L’immigration en France : histoire, réalités et enseignements…

Introduction

, par ASIAD , M’BODJE Mamadou

Guide de survie pour répondre aux préjugés sur les migrations
Illustration de Claire Robert

En essayant de traiter ce sujet, l’ASIAD engage un débat qui, éclairé par l’ampleur, les réalités, les difficultés et les apports des immigrations que la France a connues et connaît, lui permettra d’y apporter sa contribution.

Les articles qui constituent ce dossier, prendront appui sur la dimension historique de l’immigration afin de tenter d’aborder les situations actuelles. L’ensemble se réfère aux travaux des experts et analyse les évolutions des politiques et leur traduction législative et réglementaire.

L’objectif est de montrer que l’immigration a toujours suscité des tensions et que certains éléments de l’histoire se répètent comme alibis, justifications idéologiques des faux problèmes du temps présent qui, amènent ainsi, à percevoir l’immigration comme un problème.

En mettant l’accent sur la dimension prospective, ce travail ne cherche pas à poser une vision unique. L’éclairage du futur, en mettant en perspective le nouveau contexte de l’immigration, en soulignant, pour la France et pour les pays d’origine des immigrés, les enjeux qui seront ceux des prochaines générations, restitue certaines questions et contribue à les dépassionner ; il remet en cause certaines idées reçues et aide à dégager les lignes d’un autre regard sur l’immigration.

Il faut en effet bien connaître ce qu’est l’immigration aujourd’hui, ce qu’elle a été au fil de l’histoire de France, et, constatant sa réalité, se poser les questions de ce qu’elle sera, ou de ce qu’elle pourrait être, dès lors que l’analyse tend à indiquer qu’elle sera - quels qu’en soient le volume et les origines – d’un autre type que par le passé, dans ses dimensions humaine, économique, sociale et culturelle.

De tous temps, « l’étranger » a occupé une place dans l’imaginaire populaire. Par ses manières d’être, par ses comportements, sa culture…
L’immigré apparaît différent, comme « étranger » au regard des hommes et des femmes du pays qui l’accueille. Il va lui falloir apprendre à évoluer dans un milieu qu’il découvre et renoncer pour une part conséquente à ses repères antérieurs.
Tout ceci nécessite du temps, mais aussi que le pays d’accueil ait la volonté politique et humaine de faciliter cette insertion sans laquelle il ne peut y avoir d’intégration réussie.

C’est dire combien aujourd’hui comme hier cette problématique de l’immigration est une question hautement sensible, à tous les points de vue, en faisant une question politique majeure qui amène à des prises de position diverses, voire antagonistes.

On a pu mesurer, pour n’avoir pas toujours pris le poids des problèmes - réels ou imaginaires - posés par l’immigration, en particulier dans le champ sécuritaire, combien l’extrême droite a exploité dangereusement des thèmes que l’on a tout intérêt à aborder sereinement, réussissant même à polariser une part de la vie politique française autour des effets réels ou supposés de l’immigration.

Si, pendant de nombreuses années, l’immigration en France a été essentiellement considérée dans le contexte national, la question se situe désormais à partir des nouvelles perspectives d’ouverture résultant de la construction européenne et de la mondialisation.

Les trente glorieuses 1944 – 1974 

La mobilité des personnes, le creusement des inégalités entre les pays dits riches et les autres, ces pays du Sud touchés par les effets cumulatifs des insuffisances de leur développement, le poids de la dette, leur fréquente instabilité économique et politique, les effets de phénomènes climatiques ou autres sont autant d’éléments fondamentaux à prendre en considération.

C’est dans ce contexte d’un monde multipolaire, caractérisé par la diversité des cultures, que se posent les questions, sans que les États membres (Europe) puissent se dérober à leurs propres responsabilités. On ne peut pas se contenter de s’abriter derrière la réalité européenne, ni alibi à l’inaction, ni repoussoir à l’innovation ou au progrès. Quelles que soient les dispositions européennes, elles seront ce que le Conseil des États européens aura décidé, et il appartient à chacun de ces États d’exercer, en amont et en aval des décisions, toutes les responsabilités qui lui incombent.

Toute analyse, toute mise en perspective doivent prendre en considération la dimension nationale et examiner sans a priori, avec une constante préoccupation d’objectivité et de sérénité, avec une volonté de débattre et de rejeter l’affrontement, cette dimension dans tous ses aspects : économiques, sociaux, humanistes et sécuritaires. Elle doit aussi prendre appui sur l’histoire d’un pays où les droits de l’homme se sont constitués, et dont les citoyens ont un attachement au maintien de l’identité nationale.

