L’Education aux médias et à l’information : un vrai sujet d’actualité ?

Zoom d’actualité

, par CEDIDELP , GERGAUD Sophie

Les événements dramatiques de janvier ont questionné les acteurs de l’éducation dans leur diversité, au sein de l’école mais aussi les animateurs de loisirs et, bien sûr, les parents. Le débat sur la liberté de la presse s’est invité en première ligne, aux côtés de la remise en cause critique du traitement médiatique de l’actualité. Les répercussions furent multiples dans les établissements scolaires où de nombreux jeunes ont exprimé les mêmes doutes que la majorité des Français envers les médias, leurs modèles économiques, leur fonctionnement, leurs contenus et leur capacité à former l’esprit critique des citoyens. L’éducation aux médias et à l’information s’impose alors comme une nécessaire éducation au pluralisme, à la liberté d’expression et au respect du débat démocratique, mais aussi à l’appropriation des moyens d’information et de communication.

« La liberté d’expression, ça s’apprend ! »

Si la Semaine de la presse et des médias dans l’école (SPME) existe depuis près de trente ans, elle a pris cette année « une résonance toute particulière, après les attentats contre la liberté d’expression qui ont touché Charlie Hebdo », selon la ministre de l’Education nationale. Intitulée « La liberté d’expression, ça s’apprend », la 26e édition a rassemblé plusieurs millions de jeunes de 15 500 établissements, sensibilisés au fonctionnement de l’univers médiatique et invités à développer leur esprit critique. Mais il n’est pas toujours facile d’aborder en classe des événements aussi tragiques et complexes. Des fiches pédagogiques ont ainsi été développées par des associations comme le CEMEA : « L’après-Charlie : pour en parler aux primaires/collèges et aux lycées ».

L’éducation aux médias et à l’information (EMI) : les acteurs institutionnels

L’EMI en France est, depuis plus de 30 ans, essentiellement portée par le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’informations (CLEMI), rattaché au ministère de l’Education nationale et agissant avec une coopération active des médias professionnels. Hormis le CLEMI, une poignée de petites structures contribuent à cette éducation.

Educsol, portail national des professionnels de l’éducation, propose un dossier spécial sur l’EMI où cette dernière consiste « à permettre aux élèves d’exercer leur citoyenneté dans une société de l’information et de la communication, à former des "cybercitoyens" actifs, éclairés et responsables de demain. »

Le site d’Educsol met également à disposition des textes de références et fait un point sur les acteurs référents et les pratiques pédagogiques pour comprendre et mettre en place l’éducation aux médias et à l’information.

La brochure "Eduquer aux médias, ça s’apprend" rédigée par le CLEMI détaille les objectifs par classe et les exercices pratiques possibles par compétences à acquérir : feuilleter un magazine, écrire un article, exploiter les ressources d’Internet, décrypter les images, comprendre la publicité dans les médias, etc. Il donne également des conseils pour la création d’un média scolaire. Utiles en page 48, des références bibliographiques et sitographiques.

Du côté des associations... des outils et ressources pédagogiques pour une meilleure éducation aux médias

Les Céméa, la FCPE (Fédération des conseils de parents d’élèves), les Francas et la Ligue de l’enseignement se sont réunis pour former le collectif Enjeux e-medias qui met à disposition, sur son site internet, des prises de paroles, des analyses et divers outils pédagogiques, à utiliser en milieu scolaire ou non.
En 2007, le Magazine des Francas a publié un dossier spécial « L’éducation aux médias : un défi à relever » qui se penche du côté de l’éducation aux médias au sein des centres de loisirs. Pour ce mouvement d’éducation populaire, association complémentaire de l’école et reconnue d’utilité publique, l’EMI réside moins dans l’éducation à l’utilisation technique des médias que dans l’accompagnement des enfants et des jeunes dans l’acquisition des savoirs, des compétences et des relations sociales qui en découlent : « Nous devons les aider à analyser les sources d’informations et à prendre conscience de la portée de [nos] propres écrits ».

