50 ans d’indépendances en Afrique subsaharienne : Regards croisés

L’Afrique francophone contemporaine

, par CDATM

Naissance d’une conscience africaine au sein de la « diaspora noire »

C’est sur le continent américain que s’élevèrent les premières voix proclamant l’unité des peuples africains. Les fondements de la pensée panafricaine de Kwame Nkrumah prennent leurs sources aux Etats Unis. Il obtient l’indépendance de son pays, le Ghana, en 1957.

1960… : les indépendances africaines vont être des « indépendances de papier ». L’accession au statut de nations indépendantes a pour revers la « balkanisation » [1] de l’Afrique subsaharienne : trop faibles pour se développer individuellement, ces nouveaux Etats s’appuieront souvent sur leur ancienne métropole pour construire leurs nations (création du franc CFA, libre disposition des bases militaires). L’Afrique subsaharienne n’arrivera pas à développer des activités indispensables pour le décollage d’une économie autonome créatrice d’emplois.

On pourrait ajouter que ces nouveaux Etats ont tenté à plusieurs reprises, mais ne sont pas arrivés à s’organiser entre eux pour créer des espaces panafricains, ce qui leur aurait permis d’être plus forts face au monde occidental. Les anciennes puissances coloniales d’ailleurs, ne les ont pas encouragés ni aidés dans ce sens…

Relations avec l’ancienne métropole : la Françafrique

La politique française et le soutien des pays issus de la décolonisation a permis à la France d’être indépendante vis-à-vis des blocs de l’Est et de l’Ouest et d’acquérir un statut de quasi-grande puissance ; l’aide publique au développement (APD), conditionnée au recours à des entreprises françaises a aussi renforcé la dépendance et perpétué l’hégémonie de la métropole. Des « accords de coopération » inégaux ou des accords classés par la France « secrets de défense » ont favorisé la dévouement des élites africaines aux intérêts français ; des régimes « clients » de l’Elysée ont aussi bénéficié à l’ancienne métropole.

Depuis la fin des années 1980, l’influence de la France diminue et d’autres acteurs ont fait leur apparition. Des puissances émergentes comme l’Inde, le Brésil et surtout la Chine (voir le dossier Chine Afrique) sont très présents sur tout le continent africain. Des pays africains (Nigéria, Angola ou Afrique du Sud), jouent le rôle de médiateurs dans les conflits régionaux. Le rôle de « gendarme de l’Afrique » que l’hexagone s’était octroyé a perdu sa légitimité notamment à cause de la suspicion d’implication de l’armée française dans le génocide rwandais (1994). Par ailleurs, la dévaluation du Franc CFA, en 2004, a été vécue par les Africains comme un abandon.

Au début du 21ème Siècle, relations internationales avec d’autres pays et la mise en concession de l’Afrique

Intervenant de moins en moins directement, l’Etat français est remplacé par de grands groupes français qui ont profité des vagues de privatisation, imposées aux Etats africains par les Institutions Financières Internationales (IFI), pour obtenir la concession d’infrastructures stratégiques.

Au Cameroun, par exemple, cette « mise en concession » rappelle l’époque des « compagnies concessionnaires » : l’accaparement des terres et les conditions de travail dans les plantations ressuscitent le temps du travail forcé.

Par ailleurs, il faut noter que même si certains pays d’Afrique sont devenus un enjeu stratégique dans la « lutte contre le terrorisme », le projet du Commandement militaire américain pour l’Afrique (USAfricom) s’est heurté, en 2008, à un refus de la plupart des Etats africains. Des groupes chinois, canadiens, arabes, européens se livrent une rude concurrence pour obtenir « une part de ce magnifique gâteau africain ». Une forme de re-colonisation de l’Afrique par des multinationales et par le monde de la finance est-elle en cours sous les auspices des IFI ?