L’histoire témoigne du temps qu’il aura fallu pour une intégration réussie d’hommes et de femmes venus d’abord des pays voisins, puis des pays – quel qu’ait été leur statut : indépendance, protectorat, colonie, etc.- qui ont participé aux combats des deux guerres mondiales.

L’histoire témoigne tout autant que l’immigration est un apport dynamique et un enrichissement de la culture nationale : dans le passé, quelles qu’aient été les vicissitudes, voire les souffrances, cet apport et cet enrichissement ont toujours fini par se concrétiser, s’imposer. Les immigrés ont aussi représenté dans le plus grand nombre de situations un lien naturel, économique et culturel, avec leur pays d’origine, l’immigration pouvant générer des liens privilégiés avec ces pays.

La diminution des temps de trajet et l’accélération conséquente des communications, les conflits armés, la misère, la malnutrition entraînent de nouveaux flux migratoires dont certains confèrent désormais une dimension planétaire à l’immigration. L’immigration illégale est plus présente dans les médias, qui confondent souvent irrégularité du séjour et autres formes de délinquance, que l’immigration légale.

De ce fait, des confusions s’expriment entre immigration et chômage, immigration et délinquance, immigration et bouleversements sociaux : certains redoutent dans certaines formes d’immigration le commencement d’une perte d’identité française, l’irruption d’intégrismes ou le développement des communautarismes.
Aux situations antérieures succèdent de nouvelles problématiques qui fondent les transformations sociales, économiques, culturelles, géopolitiques, les nouvelles donnes de l’activité professionnelle, les perspectives démographiques qui, en Europe, influent sur l’avenir collectif.
Il s’agit pour la France de se donner la capacité d’organiser et de « positiver » l’immigration et d’en faire un atout dans un monde ouvert.

On notera la présence de bureaux de recrutements de main-d’œuvre avec la création en 1920 de la SGI : Société Générale d’Immigration qui deviendra, de 1937-1938, l’ONI : Office National d’Immigration, et qui deviendra, ensuite, l’OMI : Office des Migrations Internationales, puis l’ANAEM : Agence Nationale d’Accueil des Étrangers et des Migrations et aujourd’hui l’OFII : Office Français de l’Immigration et de l’Intégration.

Le BUMIDOM ; Bureau pour le Développement des Migrations dans les Départements d’Outre-Mer, sera crée en 1963 pour accompagner l’émigration des habitants des départements d’outre-mer vers la France métropolitaine.

Réalités historiques 

L’histoire même de la France, de sa constitution en nation, atteste que, dès son origine, le pays s’est fondé par apports migratoires successifs. Dès la deuxième moitié du XVIII ème siècle il y a émergence de deux phénomènes : une baisse sensible de la natalité, une baisse de la mortalité.

Si, alors, la population française n’a pas décru en nombre absolu, on le doit déjà à l’allongement de la durée moyenne de vie et à l’immigration.

Plus tard, en particulier lors des premières grandes industrialisations, la conjugaison des facteurs démographiques et économiques entraîne en France une importante immigration de voisinage qui durera jusqu’en 1914 ; permanente dans l’industrie, les mines et les charbonnages, saisonnière dans le secteur agricole ; les emplois sont le plus souvent pénibles, précaires, mal rémunérés.

La guerre de 1914-18 fut une période importante dans l’histoire de l’immigration en France : 600 000 hommes issus de l’Empire colonial français viennent contribuer à la défense d’une « patrie » que la plupart d’entre eux découvrent alors. Après l’Armistice, certains se sont installés et ont contribué, par cette installation, à des opportunités d’accueil pour de nouveaux immigrants.

A cette période a succédé (1919-44) un afflux considérable d’immigrés.
De 1921 à 1931, on assiste au doublement de la population étrangère qui apporte sa force de travail dans les secteurs-clés de l’économie. Mais les effets de la grande dépression de 1929 se caractérisent en France par une montée du chômage et une vague de xénophobie s’ajoutant à l’antisémitisme, que le gouvernement de Vichy transforme en politique de discrimination institutionnelle.
Aux causes économiques de l’immigration antérieure, se mêlent des causes nouvelles, politiques, résultant de drames humains : réfugiés arméniens, russes, juifs d’Europe centrale victimes des nazis, antifascistes italiens, républicains espagnols.

Lors des « trente glorieuses » (1944-74), l’immigration se développe pour répondre aux besoins des entreprises françaises, et se modifie : moins d’Européens, davantage d’Africains (surtout Maghrébins) et d’Asiatiques.