« L’éducation aux médias en 10 questions », rédigé par le Conseil supérieur de l’éducation aux médias de Belgique en 2011, propose un bon rappel théorique ainsi que des pistes d’animation et d’exercices pratiques pour les jeunes sur les différentes dimensions des médias (information, langage, représentations, technologies...).

Old School développe depuis 2005 des compétences dans l’analyse des médias auprès des publics jeune et adolescent. L’association anime également des ateliers radio dans les écoles, sur deux thématiques principales : « solidarité internationale et action locale » et « Facebook entre liberté et danger », où les jeunes réalisent une émission radio sur la liberté d’expression et ses limites dans les réseaux sociaux. Ils deviennent « reporters en herbe » et agissent comme dans une vraie rédaction.

« L’éducation aux médias et à l’information comprend trois volets complémentaires : le décryptage et l’analyse des discours médiatiques, la défense des usagers et la production alternative de contenus » explique Denis Rougé, président de l’association Les Pieds dans le Paf. Cette association, qui oeuvre pour l’EMI depuis les années 1980, concilie ces trois volets en animant, outre des ateliers de création audiovisuelle, des séances de décryptage sauvage : dans les écoles ou bien dans la rue, grâce à une borne roulante et autonome en électricité, ils proposent de décrypter des émissions de télévision de manière à nous bousculer et à montrer les dessous des émissions, afin de former des téléspectateurs « actifs ».

L’Observatoire des médias Acrimed propose des références, textes et documents sur la question de l’éducation aux médias, avec notamment des organisations et initiatives citoyennes innovantes comme par exemple :

  • Fréquence Ecoles, association engagée depuis plus de 20 ans dans l’éducation aux médias et dont les « journalistes, réalisateurs et techniciens mènent des ateliers de découverte de la radio, de la télévision et d’Internet pour aider les jeunes à décrypter et à comprendre les médias ». Véritable pôle ressource, Fréquence Ecoles conçoit aussi des outils et des parcours pédagogiques à destination des professionnels de l’éducation, des ressources de formation pour accompagner les pratiques médiatiques des jeunes.
Atelier médias de l’association OldSchool
Oldschool.org

Les « Controverses fécondes »...

Dans Education aux médias. Les controverses fécondes, Jacques Gonnet interroge le concept-même d’éducation aux médias. Chez les formateurs comme dans les discours officiels, on sous-entend un accord implicite tant sur les définitions que sur les objectifs. Or des logiques très différentes, et parfois même opposées, sont à l’œuvre dans les actions étiquetées sous cette appellation : « A travers l’école et les médias, se joue un imaginaire de nos sociétés. Mais sans doute aussi, ne l’oublions pas, l’avenir de nos démocraties ». Cet ouvrage indispensable, consultable dans le réseau ritimo, nous montre à quel point l’éducation aux médias est un projet politique dans le sens où elle s’inscrit à l’intérieur d’un projet de société.

Le fait que les grands groupes de l’audiovisuel et de la presse se retrouvent en position de formateurs de l’éducation aux médias est l’une des premières controverses soulevées par les critiques de l’EMI telle qu’elle est actuellement pratiquée en milieu scolaire. A titre d’exemple, le secteur de la presse quotidienne a depuis longtemps initié des programmes d’éducation aux médias en partenariat étroit avec les acteurs éducatifs et les pouvoirs publics, mais c’est aussi le cas du petit écran. Ainsi, lors du lancement de la Semaine des médias à l’école, Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Education nationale, et le président de France Télévisions Rémy Pfimlin ont signé une convention de partenariat sur l’éducation aux médias et à l’information : « Dans un monde où les jeunes sont confrontés à toujours plus de contenus d’informations, il est indispensable de leur apprendre à trier les informations et de les éduquer à l’image ». Si l’objectif est louable, certains critiques questionnent la réelle motivation, la qualité et la véritable pertinence de cette éducation aux médias... par les médias.

