Le Livre des jeunesses sud-américaines

Sommaire du dossier

Jeunesse, valeurs et besoins : points de vue des jeunes et des adultes-Part1

Partie 1

, par IBASE

Dans ce chapitre, nous reprendrons un ensemble d’informations du sondage d’opinion. Ici, il est tout aussi intéressant de comprendre les continuités et les discontinuités entre ce que pensent les jeunes et les adultes que d’évaluer jusqu’à quel point il existe des consensus et de scissions (entre les pays et entre les jeunes et les adultes) sur les caractéristiques, les problèmes et les besoins des jeunes d’aujourd’hui. Nous souhaitons également étudier les similitudes et les différences entre les réponses et l’agenda des demandes des jeunes portées à la connaissance du public.

Idées et Valeurs : La jeunesse, le miroir de la société (en mouvement)

Les jeunes et les adultes des six pays étudiés ont déclaré être en parfait accord avec trois idées : « toute personne devrait pouvoir exprimer librement ses opinions », « les hommes doivent prendre part aux tâches domestiques », et « il n’y a aucun problème à ce que les riches vivent dans des copropriétés fermées ».1

La question concernant la liberté d’expression, prise comme un indicateur de convivialité démocratique, est celle qui a été le mieux reçue dans tous les pays. Plus le revenu est élevé, plus le degré de scolarité l’est ; tout comme l’accès et les utilisateurs d’Internet, et est plus important en ville qu’à la campagne (à l’exception du Paraguay où la différence est moindre), il y a plus de convergences sur cette problématique. Le découpage en fonction de l’âge ne fait aucune différence sur cette question. La problématique, actuellement répandue comme « politiquement correcte » touche tout aussi bien les jeunes que les adultes.

À l’heure actuelle, être contre « l’équité des genres » n’est pas non plus facile. Les failles entre les opinions et les pratiques persistent encore, rien d’étonnant à ce que le pourcentage de compatibilité dans tous les pays se situait entre 94,5 (Brésil) et 84,1 (Argentine). Dans ce cas, pour les opinions divergentes, le modèle de revenu compte moins, alors que le fait « d’être femme » avec plus d’éducation est plus important. Les personnes vivant dans les villes se concentrent dans quatre pays, mais au Paraguay, le milieu rural équivaut au milieu urbain et en Argentine, les individus vivant à la campagne sont ceux qui sont le plus d’accord avec cette phrase.

L’idée de « l’égalité entre hommes et femmes » a plusieurs versions et permet de multiples correspondances. En ce qui concerne le travail, par exemple, pour les femmes des classes moyennes et d’élite « partir travailler à l’extérieur » représente une réussite ; alors que pour les femmes des classes populaires, travailler à l’extérieur dans les services domestiques, dans l’agriculture ou dans les usines a toujours été perçu comme un besoin. Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui cette question dérègle le trio revenu/éducation/urbanité.

De tels facteurs fonctionnent en général conjointement avec des indicateurs de liberté ou de modernité. Toutefois, ici, il est important de souligner que cette génération de jeunes vit déjà avec la contrainte sociale produite non seulement par l’idéalisme féministe, mais aussi par les références légales contre la violence domestique et de genre. Ainsi, nous comprenons la raison pour laquelle, dans ce cas, l’âge des personnes interrogées ne fait aucune différence.

Quant à l’affirmation selon laquelle « il n’y a aucun problème au fait que les riches vivent dans les copropriétés fermées », le plus gros pourcentage de compatibilité se place autour de 70 (78,7 % au Brésil et 71,3 % en Argentine), alors que l’Uruguay, le Chili et le Paraguay sont autour de 60, et la Bolivie enregistre un pourcentage plus bas : 47,4 %. Au Brésil et en Argentine, pays qui se trouvent au summum du ranking, cette « solution » aux problèmes de violence est en tête de liste. Dans les autres pays, la corrélation entre les inégalités sociales/la violence/l’acceptation de la ségrégation sociale et spatiale n’est peut-être pas aussi évidente. Ceci étant, dans tous les pays, le revenu fait la différence, et ce sont les plus riches qui sont le plus d’accord avec cela. Toutefois, et étonnement, de manière générale, le degré de scolarité compte moins, et le milieu rural s’accorde plus avec cela. Dans ce sens, face aux corrélations inégales, le fait que la question de l’âge n’a pas non plus fait de différence sur cette réponse ne peut être pris comme un indicateur de posture démocratique ou antidémocratique.