Les enseignements de l’histoire

Une nouvelle période s’ouvre en 1974, année marquée par une décision du gouvernement français suspendant l’immigration de main-d’œuvre et la mise en place de la carte de séjour pour les étrangers originaires de certains pays des anciennes colonies françaises.
Le développement puis la permanence d’un chômage de masse lors de cette période ouvre le champ à une volonté politique de maîtriser cette immigration, à laquelle sera toutefois associée une politique de regroupement familial nécessitant l’amélioration des conditions de vie des immigrés présents en France, dans les domaines de l’habitat, de la scolarité, de la culture et de la formation professionnelle.
Cette période est marquée par plusieurs réalités qui ne se confondent pas : un flux croissant de demandeurs d’asile politique ; une immigration illégale qui prend souvent appui sur de véritables réseaux ; une immigration de plus en plus féminine du fait du regroupement familial.

L’immigration a construit au fil du temps des représentations réciproques, voire des préjugés qui ont des effets sur l’intégration. Les Français n’ont pas le même regard sur l’immigré selon son pays ou sa culture d’origine.

De son côté, chaque immigré est marqué par des références contrastées. En effet, il appréhende la France à la fois comme l’héritière du siècle des Lumières et le pays des droits de l’Homme et comme l’ancienne puissance coloniale.
Force est de constater que pendant longtemps la France n’a pas défini de véritable politique d’intégration, même si les immigrés et leurs descendants se sont fondus dans la société française.

C’est davantage par la mobilité sociale professionnelle, par la distance progressive prise avec la culture d’origine et le développement des unions « mixtes » que cette intégration s’est effectuée.

Le défi est désormais de définir et de réussir une politique d’immigration et d’intégration et de rechercher et promouvoir les mesures et les dispositifs qui peuvent y contribuer dans la légalité.

Dresser un état comparatif de l’immigration et de ses réalités, en France et en Europe, se heurte à la difficulté de comparer les études statistiques européennes et nationales et de mesurer l’importance réelle de l’immigration irrégulière dans chacun des pays de l‘Union européenne. Particulièrement incertain, le nombre de personnes étrangères en situation irrégulière est désormais estimé à un total d’au moins 3 millions dans l’ensemble de l’Union européenne.

La Commission européenne s’est émue de cette difficulté et invite les États membres à harmoniser leurs méthodes statistiques.

À cet égard, il faut noter l’adoption du « plan d’action pour la collecte et l’analyse des statistiques communautaires dans le domaine des migrations » (juillet 2003) doté d’un budget de 3 millions d’euros sur trois ans. La création d’un réseau européen des migrations (REM) doit permettre « l’analyse du phénomène pluridimensionnel de la migration et de l’asile » en en couvrant les aspects politiques, juridiques, démographiques, économiques et sociaux.

Le contexte européen

Comme en témoignent les expériences dans divers États membres de l’Union européenne et/ou États candidats à l’entrée, quels que soient les dispositifs ou les législations nationaux actuels ou à venir, le traitement des dossiers fondamentaux impose une définition européenne : les sommets européens successifs, en particulier ceux d’Amsterdam, de Tampere et de Séville, ont décidé la mise en place de politiques communes en matière d’immigration et d’asile avant 2004. L’approche dominante maintient la distinction entre les immigrés selon le motif de leur présence dans l’un des États membres : demandeurs d’asile, regroupement familial, motifs économiques et d’emploi, etc.

L’Europe envisage de prendre des décisions qui traiteront du partenariat avec les pays d’origine, de l’instauration d’un régime d’asile européen commun,du traitement équitable des ressortissants de pays tiers, du développement d’une gestion commune, tant qualitative que quantitative, des mouvements migratoires.

La communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, propose une réflexion sur « l’immigration, l’intégration et l’emploi » (COM 2003-336 final, du 3 juin 2003). Elle invite à prendre en compte la nouvelle dimension du défi économique et démographique de l’immigration, à mesurer le rôle économique de l’immigration et son incidence sur l’emploi, l’impact de l’évolution démographique sur l’emploi et la croissance économique et, aux fins de relever de façon satisfaisante ce défi, invite à retenir les orientations nécessaires, en premier lieu consolider le cadre juridique et renforcer la politique de coordination.
La communication de la Commission souligne à l’époque sa grande difficulté à répondre à la question : « l’immigration est-elle une solution à l’évolution démographique ? ».