Emergence d’une société civile organisée

50 ans après les indépendances, que reste-t-il des formidables espoirs qui entouraient la naissance des indépendances africaines ? Aujourd’hui, le paysage paraît sombre : coups d’Etat, guerres de sécession, recrutement d’enfants soldats, génocide rwandais, émeutes de la faim, dissémination des camps de réfugiés, etc… ont succédé au "Soleil des indépendances". Mais, s’il est vrai que l’’insécurité sociale, économique, politique, alimentaire ronge les sociétés africaines, que des mouvements évangéliques ou islamiques jouent un rôle croissant dans le domaine social en occupant la place laissée vacante par des pouvoirs publics, on constate néanmoins l’émergence des consciences nationales et la montée de la société civile en Afrique (voir aussi les dossiers pays).

La société civile africaine s’active, se structure et se manifeste dans différents domaines. Des organisations paysannes ont le souci de la souveraineté alimentaire, afin que cette affirmation de Thomas Sankara (1986) ne soit plus d’actualité : "Regardez dans vos assiettes, quand vous mangez les grains de riz, les grains de maïs importés. C’est ça l’impérialisme" ; le ROPPA (Réseau des organisations paysannes et de producteurs d’Afrique de l’Ouest), par exemple, s’organise régionalement et s’appuie au Burkina Faso sur le SEDELAN (Service d’éditions en langues nationales) (voir la publication en ligne "abc Burkina").

Après avoir été exportatrice de produits alimentaires dans les années 1970, l’Afrique dépend aujourd’hui d’importations et de l’aide alimentaire internationale d’urgence. A des facteurs conjoncturels (sécheresses ou conflits armés) s’ajoutent l’explosion de la demande en agro-carburant (voir le dossier "Agrocarburants Les choix aventureux de l’agrobusiness"), la forte hausse de la consommation céréalière chinoise et la spéculation financière en particulier sur le riz. Les organisations paysannes africaines ont manifesté, lors de la réunion du G8 d’avril 2009, une grande défiance vis-à-vis du FMI et de la Banque mondiale, institutions qu’elles tiennent pour responsables de la situation catastrophique de l’agriculture vivrière africaine.

En économie, la dette imposée par les organismes extérieurs est un instrument privilégié de reconquête et soumet le développement de l’Afrique à des normes et à des intérêts qui lui sont étrangers :

 normes libérales, avec privatisation, rejet de toute intervention de l’Etat, marchandisation des terres et expulsion des autochtones dépourvus de titres de propriété,
 intérêts de la grande finance et des multinationales qui peuvent s’approprier une partie des économies et des terres africaines.

Les femmes sont très présentes dans les organisations de la société civile (voir le dossier "L’engagement des femmes Un levier pour le développement"). Ayant toujours eu un rôle prépondérant dans l’économie en contribuant notamment au développement du micro crédit et des tontines.

Les associations africaines sont de plus en plus nombreuses ; elles savent travailler en partenariat avec des organisations du Nord, ONG (organisation non gouvernementales) ou des ASI (Associations de solidarité internationale) et, de plus en plus fréquemment, indépendamment de ces structures.

Regards croisés : dans les pays du Nord, reconnaître les traces du fait colonial afin de s’en affranchir

La commémoration du cinquantenaire des indépendances africaines a été l’occasion de revenir sur les rapports que l’Occident entretient avec son histoire coloniale.

La France doit en reconnaître les traces qui subsistent aujourd’hui dans les représentations, discours et pratiques par rapport à l’immigration et à la réhabilitation insidieuse du colonialisme parfois sous des formes différentes.
Dans cette histoire, ne se joue pas seulement le destin des peuples colonisés, mais aussi une page importante de l’identité de l’Occident moderne. Celui-ci, actuellement convaincu de l’universalité et de la supériorité de "sa civilisation" persiste à vouloir exporter dans le monde entier, éventuellement par les armes, les bienfaits de la « démocratie » et du libéralisme.

A notre insu souvent, nous percevons l’Afrique à travers des préjugés hérités de la période coloniale. Procéder à une critique postcoloniale peut nous aider à établir une relation plus libre vis à vis de l’Afrique et des pays du Sud en général.