Dans les trois cas précédemment cités, nous pouvons observer les jeunesses comme des miroirs des sociétés dans lesquelles ils vivent. En Amérique du Sud, la liberté d’expression et l’équité du genre sont déjà considérées comme des indicateurs d’une culture démocratique. La ségrégation sociale et spatiale est quant à elle encore un sujet tabou. Face aux indices de violence et à la croissance des périphéries urbaines (souvent, sous l’égide du trafic de drogues), les copropriétés fermées apparaissent comme un « mal nécessaire » et la dynamique spatiale des villes est vue sous un angle sécuritaire, et non démocratique.

Voyons, maintenant, les réponses données aux questions les plus controversées : l’avortement devrait-il être légalisé, c’est-à-dire qu’il ne devrait pas être considéré comme un crime ? ; la peine de mort doit-elle être rétablie ? ; la consommation de la maconha doit-elle être légalisée ? ; le fait qu’un professeur homosexuel donne des cours à des mineurs est-il un problème ? Dans ces cas, nous pouvons observer de subtiles divergences d’opinion entre les jeunes et les adultes.

En général, les réponses favorables à la légalisation de l’avortement ont été peu nombreuses. À l’extrême, nous avons l’Uruguay avec un peu plus de la moitié de la population (53,5 %) et l’Argentine, avec moins de la moitié (43,4 %). Le Chili (32,5 %) et le Brésil (22,7 %) sont dans des situations intermédiaires et la Bolivie (17,2 %) ainsi que le Paraguay (12,5 %) se situent dans les limites inférieures. Dans tous les pays, nous observons que les personnes ayant un revenu ainsi qu’un degré de scolarité plus important ont répondu plus favorablement à cette question (à l’exception de la Bolivie). Alors que l’appartenance religieuse et le sexe féminin ne contribuent pas à l’acceptation de la question. Par rapport à la légalisation de l’avortement, que dire du découpage de l’âge ? En Argentine et en Bolivie, les adultes sont plus favorables ; au Brésil, il n’y a aucune différence ; quant au Paraguay, au Chili et à l’Uruguay, ce sont les jeunes qui l’acceptent le plus. Dans ce cas, les personnes qui sont contre justifient leur avis en évoquant des aspects moraux et des croyances religieuses, et ceux qui sont favorables mettent en avant des questions de santé et le « droit des femmes de disposer de leur corps », les jeunes semblent divisés en fonction des sociétés dans lesquelles ils vivent, mais nous pouvons souligner que, pour trois pays, les jeunes sont plus favorables à l’avortement que les adultes.

Le degré de compatibilité avec « la peine de mort » met également à jour certaines divergences entre les sociétés. Le Chili est en haut de cette liste avec 56,3 %. Le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et la Bolivie atteignent un pourcentage de 40 %. Le Paraguay est le pays qui est le moins favorable (autour de 30 %). Être une femme ou un homme influence peu, alors que le degré de scolarité moyen et élevé augmente la concordance en Argentine, au Brésil, au Chili et en Bolivie ; mais cela ne fait aucune différence au Paraguay. En Uruguay, ceux ou celles qui étudient le plus sont ceux ou celles qui s’opposent le plus à la peine de mort. Le revenu, lui n’est significatif qu’au Paraguay, où les réponses indiquent : meilleurs revenus, meilleure acceptation. Le lieu de résidence ne fait aucune différence en Argentine et en Bolivie. Toutefois, au Brésil et en Uruguay, la peine de mort est plus acceptée en milieu rural et, au contraire, au Paraguay et au Chili, elle est plus acceptée en zone urbaine. Comme nous pouvons le voir, ce thème, qui renvoie également à la problématique actuelle de la violence et de l’absence de sécurité, produit des corrélations différentes. L’âge a-t-il une influence ? Tout semble indiquer que oui. À l’exception de l’Uruguay, où le degré d’acceptation est autour des 40 % et où la peine de mort est refusée par les plus scolarisés, dans les cinq pays restant, la peine de mort est plus refusée par les jeunes que par les adultes.