Autre point que souligne l’article de Jacques Piette, auteur d’Éducation aux médias et fonction critique : il convient de bien différencier l’éducation par le biais d’outils médiatiques (utilisation de films, émissions de télévision et de radio, journaux, magazines...), de l’éducation aux médias, où ce sont les médias qui deviennent eux-mêmes l’objet d’étude. L’auteur rappelle également que « l’étude critique des médias ne doit pas être confondue avec leur dénigrement. »

Divina Frau-Meigs, professeur à la Sorbonne nouvelle, s’interroge : « L’éducation aux médias est-elle nécessaire ? A quelles conditions ? ». Surtout, « le débat sur la régulation nécessaire des médias a trop souvent été associé aux enjeux de l’éducation aux médias. », ce que l’on retrouve déjà dans les recommandations et programmes développés par des institutions comme le Conseil de l’Europe, le Comité des régions, l’Unesco…, caractérisant leur vision politique de l’éducation aux médias.

Dans l’émotion de « l’après-Charlie », le président de la République a tenu à repréciser la définition de l’EMI à l’école et à en renforcer à la fois les missions et les champs d’application par une série de mesures concrètes « afin que les élèves fassent la différence entre ce qui est de l’information et ce qui n’en est pas (...) et ainsi lutter contre la propagation de théories du complot. L’objectif est d’apprendre aux élèves à décrypter l’information et l’image, à aiguiser leur esprit critique et à se forger une opinion. Pour allier la théorie à la pratique, chaque collège et chaque lycée devra avoir un média - journal, radio, blog. Mais les élèves resteront libres d’y participer ou pas. » L’État va-t-il ainsi se donner les moyens de développer une véritable action d’éducation aux médias à l’information multi-acteurs et multi-disciplinaire ?

Car, pour l’instant, pour la FABDEN, les outils actuels mis à disposition par le CLEMI ne suffisent pas. La fédération des enseignants documentalistes de l’éducation nationale regrette ainsi « la faible place des médias d’actualité dans les programmes ». Dans Médias et éducation, l’après Charlie, Christian Gautellier, Président du Collectif Enjeux e-médias, met en garde contre la question de la massification et de la systématisation d’une éducation aux médias et à l’information (EMI) sans une véritable « refondation de l’école ». Ainsi, le cadre parfois très académique et institutionnel de l’EMI gagnerait à être placé dans le contexte de la solidarité internationale en lien avec les valeurs et pratiques de l’éducation au développement et à la solidarité Internationale. Cela pourrait permettre de proposer une vision d’ensemble du rôle des médias dans le monde, des freins au respect du droit à la communication, d’un regard critique sur les processus de production comme sur les contenus, intégrant les difficultés et la revendication d’une production et d’un accès à une information libre, véritable enjeu et défi pour que la communication devienne un levier fondamental de la démocratie partout dans le monde.

Valorisée au sein de l’Éducation nationale par l’entrée au bulletin officiel de la loi de programmation de 2013, remise en avant à la suite des attentats de janvier 2015 dans le cadre de la « Grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la république », cette question de l’Éducation aux médias et à l’information semble être un véritable sujet d’actualité. Mais l’effet d’annonce ne va-t-il pas retomber ? Certains craignent déjà la régulation excessive, ou « auto-régulation », qui instrumentalise la peur et les fantasmes, prônant des pratiques éducatives et pédagogiques du numérique... non connectées. Ou bien au contraire, comme le croit Christian Gautellier d’Enjeux e-médias, une réelle fenêtre d’opportunité s’ouvre-t-elle enfin pour une action collective sortant l’EMI de son isolement ou des cloisonnements traditionnels, pour en faire un enjeu culturel fondamental afin de porter la citoyenneté du 21e siècle ?