Impact des changements climatiques sur la sécurité alimentaire

Zoom d’actualité

, par Humanis , VALLIENNE Meryem

En décembre 2015, la France a accueilli à Paris la conférence des Nations Unies sur le climat, dite « COP 21 ». La mobilisation sur les enjeux de la justice climatique et l’urgence d’une transition écologique et sociale devaient en être les points forts. Mais l’accord de Paris n’a fait qu’entériner un réchauffement climatique supérieur à 3°C, sans se doter des dispositifs pour revenir sur une trajectoire inférieure à 1,5°C ou même 2°C. Les conséquences du réchauffement climatique sur la sécurité alimentaire ont été les grandes absentes du débat.

Impact des changements climatiques sur la sécurité alimentaire

Si les États ne sont pas prêts à enclencher une révolution climatique, des acteurs de l’agriculture familiale mettent déjà en place, un peu partout dans le monde, des alternatives aux modèles agricoles actuels, gros émetteurs de gaz à effet de serre, friands de pesticides et d’OGM et paradoxalement incapables d’enrayer la faim dans le monde.

Au-delà de considérables dégâts écologiques, de la multiplication des catastrophes naturelles, de l’explosion du nombre de réfugiés climatiques, des dangers sur la santé publique… les effets des dérèglements climatiques vont aussi aggraver la misère et la faim.

Un changement climatique qui frappe davantage certaines régions du monde

Selon la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), un réchauffement de 1,5 à 2°C aura de profondes répercussions sur les modes de production des aliments et modifiera les politiques de lutte contre la faim et la pauvreté ainsi que les échanges mondiaux de produits alimentaires. Le changement climatique accentue les situations précaires des populations les plus démunies (sécurité alimentaire, accès aux soins, à l’eau et à l’énergie, logement...), renforçant encore un peu plus la fracture sociale et économique entre le Nord et le Sud.

A l’horizon des années 2080, les précipitations annuelles pourraient diminuer jusqu’à 30 % en Afrique australe tandis que l’est du continent risque de connaître, selon de multiples études, un phénomène inverse. L’Afrique subsaharienne souffrira sans doute le plus des changements climatiques aux plans de la réduction de sa productivité agricole et de l’augmentation de son insécurité hydrique, parce que c’est une région où la prévalence de la sous-alimentation est la plus élevée et où les progrès accomplis ces dernières années ont été modestes.

Certaines parties de l’Asie devraient être gravement touchées par le changement climatique du fait que leur économie repose sur l’agriculture et les ressources naturelles. Les cyclones, séismes et autres catastrophes naturelles y sont d’ailleurs de plus en plus nombreux et violents.

Enfin, une partie de l’Amérique du Sud sera très affectée, là où la déforestation fait des ravages, entraînant une extinction prévisible des espèces.

Avec les tremblements de terre, les sécheresses sont les catastrophes naturelles les plus meurtrières, Bolivie. Photo OIKOS cc by nc-nd

Les populations vulnérables des petits États insulaires, des zones de montagne élevées et arides et des zones côtières très densément peuplées, tels que les grands centres urbains situés le long des deltas, seront aussi très touchées par le changement climatique, comme l’ont montré les inondations dévastatrices survenues dans l’État du Bihar, en Inde, en 2009. En Nouvelle Calédonie, le cyclone Erica de force 5 a eu un impact important sur les formations récifales et les populations de poissons. Une intensification des cyclones dans la région pourrait modifier de manière irréversible les formations coralliennes et par la même occasion les ressources disponibles.

Le climat et le petit agriculteur

Les changements climatiques menacent directement la capacité de produire des très petits agriculteurs (disposant de surfaces inférieures à 5 ha). Dans des agricultures très peu mécanisées ou irriguées, toute variation de pluviométrie peut remettre en cause l’intégralité des récoltes.

Inondations, sécheresses, vagues de chaleur provoquent des pertes de récoltes qui nuisent à la sécurité alimentaire. Enfin, les réponses des gouvernements renforcent également l’insécurité alimentaire, en poussant les petits paysans à abandonner les cultures alimentaires pour aller vers les cultures commerciales destinées à l’exportation.

Heureusement, l’agriculture paysanne traditionnelle s’est montrée résistante à différentes conséquences du changement climatique, comme en atteste l’exemple indien.

La société civile et le monde de la recherche se mobilisent désormais pour trouver des stratégies d’adaptation, afin de trouver des variétés à courte durée, capables de résister aux changements de températures.