Elle relève qu’« il est de plus en plus probable que les flux d’immigration vont s’accroître et qu’ils seront plus que jamais nécessaires.

En effet, la tendance à la diminution de la population européenne en âge de travailler, alliée à divers facteurs d’incitation dans les pays en développement, est susceptible de générer un flux durable d’immigrants au cours des prochaines décennies. De plus, elle peut contribuer à étaler sur une plus longue période les retombées de la transition démographique qui aura lieu entre 2010 et 2030, tout en ne pouvant, à elle seule - il ne faut pas l’oublier -, contrer les effets du vieillissement de la population ».

Pour la Commission, la politique de l’immigration inscrite dans le contexte de la politique européenne de développement, doit absolument être complétée par des mesures de grande envergure destinées à favoriser l’intégration sociale des immigrés : accueil, mixité sociale, lutte contre les discriminations, habitat, éducation, formation, protection sociale et, bien entendu, l’emploi, car ce dernier permet en outre la création de richesses susceptibles d’équilibrer les éventuels coûts de ces mesures.

La question de l’immigration concerne désormais l’ensemble de l’Union européenne, y compris les États du Sud qui ont dû, face à leur déficit démographique, s’ouvrir à leur tour à l’immigration économique. Cette immigration est influencée par l’attractivité représentée par les États d’accueil.
Si, dans certains pays, l’immigration est souvent de transit, saisonnière ou temporaire, elle débouche souvent en France sur une installation durable, voire définitive.
Se pose alors la question des conditions de l’intégration de ces hommes et femmes.

Dès lors, la Commission se tourne vers les compétences nationales, en rappelant que l’intégration relève en premier lieu de la compétence des Etats membres, que les programmes d’intégration devront être mis en oeuvre en impliquant les autorités nationales, régionales et locales, mais également les partenaires sociaux et les autres organisations de la société civile, en particulier les associations.

Elle se propose cependant, d’adopter un programme-cadre européen pour l’intégration des immigrés ; il porterait, comme le souhaite le Comité économique et social européen, sur : le premier accueil des immigrés et des réfugiés ; l’intégration par le travail et au travail ; l’accès au logement et à l’espace public ; l’accès à l’éducation ; l’accès aux services de santé et aux services sociaux ; la pluralité culturelle ; la promotion de la participation citoyenne.

Dans le même temps, l’Union européenne envisage d’adopter à l’unanimité une politique commune en matière de lutte contre l’immigration illégale accompagnée de dispositifs de rapatriement contraignants pour les pays tiers, mettant l’accent sur deux priorités : la lutte contre l’immigration clandestine et la maîtrise des flux migratoires avec, en particulier, l’examen des mesures engagées par les États candidats à l’adhésion ; ces priorités doivent être traitées dans le contexte démographique de l’Europe qui pèse sur les flux migratoires extérieurs.

La Commission, qui traite spécifiquement dans cette communication de l’immigration illégale par rapport au futur, constate cependant que lorsque sont décidées dans les États membres des procédures de régularisation en direction des immigrés illégalement présents sur leur territoire, celles-ci sont à la fois « un facteur de développement du processus d’intégration » et « un encouragement à poursuivre l’immigration illégale ».

Si la Commission souligne que la seule approche cohérente pour traiter le problème des résidents illégaux est de veiller à ce qu’ils retournent dans leur pays d’origine, dans le même temps, elle constate que « dans un nombre important de cas, la mise en œuvre de cette politique est impossible pour des raisons juridiques, humanitaires ou pratiques ».

C’est donc en amont que la Commission envisage avant tout d’agir en renforçant les dispositifs prévus par le « plan global de lutte contre l’immigration clandestine et la traite des êtres humains dans l’Union européenne » (28 février 2002) ; le « plan pour la gestion des frontières extérieures des États membres de l’Union européenne » (13 juin 2002) ; et le « programme d’aide au retour » (28 novembre 2002).

Commentaires

Références Bibliographiques :
 KARDINER (A). : L’individu dans la société (1939), Ed. Gallimard, Paris, 1969.
 HOCHET (A) : Le débat politique français de 1981 à 1988, Revue Pouvoirs n° 47, PUF, 1988.
 BAROU (J) et LE (H.Kh.) : L’immigration entre loi et vie quotidienne, Ed L’Harmattan, Paris, 1993.
 GRIOTTERAY (A) : Les immigrés : le choc, Ed. Plon, 1984.
 HOCHET (A) : Le débat politique français de 1981 à 1988, Revue Pouvoirs n° 47, PUF, 1988.