Sensibiliser, former, mobiliser les habitants pour faire valoir leurs droits

France : Renforcer le dialogue entre les citoyens pour une meilleure résolution des conflits

Espace Droit Famille

, par Juristes Solidarités

L’article a été rédigé Juristes-Solidarités, à partir d’une rencontre avec Emmanuelle Geslin (Espace Droit Famille).

Interface du site de l’association Espace Droit Famille

Depuis sa création en 2000, l’Espace Droit Famille est un lieu ressource destiné à accompagner et soutenir les parents dans l’exercice de leurs responsabilités familiales. Fondé à l’initiative d’Hervé Amont, magistrat et président du tribunal pour enfants de Créteil, cette association est née d’un constat : les citoyens, faute de connaissances juridiques, demeurent trop souvent passifs lors des procédures judiciaires. L’ambition est alors de créer, à l’extérieur du tribunal, un lieu permettant aux personnes d’acquérir les clefs de compréhension nécessaires pour devenir des actrices de droit à part entière.

L’objectif initial poursuivi par l’Espace Droit Famille est donc de transmettre aux personnes des connaissances sur leurs droits et leurs obligations, qui pourront notamment leur permettre en cas de recours devant les tribunaux de mieux comprendre la procédure, mais également de leur proposer des modes de résolution extrajudiciaire des conflits.

Pour ce faire, l’approche privilégiée par l’Espace Droit Famille est pluridisciplinaire, alliant à la fois soutien psychologique, permanences juridiques, médiation familiale et interculturelle. Des permanences gratuites y sont organisées, principalement à destination des habitants de la communauté d’agglomération de la Plaine centrale du Val-de-Marne (Créteil, Alfortville, Bonneuil et Limeil).

Mieux comprendre les différences culturelles : la médiation interculturelle

L’Espace Droit Famille met en place des médiations interculturelles pour faciliter le dialogue entre les familles d’origine étrangère et les représentants d’institutions françaises en cas de difficultés de compréhension liées à des différences culturelles. Ainsi, des médiations entre des enseignants et des familles de culture africaine sont parfois nécessaires : celles-ci étant peu accoutumées à intervenir dans la vie scolaire de leurs enfants, elles se rendent rarement aux rendez-vous fixés par les professeurs.

Le rôle de la médiatrice est alors d’informer les parents de l’importance de rencontrer les enseignants, et d’expliquer à ces derniers que les familles qui ne se présentent pas aux réunions ne font pas preuve de mauvaise volonté mais entretiennent simplement un autre rapport à l’École, qui ne repose pas sur l’implication des parents dans la scolarité de leur enfant.

La médiation interculturelle peut également intervenir au niveau des établissements de santé, ou concerner les questions de mariage forcé ou d’excision. La médiation pratiquée par l’Espace Droit Famille est donc à la fois sociale et interculturelle.

Particulièrement légitime aux yeux des habitants, notamment du fait de son origine africaine, la médiatrice de l’Espace Droit Famille a pu développer avec eux un climat de confiance et une relation de proximité. Au cours de son expérience, force a été de constater qu’il était nécessaire d’organiser des séances de médiation à domicile, les personnes se rendant peu aux permanences bien qu’elles soient confrontées à des difficultés relevant de la médiation interculturelle.

Faciliter la transmission de l’histoire familiale : l’ethnopsychologie

Complémentaires aux séances de médiation interculturelle, des permanences d’ethnopsychologie sont organisées à destination de familles migrantes ou mixtes qui ressentent un décalage avec le pays d’accueil. En effet certaines familles, et tout particulièrement les personnes jeunes, peuvent développer des symptômes liés au fait d’appartenir à deux cultures.