Sécurité alimentaire

Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a fait des projections très préoccupantes : à l’horizon 2080, le dérèglement pourrait voir 600 millions de personnes supplémentaires souffrir de la faim, qui s’ajouteraient aux 805 millions actuels. Réduisant ainsi à néant « tous les progrès accomplis jusqu’alors dans la lutte contre la faim au cours de ce siècle », avertit Stéphanie Rivoal, présidente d’Action Contre la Faim (ACF).

Pourtant, le droit à l’alimentation est reconnu par les Nations Unies comme un droit de l’Homme fondamental. Il stipule que chaque individu doit pouvoir avoir accès à une alimentation adéquate et aux moyens de se la procurer.
Le droit à l’alimentation astreint les États à mener des politiques cohérentes avec la lutte contre la faim.

Comment lutter pour la sécurité alimentaire ?

Partout, les organisations paysannes s’efforcent de lutter pour préserver la sécurité alimentaire. L’action du Copagen est centrée sur le refus des OGM dans l’alimentation et l’agriculture, la promotion de l’agroécologie et des semences paysannes. La commission Climat et développement de Coordination SUD publie une étude sur les innovations agroécologiques en Afrique en réponse aux défis posés par le changement climatique.

Ferme agroécologique près de Techiman, Ghana. Photo Global Justice Now cc by

Dans son dossier « Agriculture et alimentation : trier le bon grain de l’ivraie pour définir de vraies solutions », le Réseau Action Climat présente également des actions pour rendre les systèmes agricoles et alimentaires durables.

L’organisation GRAIN explique dans un article très complet les liens entre système alimentaire mondial et réchauffement climatique et pose les jalons d’un système alimentaire capable d’offrir des réponses au dérèglement climatique et à la crise alimentaire.

Au Niger, le plaidoyer a également porté sur un meilleur accès aux financements pour les paysans. Mooriben fait elle aussi la promotion de l’agroécologie, pour « accompagner les paysans à utiliser les matières organiques et à prendre soin des arbres, de manière à restaurer la fertilité des terres ».

Au Mali, les maraîchers retrouvent des savoir-faire connus, à travers la transmission familiale, qu’ils avaient abandonnés et font du reboisement, avec une volonté d’associer la culture des céréales avec l’arboriculture pour enrayer l’ensevelissement des terres arables par le sable transporté par le vent et l’eau. Un réseau d’horticulteurs de Kayes (RHK), qui regroupe plusieurs milliers d’agriculteurs convertis à l’agroécologie, constate des résultats probants.

En Indonésie, les Dayaks se réapproprient les savoir-faire traditionnels à l’instar du projet de l’Institut Dayakologi pour préserver la culture de la population autochtone du Kalimantan, sur l’île de Bornéo. Confronté au double enjeu de préserver la culture Dayak tout en atténuant les effets du changement climatique, l’Institut Dayakologi s’est lancé, avec le soutien du CCFD-Terre Solidaire, dans un projet pilote de renforcement de la gestion de ressources naturelles, en pariant sur la réappropriation de méthodes traditionnelles qui ne sont plus transmises avec la même vigueur qu’autrefois. Le projet concerne deux communautés du Kalimantan occidental.

Revisiter les liens entre l’humain et la nature

Les changements climatiques sont aujourd’hui perceptibles partout : dans l’augmentation des événements extrêmes, dans la fonte des glaciers et des banquises polaires, dans le dérèglement des régimes de pluie, dans les vagues de chaleur ou dans la montée du niveau de la mer.
Tous les indicateurs naturels imposent aujourd’hui de repenser la vie humaine en fonction des contraintes environnementales de long terme. La prise en compte des conditions d’atténuation des changements climatiques ainsi que de celles de reconstitution de la diversité biologique sont évidemment incontournables, tant elles vont déterminer les conditions mêmes de la vie humaine dans les décennies à venir. L’Union européenne lance une politique en faveur du climat avec un système d’échange de quotas d’émission (SEQE), un soutien des technologies propres et outre les mesures prises à l’intérieur de ses frontières, elle fournit une aide pour réduire la déforestation dans les pays en développement.

Mais il reste à prendre en considération l’alternative à l’idéologie du développement : développer des démocraties d’un type nouveau qui, en plus de prendre en compte les futures générations, intègrent les segments des populations exclues. Le Buen Vivir (« Bien vivre ») présente une alternative à la folie de l’accumulation infinie de richesses matérielles qui a tout dévoré sur son passage.

Tous ces efforts ne seraient pas durables sans placer l’équité sociale et temporelle au cœur des politiques publiques. Dans son article « Comprendre pourquoi changer de logique », le mouvement Colibris nous explique « pourquoi à l’ère de la surconsommation et du superflu, la perspective d’une pénurie alimentaire mondiale n’a-t-elle jamais été aussi proche. »