Indonésie : un géant asiatique à la lisière de la démocratie

Introduction

, par CDTM 34

L’Indonésie est, à bien des égards, un pays à part. Un simple coup d’œil sur un atlas montre un immense archipel composé d’une multitude d’îles de toutes tailles. Convoitée pour ses importantes ressources naturelles, l’Indonésie a subi pendant de longs siècles la colonisation hollandaise puis japonaise avant de pouvoir proclamer son indépendance. Sa conquête de l’indépendance et de la démocratie a été ponctuée d’épisodes tragiques et l’indépendance, proclamée en 1945, n’a pas signé la fin des difficultés. Ce n’est qu’après plusieurs décennies sous des régimes autoritaires que le pays s’engage enfin dans un processus de démocratisation.

Indonésie. Photo de Prayitno, prise le 23 mars 2017

Sur un territoire très éclaté, la République d’Indonésie a réussi l’exploit de rassembler, au sein de frontières communes des populations géographiquement et culturellement très éloignées, pour faire vivre la troisième démocratie la plus peuplée du monde. Ce pays à majorité musulmane a inscrit la liberté religieuse dans sa Constitution et revendique des principes de tolérance et de justice sociale.

Mais ce géant économique, l’une des nouvelles puissances émergentes d’Asie du Sud-Est, doit faire face à de nombreux défis. Le pouvoir est confisqué par une puissante oligarchie, la corruption gangrène toutes les sphères sociales et économiques et cette société qui se veut ouverte et multiconfessionnelle est confrontée au développement d’une conception conservatrice et fondamentaliste de l’islam. Les tensions, les conflits locaux, les massacres et les attentats se multiplient. Pour y faire face, la tentation autoritaire est une vraie menace et la paix civile, fondée sur la devise du pays « l’unité dans la diversité », est sérieusement fragilisée.

Une incroyable diversité indonésienne

Sur le gigantesque archipel indonésien, composé de 17 500 îles de tailles diverses, vivent de très nombreux peuples et ethnies. Les Austronésiens, majoritaires, et les Mélanésiens forment l’essentiel du peuplement. Un troisième groupe, chinois, est apparu plus tard. Ces groupes se sont en partie mélangés au fil des temps, tout en conservant d’importantes différences culturelles et même physiques entre eux. De Java à la Papouasie, on aurait presque l’impression d’avoir changé de continent tant les populations ne se ressemblent pas. Cette fragmentation ethnique se retrouve même au sein des territoires, c’est le cas de Kalimantan, partie indonésienne de l’île de Bornéo, où le peuple dayak se compose d’environ 200 ethnies.

L’importante diversité ethnique s’accompagne d’un grand nombre de langues régionales (environ 700). L’archipel est donc un véritable patchwork d’ethnies et de groupes religieux. On estime qu’avec 87 % de la population affiliée à l’islam, l’Indonésie est le plus grand pays musulman du monde où cohabitent des minorités de chrétiens, hindouistes, bouddhistes…
Par ailleurs, la population est très inégalement répartie sur l’archipel : les deux tiers de la population vivent sur les îles de Java, Bali et Madura qui représentent seulement 7 % du territoire indonésien.

Les Javanais se sont imposés par leur importance numérique et ont dominé culturellement une partie de l’archipel jusqu’au 17ème siècle sans pour autant être majoritaires ; ce groupe ethnique représente environ 40 % de la population. A part les Javanais, seules les populations soundanaises et madouraises dépassent les 10 millions. L’importance numérique des autres groupes ethniques est très variée.

« Unité dans la diversité »
Face à cette impressionnante fragmentation ethnique, linguistique et culturelle, les Indonésiens ont fait preuve d’une remarquable habileté politique pour organiser leur territoire et trouver une façon d’équilibrer et harmoniser cet ensemble éclectique.
L’archipel revendique sa diversité et sa richesse culturelle au point d’en avoir fait sa devise : « Unité dans la diversité » (Bhinneka Tunggal Ika). Dès 1945, celle-ci est intégrée à la Constitution tout comme le « Pancasila », proclamé philosophie d’Etat par le président Sukarno lors de l’indépendance. Cette philosophie, qui est un élément fondamental de l’Etat indonésien, préconise cinq grands principes : la croyance en un dieu unique (l’Etat est officiellement monothéiste), une humanité juste et civilisée, l’unité de l’archipel, une démocratie guidée par la délibération, la représentation et la justice sociale par l’entraide.

S’il reconnaît le caractère religieux de l’archipel, et plus particulièrement son monothéisme, le Pancasila ne fait allusion à aucune religion en particulier. Tout en revendiquant l’attachement de l’État à Dieu, les différentes religions sont mises sur un pied d’égalité. L’Indonésie accorde le même statut à six confessions : l’islam, le protestantisme, le catholicisme, l’hindouisme, le bouddhisme et, depuis l’an 2000, le confucianisme.

Après avoir conforté chacun dans sa religion et affirmé l’attachement à la diversité, il ne manquait qu’un élément pour sceller l’unité du peuple indonésien : trouver une langue commune. En 1928, le choix de la langue officielle se porte sur une variante du malais : le bahasa indonesia. Cette langue très minoritaire était celle du commerce, de la diplomatie, de l’islamisation depuis très longtemps, et de l’administration coloniale depuis le milieu du 19e siècle (avec le néerlandais). Cette façon pour Java de montrer patte blanche en ne cherchant pas à imposer sa langue, témoigne d’une réelle volonté de fédérer les ethnies en respectant leurs différences.
Sans avoir supplanté les différentes langues, le bahasa indonesia est devenu la langue de l’administration et de l’enseignement. Elle est la seule langue parlée par tous et sur tout l’archipel.