopousse offre des emplois immédiats aux migrants non qualifiés dans les zones urbaines et périurbaines.

Être tireur de pousse-pousse à New Delhi

Une étude menée par le Jan Parivahan Panchayat (« Conseil des transports publics », un groupe de travail de Lokayan, un mouvement pour le développement alternatif) a révélé qu’environ 90 % des tireurs de New Delhi sont originaires de l’État directement à l’est de New Delhi (l’Uttar Pradesh) et l’État juste à l’est de celui-ci (Bihar). L’étude a en outre souligné que la plupart des tireurs de pousse-pousse à New Delhi sont des migrants saisonniers qui deviennent tireurs de pousse-pousse le temps de quelques mois et retournent dans leurs villages d’origine au cours de la saison agricole. Plus de 64 % des tireurs de pousse-pousse restent moins d’un an à New Delhi, tandis qu’environ 27 % restent tout au long de l’année. L’étude a révélé en outre que tirer les pousse-pousse fournit une source rapide de revenus pour les migrants saisonniers originaires de villages pauvres et génère de vastes perspectives d’emploi non seulement pour les tireurs, mais aussi pour la mécaniciens de pousse-pousse et pour d’autres petites industries qui produisent des pièces de pousse-pousse.

Un mode de transport indispensable

Le cyclopousse en tant que mode de transport non-polluant et respectueux de l’environnement, est l’un des moyens de transport interurbain les moins chers et joue un rôle central pour relier les usagers d’un point à l’autre, les aide à rejoindre des marchés de proximité, les gares et les terminus d’autobus, et permet de parcourir de courtes distances dans des ruelles étroites inaccessibles aux voitures et aux pousse-pousse motorisés.

Le tireur de pousse-pousse du quartier fournit souvent des services de transport de porte-à-porte particulièrement adaptés aux enfants des écoles maternelles. Sur les marchés bondés, le tireur de pousse-pousse représente un moyen commode de transport et de co-voyage de marchandises vers les zones proches. Les pousse-pousse sont également utilisés pour la collecte des ordures.

Dernièrement, les cyclopousses sont devenus un service de collecte indispensable pour les stations de métro et de bus, et peuvent se trouver garés en file d’attente à l’extérieur de nombreuses stations de métro à New Delhi. La nuit, pour des centaines de tireurs de pousse-pousse, leurs véhicules se transforment en lits de fortune.

Les pousse-pousse et les autorités municipales de New Delhi

Le pousse-pousse a été introduit à New Delhi en 1940 et est rapidement devenu très populaire en tant que mode peu coûteux de transport en commun. En 1975, le nombre de cyclopousses autorisé à New Delhi a grimpé à 20 000 et en 2006 leur nombre a été multiplié à plusieurs centaines de milliers. À l’heure actuelle, on estime que 600 000 cyclopousses sillonnent les rues de New Delhi et offrent des possibilités d’emplois directs à plus d’un million de travailleurs migrants.

Depuis le début, pour contrôler leur croissance, les autorités municipales de New Delhi (l’instance dirigeante locale) ont élaboré des règles et des règlements et ont accordé des permis municipaux aux cyclopousses à New Delhi. De temps à autre, les autorités municipales de la ville fixent un plafond sur le nombre maximum de pousse-pousse autorisés dans la ville. Le plafond initial de cyclopousses mis en place en 1960 était de 750.

Occasionnellement et arbitrairement, le plafond a été modifié, mais il n’a jamais pris en considération les besoins réels de la population. Par conséquent, en 1975, les autorités municipales de New Delhi ont élevé leur nombre à 20 000. La révision suivante a eu lieu seulement 18 ans plus tard. Cette fois là, le plafond a été porté à 50 000, mais le nombre réel de cyclopousses dans les rues était de 450 000. Quatre ans plus tard, les autorités municipales de New Delhi ont relevé le plafond à 99 000, alors qu’environ 600 000 cyclopousses sillonnaient les routes.

Conflits

À New Delhi, le cyclopousse a progressivement émergé comme un mode indispensable de transport public et le meilleur moyen de parcourir de courtes distances. Ainsi, un grand nombre de personnes dépendent encore d’eux.

Afin de contrôler et de réglementer les pousse-pousse à New Delhi, les autorités municipales de New Delhi emploient souvent le très strict règlement de 1960 sur les cyclopousses. Selon cette loi, une personne peut se voir accorder une autorisation de cyclopousse, à l’exception des veuves et des personnes handicapées qui pourront profiter de cinq autorisations. Exercer un cyclopousse sans permis valide est illégal.

