Afrique du Sud : 20 ans plus tard, un tableau positif ?

La « Nation Arc-en-ciel »

La chute de l’apartheid et l’espoir représenté par Mandela

, par CEDIDELP , GERGAUD Sophie

Le 11 février 2010, la plupart des pays dans le monde célébraient le vingtième anniversaire de la libération de Nelson Mandela, emprisonné pendant 27 ans à Robben Island. Fidèle à la fois à ce qu’il nomme lui-même son « sens têtu de l’équité » et à ce que certains ont qualifié de « force de caractère hors du commun », de génie politique et humain lui permettant de pardonner et de préférer la réconciliation à la revanche, cette icône internationale a, pour sa part, célébré cet anniversaire en invitant l’un de ses anciens gardiens de prison.

Ainsi, il y a vingt ans, l’Afrique du Sud mettait fin à l’odieux régime de l’apartheid et prenait le chemin de la liberté, après plus de 300 ans de conflit colonial.

C’est pendant l’entre-deux-guerres que les élites britanniques et boers se rapprochent et radicalisent le discours racial promouvant une Afrique du Sud blanche. L’apartheid est instauré en 1950 et met en place une politique de ségrégation à deux volets. Une dimension juridique tout d’abord car elle restreint la liberté et les droits des populations de couleur ; une dimension spatiale ensuite car elle assigne les Noirs à résidence dans des townships ou des bantoustans.

Au cours des années 1950, l’ANC (African National Congress) met l’accent sur la lutte non-violente. Nelson Mandela, avocat ayant rejoint le mouvement en 1944, fait partie des 150 membres qui sont accusés de trahison en 1956. Les Procès de la trahison, de 1956 à 1961, s’achèvent par un acquittement général. Mais, en 1960, l’ANC est interdit. Puisque la lutte non-violente des dernières décennies contre les lois de l’apartheid n’a apporté aucun résultat concret, Nelson Mandela fonde et dirige à partir de 1961 la branche militaire de l’ANC, l’Umkhonto we Sizwe. La campagne de sabotage qu’il mène alors contre les installations publiques afin de menacer l’économie nationale et d’effrayer les investisseurs étrangers lui vaudra d’être arrêté et condamné à la prison à vie en 1963.

La lutte prend de l’ampleur lorsqu’en 1976 la police tire sur la foule dans le township de Soweto, lors d’une manifestation contre une loi imposant l’afrikaans comme langue unique d’enseignement. L’Afrique du Sud est alors de plus en plus isolée sur le plan international.
En 1977, l’ONU vote l’embargo sur les ventes d’armes et, à partir de 1985, les sanctions économiques appliquées par les pays occidentaux se succèdent.
C’est à cette époque qu’ont lieu les premiers rapprochements entre le parti au pouvoir et Nelson Mandela. En 1985, le président Botha rencontre le leader de l’ANC en prison et, contre l’avis de son entourage, lui offre la liberté à condition qu’il renonce définitivement à la violence comme arme politique. Mandela refuse et déclare : « Quelle serait cette liberté tant que l’organisation politique du peuple demeure interdite ? Seuls les hommes libres peuvent négocier ».

Président nouvellement élu en 1989, De Klerk provoque la fureur des ultras et la surprise du monde entier en prononçant, en janvier 1990, la levée de l’interdiction de l’ANC, du PAC et du parti communiste, la levée de la censure, la suspension de la peine capitale et la libération prochaine des derniers prisonniers politiques dont Nelson Mandela, figure emblématique de la lutte anti-apartheid.

De mars à juin 1991, De Klerk fait abolir par le parlement toutes les dernières lois d’apartheid encore en vigueur concernant l’habitat et la classification raciale. Le pouvoir s’essouffle et De Klerk organise les premières élections libres et multiraciales en 1994. L’ANC l’emporte avec 63% des voix. Nelson Mandela devient président. Il nomme Thabo Mbeki comme premier vice-président et Frederik De Klerk comme second vice-président et un gouvernement multiracial d’union nationale à majorité ANC. Deux ans plus tard, les fondations de la République sud-africaine sont en place : une nouvelle constitution est votée et devient l’une des plus progressistes du monde.

En 2002, une enquête, menée dans le cadre d’une action en justice contre 21 sociétés et banques étrangères pour dommages corporels résultant directement de leur complicité avec le régime d’apartheid (voir les campagnes), a permis d’établir que :
 entre 1990 et fin 1993, environ 12 000 civils ont été abattus et 20 000 blessés
 entre 1960 et 1990, plus de 80 000 civils ont été détenus sans procès jusqu’à 3 ans, dont des femmes et des enfants de moins de 15 ans
 entre 1950 et 1966, 6 000 personnes ont été emprisonnées pour avoir eu des relations sexuelles avec quelqu’un d’une autre « race »
 300 lois ont été mises en place pour organiser la ségrégation et le désavantage des Noirs
 16,5 millions de Sud-Africains ont été criminalisés et harcelés avec la loi sur les pass.
 4 millions ont été expulsés de leur maison ou de leur terre.

Ces quelques chiffres permettent aisément de comprendre la profondeur des blessures laissées par le régime de l’apartheid.

Initiée en 1996, la Commission Vérité et Réconciliation, présidée par l’archevêque Desmond Tutu, est chargée de recenser toutes les violations des droits de l’homme commises depuis le massacre de Sharpeville en 1960, en pleine apogée de la politique d’apartheid, jusqu’au 10 mai 1994. L’objet de cette commission concerne les crimes et les exactions politiques commis au nom du gouvernement sud-africain mais également les crimes et exactions commis au nom des mouvements de libération nationale. Ses travaux s’étalent sur deux ans.
En échange de la confession publique de leurs crimes, les participants bénéficient d’une amnistie pleine et entière. Selon Claude Wauthier, du Monde Diplomatique, « La création de la Commission Vérité et Réconciliation a sans doute contribué à épargner un bain de sang à l’Afrique du Sud libérée de l’apartheid. La personnalité de Mgr Desmond Tutu, archevêque anglican de Johannesburg, prix Nobel de la paix, qui l’a présidée, n’est évidemment pas étrangère à la réussite de cette expérience d’amnistie » (Wauthier Claude, "Vérité et réconciliation en Afrique du Sud", Le Monde Diplomatique, Janvier 2005, p.31).