Énergie et eau : un modèle énergétique alternatif pour l’Équateur

L’eau en tant que droit humain, un pas historique

, par EcoPortal

Cette dure réalité, débattue par de nombreuses personnes et dans divers secteurs, tels que le Forum sur les ressources hydriques et certaines organisations indigènes, a été la base de longs et difficiles débats et délibérations au sein de l’Assemblée Constituante de Montecristi. Deux manières de penser le monde et la vie s’y sont confrontées. D’un côté se trouvent les défendeurs à outrance d’une vision centrée sur le marché, pour eux, l’eau est une ressource de plus pour la production. De l’autre côté, ceux qui voient l’eau comme un droit humain fondamental. En définitif, dans la Constitution est reflétée, à la décision du peuple équatorien, cette seconde position qui fixe la nécessité absolue de passer de nouveau à un contrôle étatique et social de l’eau qui soit efficace.

Les thèmes du droit et de la protection de l’eau occupent donc un espace prépondérant dans la Constitution de 2008. Sa gestion n’échappe pas non plus à ces considérations. Ainsi, dès le début, l’article 3 fixe le premier devoir primordial de l’État :

« Garantir, sans discrimination aucune, l’effective jouissance des droits établis dans la Constitution et dans les instruments internationaux, en particulier l’éducation, la santé, l’alimentation, la sécurité sociale et l’eau pour ses habitants. »

Concrètement, l’article 12 détermine que « le droit humain à l’eau est fondamental et essentiel. L’eau constitue un patrimoine national stratégique d’usage public, inaliénable, imprescriptible, insaisissable et essentiel pour la vie ».

À partir de ces définitions, l’Assemblée Constituante de Montecristi a approuvé quatre points fondamentaux :

1. L’eau est un droit humain.

2. L’eau est un bien national stratégique d’usage public.

3. L’eau est un patrimoine de la société.

4. L’eau est un composant fondamental de la nature, qui elle-même a des droits propres de vie et de maintien de ses cycles de vie.

La portée des dispositions constitutionnelles est multiple :

 En tant que droit humain : la vision commerciale de l’eau a été transcendée et la vision de l’« utilisateur », c’est-à-dire celle du citoyen et de la citoyenne, a remplacé celle du « client », qui se réfère à celui qui peut payer.

 En tant que bien national stratégique : le rôle de l’État en ce qui concerne les services de l’eau été préservé, rôle dans lequel il peut être très efficace tel qu’il l’a déjà démontré dans la pratique.

 En tant que patrimoine : une vision sur le long terme a été adoptée, c’est-à-dire pour les générations futures, libérant l’eau des pressions à court terme du marché et de la spéculation.

 Finalement, en tant que composant de la nature : la Constitution de Montecristi a reconnu l’importance de l’eau comme élément essentiel pour la vie de toutes les espèces, ce qui mènera plus tard à la création des Droits de la nature.

Cette prise de position est une avancée en Équateur, mais également dans le monde. Le 28 juillet 2010, deux ans après l’intégration de ce mandat constitutionnel sur l’eau, l’Assemblée Générale des Nations Unies a approuvé la proposition du gouvernement de l’État plurinational de Bolivie en reconnaissant « le droit à l’eau potable ainsi qu’à son assainissement en tant que droit humain ». En conformité à cette déclaration, il s’agit d’un droit « essentiel pour la pleine jouissance de la vie et de tous les droits humains ».

Cet exercice démocratique de construction collective de la nouvelle Constitution équatorienne s’effectue dans le cadre de la récupération des espaces de souveraineté nationale et locale. La dispute pour l’eau, rappelons-nous, a été intense en Équateur. Elle a souvent éclatée au sujet d’actes de privatisation. La plus marquante a été celle d’Interagua, à Guayaquil. Cette entreprise a simplement interdit l’accès à ceux qui ne payaient pas les tarifs fixés par les intérêts privés, en fonction de la rentabilité selon laquelle sont définis où et comment investir ainsi que où et comment donner accès à un service d’eau ou pas.

D’autres cas de privatisation de l’eau ont été enregistrés, moins marquant car effectués dans l’ombre de la délivrance massive de concessions d’eau pour la production d’électricité, l’irrigation agricole et divers usages de productions dont celle d’énergie électrique. De nombreuses concessions ont bénéficié de longs délais, parfois s’étalant sur toute la vie utile de certains projets. Dans de nombreux cas comme ceux du Projet hydroélectrique d’Abanico dans la province de Morona-Santiago ou du Projet polyvalent de Baba dans la province de los Ríos, toutes les procédures ont été piétinées, dont la prise en compte de l’avis et des décisions des communautés habitant dans la zone concernée et, bien sûr, de l’intérêt national.

Malgré la pratique de diverses formes de marchandisation en Équateur, en 2008, l’État a tout de même maintenu un certain contrôle sur le liquide vital. De plus, la gestion publique de l’eau était efficace, et ce, dans la mesure où, au niveau international il est considéré que parmi les bonnes entreprises de prestation de services d’eau potable d’Amérique Latine, plusieurs implantées en Équateur sont publiques : ETAPA de Cuenca et EMAAP-Q [1] de Quito. D’autres ont également atteint une réputation et des chiffres acceptables en termes de taille de zone couverte et de qualité d’eau, comme c’est le cas pour EMAP-P d’Ambato et EMAPA-I d’Ibarra. En outre, il est important de reconnaître les initiatives communautaires faites pour la gestion de l’eau et la prestation de services publiques, favorisant les partenariats entre le secteur publique et les communautés. Rappelons que de nombreux services d’eau du secteur rural ont été mis en place par des assemblées pour l’eau et par les communautés paysannes ou indigènes.

