L’hôpital se moque de la charité

, par Red del Tercer Mundo , KHOR Martin

L’article a été traduit de l’espagnol au français par Suzanne Szulc, et relu par Sevane Fourmigue, traducteurs à Ritimo. Retrouvez l’article original sur le site de Red del Tercer Mundo, El burro hablando de orejas

La sécurité alimentaire est devenue aujourd’hui une question prioritaire après la montée en flèche des prix alimentaires mondiaux en 2008. D’autant plus que « éradiquer l’extrême pauvreté et la faim dans le monde » est le premier des Objectifs du Millénaire pour le Développement, adoptés par les gouvernements en 2000.

Le G-33 [1]], qui aspire à un traitement spécial additionnel en vue de protéger ses agriculteurs, réclame que ses gouvernements aient la possibilité d’acheter des denrées alimentaires auprès de leurs petits agriculteurs, de les stocker et de les distribuer aux foyers les plus démunis, sans être entravés par les normes de l’OMC relatives aux subventions agricoles. Mais, cette proposition se heurte à la résistance des pays développés et, plus particulièrement, des États-Unis.

Cet affrontement est un parfait exemple de la façon dont la réglementation de l’OMC favorise les pays riches, tout en sanctionnant les pays en développement.

Il est bien connu que les plus grandes distorsions du système commercial se trouvent dans le secteur agricole. Cela est dû au fait que les pays riches ont demandé et ont obtenu une dérogation, dans les années 1950, aux normes de libéralisation des échanges du GATT, organisme prédécesseur de l’OMC. Ils ont été autorisés à accorder d’énormes subventions à leurs propriétaires ruraux, dont certains ne réalisaient même pas d’activité agricole, et de fixer des tarifs douaniers très élevés.

Lorsque l’OMC fut créée, en 1995, un nouvel accord agricole a permis de garder cette forte protection. Les pays riches ont dû réduire de seulement 20 % leurs subventions causant des effets de distorsion sur les échanges. Ils ont pu changer la nature des échanges en les mettant dans une « catégorie verte », qui comprend les mesures de « soutien interne à l’agriculture autorisé et sans limitations parce que ses effets de distorsion sont nuls ou minimes ».

La technique des pays riches consiste à affecter la plupart de leurs subventions à cette catégorie, dépourvue de toutes limites. Mais les études ont démontré que les subventions de la « catégorie verte » perturbent, tout de même, le commerce.

Toutes ces possibilités ont permis aux pays riches de maintenir et même d’augmenter leurs subventions. Des données de l’OMC révèlent que l’aide interne totale des États-Unis est passée de 61 milliards de dollars en 1995 à 130 milliards de dollars en 2010, tandis que celle de l’Union européenne a baissé, passant de 90 milliards d’euros en 1995 à 75 milliards en 2002, pour augmenter à nouveau à 90 milliards en 2006 et rebaisser à 79 milliards en 2009. Une mesure de soutien à l’agriculture plus vaste, connue sous le nom d’« estimation du soutien total », montre que les subventions des pays de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) ont augmenté d’environ 17 % entre 1996 et 2011.

Les subventions continues des pays développés ont eu des effets dévastateurs pour les pays en développement. Des aliments dont le prix de vente est inférieur au coût de production continuent toujours d’inonder les marchés des pays les plus pauvres, portant préjudice aux petits agriculteurs.

Ironiquement, il n’est pas permis d’octroyer aux pays en développement, qui sont les victimes des subventions des pays les plus riches, les mêmes bénéfices. La raison est que les normes agricoles stipulent que tous les pays doivent réduire leurs subventions qui perturbent le commerce. De manière que si un pays en développement n’avait pas octroyé de subventions précédemment, il ne peut plus le faire à présent, sauf en quantités minimes (10 % de la valeur totale de production). En d’autres termes, si un État a attribué des subventions de 100 milliards de dollars dans le passé, il doit les baisser à hauteur de 80 milliards et il peut transférer le reste vers la « catégorie verte », mais, s’il n’a attribué aucune subvention, il ne peut même pas accorder un dollar au-dessus du minimum autorisé.

C’est à ce niveau qu’apparaît la divergence au sein de l’OMC. Les pays en développement demandent que les aliments achetés aux producteurs pauvres et livrés aux consommateurs pauvres soient considérés comme faisant partie de la « catégorie verte », sans condition. La règle actuelle prévoit une condition injuste : n’importe quel élément subventionné dans ce cadre d’achat doit être considéré comme une mesure qui perturbe le commerce, ce qui est, pour la plupart des pays en développement, limité à ce montant minime de 10 % de la valeur de production.
Les pays en développement cherchent simplement à éliminer cette condition injuste qui, de ce fait, les empêche d’aider de manière adéquate les secteurs démunis de la population à se procurer de la nourriture en quantité suffisante.

Le fait que les pays riches, qui accordent des subventions d’un montant de 407 000 millions de dollars par an, empêchent aux pays en développement de subventionner leurs petits agriculteurs et leurs consommateurs pauvres est, en réalité, une forme très particulière de discrimination et d’hypocrisie. Un parfait exemple que l’hôpital se moque de la charité.

Il reste encore à savoir si cette polémique pourra se résoudre avant la Conférence Ministérielle de Bali (La conférence de Bali a eu lieu début décembre 2013, retrouvez un dossier spécial sur le déroulement de cette conférence, ici- NDLR) .