La rupture de cadre de vie pouvant entraîner des ruptures de transmission d’histoire familiale, de valeurs et d’identité. L’ethnopsychologie, discipline psychologique qui prend en compte les spécificités propre à la culture des individus, tente alors d’agir sur les blocages de transmission entre les parents et les enfants. Cette approche a notamment été préconisée par certains juges pour enfants, comme à Paris et en Seine-Saint-Denis, lorsque les éducateurs spécialisés semblaient dépassés par les problèmes de certaines familles, du fait d’une dimension culturelle qui leur échappait.

Restaurer le dialogue en cas de conflit : la médiation familiale

A l’Espace Droit Famille, les médiatrices familiales travaillent de 60% à 70% avec le Tribunal de Grande Instance de Créteil et le Juge aux affaires familiales. La médiation, notamment présente dans la loi sur l’autorité parentale de 2002 et celle sur le divorce de 2004, fait partie des premières dispositions transitoires que le juge peut prendre. Il ne peut obliger les personnes à procéder à une médiation mais il peut les enjoindre par ordonnance de s’informer sur la médiation familiale.

A Créteil, le tribunal est avant-gardiste en matière de médiation, à travers la mise en place du système de « double convocation ». Cette procédure permet au juge d’envoyer une convocation de médiation aux deux parents avant de les convoquer à l’audience de plaidoirie, pour les inviter à rencontrer un médiateur. Ceux-ci n’ont donc pas besoin d’attendre l’audience avec le juge, qui peut avoir lieu dans un délai de six à huit mois après leur demande, pour s’informer sur la médiation. La rapidité de ce système constitue un facteur de réussite dans la résolution des conflits : plus les parents sont informés tôt des possibilités de médiation, et plus ces démarches s’avèrent efficaces.

Cependant, bien que cette procédure soit validée par le président du Tribunal de Grande Instance de Créteil, tous les juges ne sont pas convaincus de sa pertinence et ne la pratiquent pas.

Concernant la manière dont les instances judiciaires appréhendent la médiation, Emmanuelle Geslin, médiatrice familiale à l’Espace Droit Famille, observe que certains juges attendent principalement de la médiation qu’un accord soit conclu entre les parties, alors qu’une telle démarche ne peut être engagée dans ce seul objectif. La médiation a en effet pour vocation première d’ouvrir le dialogue entre deux personnes sans pour autant donner systématiquement lieu à un accord entre elles.
Cependant, réaliser une médiation axée autour de la recherche de solutions concrètes peut avoir des effets bénéfiques, à condition que l’on ne perde pas de vue la nécessité de restaurer le dialogue entre les personnes.

Enfin, si la majeure partie des personnes qui ont recours à la médiation familiale sont orientées vers l’Espace Droit Famille par les instances judiciaires, certaines sont dirigées vers ce lieu par d’autres associations, d’autres s’y rendent en quête de conseils juridiques pour finalement participer à une médiation, plus adaptée à leur situation qu’une issue judiciaire.

Quelque soit leur profil, dans un objectif d’implication et d’engagement, les personnes accompagnées participent financièrement à la médiation.

Donner la parole aux jeunes : l’analyse systémique

Si les jeunes ont besoin d’être impliqués dans la résolution des problèmes familiaux, comment prendre en compte leur parole ? A l’Espace Droit Famille, les permanences de médiation familiale ne sont pas ouvertes aux jeunes car l’on considère le rapport de force entre parents et enfants trop déséquilibré pour que leurs problèmes puissent faire l’objet d’une médiation. Quel espace de parole mettre alors en place, pour renforcer, voire restaurer le dialogue entre les parents et leurs enfants ?

C’est à travers l’analyse systémique que l’Espace Droit Famille permet aux jeunes de s’exprimer. Cette approche psychologique vise à appréhender non pas l’individu mais l’ensemble de la famille, en considérant les difficultés vécues par les personnes comme les symptômes du fonctionnement du groupe auquel elles appartiennent.

Rendre les personnes actrices dans la recherche de solutions à leurs difficultés, favoriser le dialogue au sein des familles et entre des cultures différentes, tels sont les principaux objectifs poursuivis par l’Espace Droit Famille au travers d’activités pluridisciplinaires.