Dans cette lignée de définitions, la Constitution, fidèle aux nombreuses demandes et conforme aux attentes, repose sur la récupération des espaces de souveraineté sacrifiés au nom de la logique de marché. Elle déclenche simultanément la création de nombreuses autres souverainetés plurielles telles que la souveraineté alimentaire, la souveraineté économique, la souveraineté énergétique, la souveraineté régionale, etc. Une sorte de hiérarchisation des souverainetés s’est également mise en place, tout en considérant le droit à l’eau comme l’un des droits fondamental de la Constitution.

Le point de départ de cet effort collectif coïncide avec la reconnaissance de l’eau comme secteur stratégique, comme établi dans l’article 313 de la Constitution. Ce principe complète les dispositions sur l’utilisation de l’eau, établies dans les articles 316, 411 et 412. De plus, comme le stipule l’article 413, « l’État doit promouvoir l’efficacité énergétique, le développement ainsi que le respect de pratiques et de technologies propres et saines au niveau environnemental, tout comme les énergies renouvelables, diversifiées, ayant un faible impact sur l’environnement et qui ne mettent pas en danger la souveraineté alimentaire, l’équilibre écologique des écosystèmes ainsi que le droit à l’eau ».

Les dispositions constitutionnelles sont claires [2]. Les textes de ce type dans lesquelles la gestion de l’eau est autant détaillée et expliquée ne doivent pas être nombreux dans le monde. Cela correspond à la reconnaissance de l’importance de l’eau pour la vie de tous les êtres vivants de la planète. S’il n’y a pas d’eau, il n’y a pas de vie, c’est aussi simple que cela.

Dans la définition du concept de patrimoine, qui va beaucoup plus loin que celle d’un bien, l’eau ne peut être considérée comme un service environnemental destiné à la marchandisation. Le patrimoine doit être préservé pour les générations futures. Un bien peut être possédé, utilisé, acheté pour son utilisation, mais lorsqu’il s’agit d’un patrimoine, sa possible transmission aux prochaines générations doit être garantie pour pouvoir en disposer. Parler de patrimoine dans le cas de l’eau, c’est préserver ses cycles de vie ainsi que ses diverses utilisations et valeurs : environnementale, sociale, culturelle, économique, etc. L’idée de patrimoine en ce sens, remplace le concept de l’eau en tant que forme de « capital naturel » qui est à la base de la marchandisation de la nature. En outre, la vision patrimoniale est cohérente avec les Droits de la nature [3], puisqu’elle impose la défense des ressources pour leur propre valeur, indépendamment de leur utilité commerciale.

Il s’agit d’un thème fondamental. Parler de patrimoine signifie penser à long terme. Parler de patrimoine signifie penser, en pratique, au Buen Vivir ou Sumak Kawsay (deux expressions qui expriment le bien-être). Le concept de capital hydrique se vide de son sens. Ce dernier est une manière de placer l’eau dans la logique de marchandisation, c’est-à-dire voir simplement l’eau comme un outil du processus de production.

Il est bon de rappeler que le prix de l’eau a également été un motif de controverses au sein de l’Assemblée Constituante. Si l’eau est un droit essentiel à la vie de tous les êtres vivants, dont les humains, elle ne devrait pas avoir de prix. Ce discours, soutenu par de puissants arguments, contraste cependant avec les critères d’égalité et même avec l’utilisation qui est faite de l’eau. Il paraît évident qu’il faut garantir une quantité minimale vitale d’eau pour tous les êtres humains, tout comme un traitement particulier pour l’eau destinée à l’alimentation, non comparable à celui destiné aux activités productives ou récréatives qui bénéficient à des groupes réduits de population.

Dans la Constitution, les usages de l’eau sont hiérarchisés dans l’ordre suivant :

 pour l’être humain

 pour l’alimentation

 pour la préservation de son cycle de vie

 pour la production

De cette manière, une hiérarchie très importante est mise en place, mais elle n’empêche pas les complications lors de son application. La preuve étant que, par exemple, certains brouillons du projet de loi sur les ressources hydriques n’en ont pas tenu compte.

En résumé, nous, les êtres humains, devront faire respecter notre droit d’accès à l’eau en quantité et en qualité suffisantes. Si nous parlons de priorité pour l’alimentation, nous parlons de priorisation de la souveraineté alimentaire et non d’une quelconque manière de la garantir. De plus, la gestion de l’eau appartient à l’État. Elle ne peut être exclusivement sujette aux lois du marché, elle concerne la survie, pas simplement le commerce.

Un autre aspect fondamental : il faut comprendre que nous vivons une étape de conflits à propos du sens historique du régime de développement, ou, en d’autres termes, de dépassement du concept traditionnel de développement afin de construire leBuen Vivir ou le Sumak Kawsay. Sur ce point, rien n’est jamais vraiment défini. Le chemin parcouru devra fermer la porte à toutes ces visions dogmatiques qui prétendent nous faire croire qu’il existe des réponses définitives pour tout.

Notes

[1En respect de la Constitution de Montecristi, EMAAP-Q est aujourd’hui dénommée Entreprise publique métropolitaine d’eau potable et d’assainissement.

[2Les articles de la Constitution de 2008 concernant l’eau restituent ce qui avait été établi dans la Constitution de 1998. Cette charte, une constitution néolibérale, établit que l’eau potable et d’irrigation, tout comme les services liés à son utilisation, « pourraient être accordées directement ou par délégation aux entreprises mixtes ou privées, au moyen de concessions, associations, capitalisations, cessions de la propriété actionnaire ou quelconque autre forme contractuelle ».

[3Pour plus d’informations sur les Droits de la nature, vous pouvez lire les publications d’Eduardo Gugynas.