Un tireur de pousse-pousse transporte un passager à Delhi
Photo by PT George

Les organismes municipaux et les décideurs politiques à New Delhi négligent souvent le service essentiel fourni par les tireurs de pousse-pousse. En temps de planification et de mise en œuvre de leurs projets, ils ne voient les cyclopousses qu’en tant que nuisance : des véhicules lents qui entravent la fluidité et la rapidité de la circulation sur des routes très encombrées. La police de la circulation et les fonctionnaires municipaux de la ville harcèlent fréquemment les tireurs de pousse-pousse en perforant les pneus, en confisquant et en mettant à la fourrière les pousse-pousse. En raison de l’attitude détestable des organismes gouvernementaux et des forces de police, les tireurs de pousse-pousse se retrouvent souvent dans des situations techniquement illégales tout en luttant pour gagner leur vie.

De nombreux tireurs et propriétaires de pousse-pousse se plaignent du fait que les fonctionnaires municipaux de la ville mettent en fourrière leurs pousse-pousse sans aucun motif valable, voire démantèlent les pousse-pousse confisqués si le propriétaire ou le tireur ne parvient pas à payer l’amende requise ainsi que les frais de stationnement dans la cour municipale. Mais en réalité, en plus de payer la sanction requise, les tireurs et les propriétaires doivent souvent payer un pot-de-vin pour récupérer leurs pousse-pousse confisqués.

Manushi, une organisation d’aide sociale fondée par l’activiste sociale Madhu Kishwar, a été en première ligne de nombreuses luttes pour les droits des groupes marginalisés et vulnérables et a dirigé de nombreuses campagnes pour les droits des tireurs de pousse-pousse en Inde.

Madhu Kishwar souligne que singulariser les cyclopousses et créer un plafond relatif aux autorisations par le biais de lois draconiennes est particulièrement discriminatoire. Elle affirme en outre que, bien que l’organisme municipal soit catégorique au sujet de l’application des lois sur les cyclopousses, il n’y a pas de telles restrictions quantitatives sur le nombre d’autorisations qui peuvent être délivrées aux propriétaires de véhicules motorisés. L’État favorise inutilement l’industrie automobile et désire éliminer les autres modes de transport qui sont moins coûteux et plus respectueux de l’environnement. En fait, aujourd’hui, New Delhi est envahie par les voitures, et même les ruelles étroites et les voies piétonnes sont envahies par les voitures et les motos garées de manière irrégulière.

Insécurité sociale et tireurs de pousse-pousse

Les tireurs de pousse-pousse, en raison de leur statut de migrants saisonniers, ne bénéficient pas de la sécurité sociale de base en ville. Les documents importants tels que les cartes de rationnement ou les cartes d’électeurs sont difficiles à obtenir en l’absence de preuves d’identité appropriées.

L’étude réalisée par Jan Parivahan Panchayat en 2001-2002 a révélé que près de 88 % des tireurs de pousse-pousse à New Delhi n’ont pas de cartes de rationnement émises par le gouvernement de New Delhi qui leur donnerait droit aux céréales subventionnées, à l’huile, au sucre et à d’autres produits essentiels. Plus de 90 % des tireurs de pousse-pousse ne possèdent pas de cartes d’électeurs et ne peuvent pas inscrire leurs noms sur les listes électorales faute de preuves de résidence et d’identité. La carte d’électeur, l’une des preuves d’identité les plus importantes en Inde, permet l’obtention de divers services, tels que l’ouverture d’un compte bancaire, la délivrance d’un permis de conduire, le branchement électrique, téléphonique, etc.

Ainsi, la plupart des tireurs de pousse-pousse, dépourvus de toute sécurité sociale et exploités par les autorités municipales de New Delhi, la police et certains secteurs de la société, vivent aux bords de la « légalité » et de l’ « illégalité ». Bien qu’ils soient citoyens indiens, en tant que migrants dans la ville de New Delhi, ceux-ci sont contraints de mener une vie suspendue et subversive.

Les revenus des tireurs de pousse-pousse

Plusieurs études et enquêtes ont été menées pour connaître les revenus et les habitudes de dépense des tireurs de pousse-pousse à New Delhi. La plupart des études ont montré qu’en moyenne un tireur de pousse-pousse gagne entre 150 (1,80 euros) à 300 roupies (3,60 euros) par jour. Le revenu mensuel moyen d’un tireur de pousse-pousse se situe entre 1200 (14,50 euros) à 4500 roupies (54 euros).

Mais les résultats varient d’un jour à l’autre et selon les saisons. Près de 90 % des tireurs de pousse-pousse louent quotidiennement leurs pousse-pousse à de grands propriétaires de pousse-pousse. En moyenne, un tireur de pousse-pousse dépense environ 50 roupies (0,60 euros) par jour pour louer son pousse-pousse. Le reste de ses revenus est consacré à l’alimentation et aux médicaments, et dans certains cas, une grande partie des revenus est dépensé en alcool et tabac. Tout l’argent restant est envoyé dans son foyer pour être économisé.

La plupart des tireurs de pousse-pousse ne peuvent pas se permettre un hébergement à New Delhi car les loyers sont extrêmement élevés dans la plupart des quartiers de la ville. De nombreux tireurs de pousse-pousse dorment à même les trottoirs et les sentiers, sous les viaducs et les ponts. Ceux qui vivent dans des logements loués dépensent une somme considérable de leurs revenus pour se loger.

