L’énergie qui fait avancer le Brésil. Un débat qui dépasse les frontières

Par Carlos G. Aguilar

, par AGUILAR Carlos

Le titre fait référence à un slogan utilisé par Petrobras : “Energia que move o mundo”.

Cet article a été écrit par Carlos G. Aguilar, chercheur associé au CLAES et initialement publié en espagnol. Il a été traduit par Gaëlle Salon, traductrice bénévole pour rinoceros.

Le Brésil est un pays dont la particularité est de disposer d’un modèle de production énergétique très diversifié avec une présence importante de sources renouvelables. La production d’énergie repose ainsi sur des sources hydroélectriques, thermiques, les combustibles fossiles, l’éolien, la biomasse et le nucléaire dans une moindre mesure [1]. Pour l’année 2008, la part des énergies renouvelables dans le total de la production énergétique a été estimée à 45,9%, ce qui incluait essentiellement l’hydroélectrique et l’éthanol combustible.

Ces derniers temps cependant, des changements sont intervenus dans ce modèle. Les prix élevés du sucre sur le marché mondial et les sécheresses qu’ont connues les zones de production de canne à sucre ont eu un effet drastique sur la production d’éthanol, dont on estime qu’elle pourrait baisser de 4% en 2011. Cette diminution a également un impact sur les opérations commerciales du secteur, à tel point que l’on prévoit une sévère réduction des exportations d’éthanol combustible.

L’Entreprise Nationale – Petrobras - a déjà annoncé dans son nouveau plan de commerce une augmentation de la production interne de pétrole et son actuel PDG, Sergio Gabrielli, a dû débattre publiquement avec le Ministre de l’Agriculture Guido Mantega qui refuse d’accepter une hausse des prix du combustible. Avec cette situation pour toile de fond, on peut envisager plusieurs scénarios importants à portée continentale.

Tout d’abord, la chute des exportations d’éthanol combustible, du moins pour une période que l’on ne peut pas encore déterminer (2013), pourrait frapper surtout les accords commerciaux avec les principaux acheteurs que sont les Etats-Unis et l’Union Européenne. A la possibilité que le Brésil ait recours à l’importation d’essence pour répondre à sa demande vient s’ajouter le fait que le pays importe de l’éthanol depuis l’année dernière (surtout de l’éthanol anhydre) depuis les Etats-Unis [2].

D’autre part, et en lien avec l’idée précédente, le plan d’investissement de Petrobras destiné à augmenter la production de pétrole et de gaz naturel d’ici 2014, implique que les investissements ne soient pas inférieurs à 17 milliard de dollars, dans la mesure où la Banque Nationale de Développement Economique et Social (BNDES) est l’un des principaux collaborateurs dans le domaine. Ces investissements sont essentiels car en parallèle, on s’accorde pour dire que d’ici la fin 2011, l’offre nationale de gaz connaîtra une hausse de 40%. On espère également que la production estimée du Bassin de Campos [3] augmente de 60 millions de mètres cubes par jour en 2017 et de 100 millions pour 2020.

Cela signifie que l’offre de gaz naturel ainsi que le développement du gisement pétrolifère du Pré-Sal (70% du gaz produit dans le pays est associé au pétrole) favorisent un marché interne qui pourrait remplacer les importations actuelles et surtout changer les conditions d’achat avec la Bolivie, fixées jusqu’en 2019 [4].

Ce propos est clairement illustré par l’utilisation du gaz du Pré-Sal sur le Complexe Petrochimique de Rio de Janeiro (COMPERJ), qui prévoit la construction de deux raffineries d’une capacité de 165000 barils par jour de dérivés de pétrole. Celles-ci seront achevées respectivement en 2013 et 2018. En d’autres termes, si le gaz bolivien est encore moins cher au Brésil en raison d’une règle d’ajustement de prix fixée en 2007, cette situation tendra à se modifier dans les prochaines années, d’autant plus que l’objectif est que le Brésil devienne exportateur.

A cela, il est important d’ajouter que Petrobras, Braskem, Ultrapar et CONSAN [5] se sont regroupés au sein d’un projet visant à créer un Centre de Développement de Gazéification de la Biomasse financé par la BNDES. L’objectif est de produire du gaz à partir de la bagasse de la canne à sucre et de l’utiliser pour générer de l’énergie électrique et des matériaux destinés à la production des dits « plastiques verts ».