D’autre part, de manière générale, le degré d’acceptation concernant la légalisation de la consommation de la maconha dans les six pays est assez bas. Parmi ceux qui acceptent le plus cette légalisation, se trouve l’Uruguay (32 %) et le Chili (26 %). L’Argentine (avec 18,8 %) et le Brésil (avec 17,5 %) se trouvent dans des positions intermédiaires. Le Paraguay (avec 7,1 %) et la Bolivie (avec 6,8 %) mettent en évidence une acceptation moins importante. De manière générale, les hommes sont plus d’accord avec cette légalisation que les femmes. Une scolarité plus importante et le revenu jouent également en faveur d’une plus grande acceptation (à l’exception de la Bolivie). En termes de lieux de résidence, il existe des disparités : au Paraguay, cela ne fait aucune différence ; en Argentine, au Chili et en Uruguay, la population urbaine est plus favorable ; et au Brésil et en Bolivie, c’est dans le milieu rural que la population est la plus favorable. En ce qui concerne le découpage générationnel : dans tous les pays, les jeunes sont un peu plus favorables que les adultes à la légalisation de la consommation de la maconha. Dans ce cas, les différences les moins importantes sont constatées en Bolivie et au Paraguay, les différents intermédiaires au Brésil et en Argentine ; et les plus grandes différences sont constatées au Chili et en Uruguay.

Comme nous le savons, la légalisation de la consommation de la maconha et le fer de lance de groupes de jeunes activistes dans tous les pays, surtout en Uruguay (voir étude des situations types). Toutefois, la concordance entre les jeunes ne peut être attribuée directement au travail de ces groupes. Elle peut venir de situations contradictoires vécues par les jeunes d’aujourd’hui.

La maconha est présente dans tous les espaces de socialisation et de sociabilité jeune (écoles, université, lieux de loisirs), comme elle ne l’a jamais été pour d’autres générations. Bien sûr, la majorité des jeunes ne peut être classifiée comme trafiquant et ni comme consommateur. D’autant que les recherches montrent que la consommation d’alcool prédomine chez les jeunes. Ou parce qu’aujourd’hui le crack (cocaïne sous forme de cristal,) se propage chez les jeunes pauvres et arrive rapidement chez les jeunes de la classe moyenne. Ceci étant, toutefois, pour les jeunes de cette génération, le thème des « drogues » est omniprésent : il interfère dans le choix des amis, des espaces de loisirs, il provoque des morts prématurées, il impose des stratégies de survie. D’autre part, la vie des jeunes aujourd’hui est également ponctuée d’histoire sur des humiliations et des extorsions présentes dans leurs rapports avec la police corrompue qui tire profit de la législation de prohibition. Selon nous, une telle cohabitation quotidienne, contribue à ce que les jeunes soient plus réalistes (et moins hypocrites ?) que les adultes en ce qui concerne les frontières ténues entre les drogues légales et les drogues illégales.

Voir Partie 2

1 Concernant les caractéristiques du sondage d’opinion, consulter l’article Le projet Jeunesses sud-américaines : processus, temps et techniques de recherche.

La version originale (en portugais)est en ligne sur le site d’Ibase : www.ibase.br/pt/biblioteca-2/

Retrouvez le site (en portugais) dédié au projet : www.juventudesulamericanas.org.br/