L’Albanie face à son passé

La formation de l’État albanais contemporain

, par Forum Réfugiés

La première République d’Albanie amputée d’une grande partie des Albanais

L’actuel territoire d’Albanie est occupé au IIe siècle par le Royaume d’Illyrie. Le terme albanoï est apparu un peu plus tard et désignerait les habitants de cette région. Les Albanais se réclament ainsi les descendants des Illyriens et revendiquent une présence historique dans la région. Au cours de l’occupation de l’Empire ottoman qui débute au XVe siècle dans la région des Balkans, les Albanais, au contraire des autres peuples comme les Serbes (chrétiens orthodoxes), se convertissent massivement à l’islam. Cette conversion leur permet d’accéder à un statut social bien plus avantageux, les chrétiens étant relégués à un simple statut de paysans. L’invasion ottomane provoque ainsi une grande vague de migrations vers l’Italie parmi ceux qui refusent de se convertir. La langue albanaise est peu à peu totalement interdite, d’abord dans les lieux d’enseignement, puis dans la vie quotidienne. Cette politique d’interdiction de la langue albanaise a des effets désastreux sur le taux d’illettrisme, dont les conséquences sont particulièrement visibles à la fin du XIXe siècle. Malgré cela, la langue parvient à survivre au fil des siècles.

En 1912 et 1913, les guerres balkaniques éclatent. L’Empire ottoman, affaibli, fait face à une coalition formée par la Serbie, la Grèce, le Monténégro et la Bulgarie, soutenue par la Russie. L’Empire ottoman cède rapidement et se retire des Balkans. Les négociations sur les découpages territoriaux commencent en 1912 et tournent vite en défaveur de l’Albanie : 60 % seulement des territoires peuplés d’albanophones lui sont octroyés. Les autres albanophones se retrouvent alors en Serbie, dans la région du Kosovo, en Macédoine ou au Monténégro. Les frontières ne sont arrêtées et acceptées qu’en 1921, après un ultime affrontement entre la Yougoslavie (fondée en 1918 ) et l’Albanie.

Lors de la Seconde Guerre mondiale, l’Italie de Mussolini occupe l’Albanie et prend possession des territoires peuplés d’albanophones, défendant l’idée d’une « Grande Albanie ». Dès 1941, le Kosovo est intégré à l’Albanie. Mais la résistance à Mussolini est bien réelle et soutenue par la Yougoslavie de Tito, arrivé au pouvoir en 1943. Les communistes albanais, fers de lance de la résistance à l’Italie fasciste, sont alors dépendants politiquement et militairement du pouvoir yougoslave. Au fur et à mesure de la perte d’influence de Mussolini dans la région, les communistes albanais n’ont d’autres choix que de reculer sur leurs revendications territoriales : la Yougoslavie reprend le contrôle du Kosovo, sans que les Albanais puissent riposter.

L’Albanie communiste : un pays qui s’isole et se ferme

La fin de la Seconde Guerre mondiale mène au pouvoir Enver Hoxha, qui choisit de s’allier à l’URSS de Staline par crainte du puissant voisin yougoslave. Cette période communiste est marquée par un isolement croissant du pays, qui rompt ensuite ses relations diplomatiques avec l’URSS, puis avec la Chine. Cette période est également marquée par une politique ambiguë envers la Yougoslavie : si Enver Hoxha dénonce la façon dont sont traités les Albanais du Kosovo, il ne revendique rien, conscient d’un combat perdu d’avance. Complètement isolées, les autorités albanaises savent que les relations commerciales avec la Yougoslavie leur permettent de survivre et que leur puissance militaire est bien supérieure à la leur.

Enver Hoxha est un dirigeant autoritaire. Les seules sorties du territoire autorisées concernent des universitaires se rendant à l’Université de Pristina, au Kosovo. Durant cette période où l’État est omniprésent, des milliers de personnes sont enfermées dans des camps ou condamnées à mort, pour des raisons politiques.

L’Albanie contemporaine : une ouverture politique et économique dans la douleur

En 1991, l’Albanie s’ouvre et laisse à découvrir un pays ruiné, le plus pauvre du continent européen. Les années 1990 sont donc pleines de défis. Le premier réflexe est cependant la fuite pour beaucoup d’Albanais. Une première vague de migrations est observée lors de l’ouverture des frontières.
En 1992, avec l’arrivée au pouvoir du premier président élu Sali Berisha, du Parti démocratique (à droite sur l’échiquier politique), les autorités entreprennent une politique de privatisation généralisée, qui ne cesse depuis, tous gouvernements confondus. Cette politique provoque des licenciements en masse et une baisse de la productivité, dans un pays déjà faible économiquement. D’autant que ces privatisations sont le fait d’une oligarchie corrompue. En 1996, la survie économique du pays repose essentiellement sur les transferts d’argent de la diaspora et les réseaux financiers de type pyramidal. Malgré cela, le Fonds monétaire international (FMI) n’a de cesse d’encourager la poursuite voire l’accélération des privatisations et ce, même après la grave crise économique, financière et sécuritaire de 1997 (expliquée plus loin). Encore une fois, de nombreux Albanais prennent la route de l’exil.
Ces privatisations avaient pour objectif annoncé de relancer l’économie du pays. Mais la transition économique du communisme au capitalisme a été difficile et les Albanais n’en voient pas les fruits. Peu d’entre eux ont confiance dans leurs dirigeants : après un régime autoritaire, ils ont découvert les failles d’un système certes démocratique mais toujours corrompu, dans lequel les intérêts personnels et les batailles d’ego semblent être plus importants que l’intérêt collectif.