Troisièmement, il faut souligner qu’en termes d’énergie nucléaire, le Brésil compte deux centrales (le réacteur d’Angra III devrait être achevé pour 2015) ce qui contribuerait à 2,3% du total de l’électricité produite dans le pays. Le prix de cette énergie est encore très élevé comparé à l’énergie hydroélectrique, c’est la raison du débat au sein du Gouvernement Fédéral sur le thème de l’initiative privée en matière d’énergie nucléaire et qui vise à créer les conditions favorables à la transformation du marché brésilien en un marché attractif pour les entreprises privées de capital japonais, européen ou américain telles que Suez, Areva, Westhinghouse, Enel, Toshiba et Iberdrola.

Le Plan National d’Energie incite à la production d’énergie nucléaire à hauteur de 4000 MW d’ici 2025, soit le double de la production actuelle. Sans aucun doute, l’existence d’études démontrant que les effets du changement climatique entraîneront des baisses significatives de la production d’énergie hydroélectrique est un facteur important. Ce panorama, d’un point de vue général, ferait du Brésil un pays encore plus dépendant du pétrole (du moins jusqu’à 2030), l’énergie nucléaire ne pouvant constituer une solution alternative.

C’est la raison pour laquelle quelques organisations comme WWF-Brésil soutiennent l’importance de parier sur des énergies alternatives telle que l’énergie éolienne qui, d’après les données du Centre de Recherche sur l’Energie Electrique (CEPEL-Electrobras), pourrait produire jusqu’à 143000 MW. L’Institut de Recherches Economiques Appliquées (IPEA) insiste lui aussi sur le fait que les énergies alternatives constituent la route à suivre pour se libérer de la dépendance du pétrole. D’après une étude de cet institut publiée en février de cette année, il faut que dans les quatre prochaines années, l’énergie éolienne produise 2,1% de l’ensemble de l’électricité du pays, soit plus ou moins l’équivalent de ce qui est attendu pour l’énergie nucléaire avec l’achèvement du réacteur Angra III.

Le modèle énergétique brésilien doit sans aucun doute faire l’objet d’un débat. Les conditions actuelles nous permettent d’envisager dans un futur proche de nouveaux réajustements concernant la géopolitique régionale des ressources et leur commercialisation, et l’on ne peut s’empêcher de considérer qu’une grande partie des investissements réalisés par le Brésil dans cette région sont motivés par la possibilité de garantir un marché énergétique sécurisé, tant au niveau interne que régional.

Notes

[1Il est important de souligner qu’actuellement, environ 8000 MW de l’énergie électrique utilisée au Brésil sont importés du Paraguay, d’Argentine, du Vénézuela et de l’Uruguay (voir le dossier de l’IPEA cité dans la bibliographie).

[2L’entreprise norvégienne Novozymes estime que la production d’éthanol cellulosique (biocombustibles de deuxième génération -2G Biofuel-) verra le jour au Brésil qu’à partir de 2013 et en petites quantités uniquement. La situation est identique aux Etats-Unis et en Chine.

[3Le Bassin (Bacia) de Campos représente plus de 80% de la production d’éthanol nationale de pétrole. On compte 55 puits d’extraction qui génèrent 22 millions de mètres cubes de gaz par jour. Il est situé entre la partie nord de l’état de Rio de Janeiro et la côte sud d’Espirito Santo.

[4Actuellement le Brésil importe 30 millions de mètres cubes de gaz de Bolivie.

[5Brasken est la principale entreprise de production de résines thermoplastiques et de produits pétrochimiques, avec plus de 29 usines réparties entre les Etats-Unis et le Brésil. Ultrapar est l’entreprise chargée de la distribution des combustibles au Brésil, avec des opérations au Mexique et au Vénézuela, ainsi que des bureaux de vente en Argentine et aux Etats-Unis. COSAN est l’une des principales entreprises productrices et exportatrices de sucre et d’éthanol, et la principale productrice d’énergie électrique à partir de pulpe de bagasse de canne à sucre dans le monde.