Syndicat des tireurs de pousse-pousse et litiges

Des syndicats comme All Delhi Cycle Rickshaw Operators Union (Syndicat des opérateurs de cyclopousses du tout New Delhi), Federation of Rickshaw Pullers of India (Fédération des tireurs de pousse-pousse de l’Inde), Rajdhani Cycle Rickshaw Pullers Union (Syndicat des tireurs de cyclopousses Rajdhani), et de nombreux petits syndicats de pousse-pousse associés aux grands syndicats et ONG ont regroupé les tireurs de pousse-pousse en vue de les amener sous la houlette d’un syndicat général qui faciliterait la défense de leur droit à la subsistance et la reconnaissance de leur rôle dans la société.

Les syndicats ont essayé de coordonner les urbanistes, les responsables politiques, les policiers et les organismes municipaux dans le but de permettre aux tireurs de pousse-pousse d’obtenir des pièces d’identité valables ainsi que les minima sociaux. Les syndicats et les ONG s’emploient également à fournir des lignes d’assistance et les premières nécessités telles que des abris de nuit, des vêtements chauds en hiver, des autorisations de stationnement et une assistance médicale en cas d’accident ou de maladie grave.

L’alcoolisme et la toxicomanie sont également fréquents chez les tireurs de pousse-pousse. Plusieurs groupes de la société civile s’emploient également à sensibiliser les tireurs sur les effets néfastes de l’alcoolisme et de la toxicomanie. Assurer la sécurité financière et sociale de tous les tireurs de pousse-pousse constitue une autre priorité des syndicats.

Plusieurs syndicats ont déposé des plaintes contre les règles injustes des autorités municipales de New Delhi. En 1987, le All Delhi Cycle Rickshaw Operators Union (Syndicat des opérateurs de cyclopousses du tout New Delhi) a déposé une requête devant la Haute Cour de New Delhi remettant en cause les textes d’application des autorités municipales de New Delhi, arguant qu’ils s’opposaient à l’article 19(1)(g) de la Constitution de l’Inde, qui garantit le droit à chaque citoyen d’exercer librement toute profession ou toute activité économique.

Dans une autre affaire déposée par Manushi, la Haute Cour de New Delhi a rendu un jugement en faveur des tireurs de pousse-pousse. Le tribunal a fait valoir que le plafonnement des seuls cyclopousses à New Delhi constituait une pratique injuste.
De ce fait, le règlement appliqué par les autorités municipales de New Delhi niait directement le droit d’exercer un travail décent, de gagner sa vie et de vivre avec dignité. La cour a ajouté que les droits constitutionnels devaient être interprétés dans leur contexte et ont pris note grave des conditions de vie misérables des migrants de la ville. La cour a, en outre, remis en question les autorités municipales de New Delhi sur leur motivation à faire appliquer ces règles controversées.

Changement climatique et pousse-pousse

Au cours des dernières décennies, la ville de New Delhi a connu une révolution automobile et une augmentation exponentielle des voitures personnelles. Des milliers de véhicules personnels nouvellement immatriculés sont ajoutés chaque jour sur ​​les routes déjà encombrées de New Delhi, provoquant des embouteillages qui durent des heures. Par conséquent, les problèmes de mobilité, les embouteillages et la pollution croissante de l’air sont devenus des problèmes particulièrement préoccupants.

Dans ce contexte, le cyclopousse - en tant que véhicule non polluant idéal pour les déplacements de courtes distances - doit être adopté (sic) rapidement en tant que modèle durable de transport public. Une étude menée par l’Institut des transports et de la politique de développement a révélé que si tous les pousse-pousse étaient retirés des rues de New Delhi, la pollution de l’air augmenterait considérablement.

Ainsi, à l’ère des changements climatiques où les alternatives aux moyens de transport utilisant des énergies fossiles sont plus que jamais à l’ordre du jour, les cyclopousses doivent être considérés comme des véhicules respectueux de l’environnement.

Conclusion

Contrairement aux véhicules personnels qui occupent plus d’espace sur la route et sont plus coûteux à entretenir, les cyclopousses prennent très peu d’espace routier et peuvent transporter de nombreux passagers tout au long de la journée.

Puisqu’un cyclopousse implique un très faible investissement, il est souvent perçu comme une source immédiate d’emploi pour l’immense population migrante de New Delhi.

Dans l’ensemble, les responsables politiques ont fermé les yeux sur le sort des pauvres tireurs de pousse-pousse en favorisant le lobby automobile. Il faudrait non seulement encourager l’industrie du cyclopousse dans les zones urbaines, mais également appliquer une politique adaptée en la matière et soutenir financièrement les tireurs de pousse-pousse. En plus d’offrir le mode de transport public le plus abordable, l’industrie du cyclopousse contribue à réduire le chômage dans une ville où existe une population importante de migrants non qualifiés.