Forum Mondial de l’eau vs Forum alternatif mondial de l’eau

FAME : A qui profite la crise de l’eau ?

, par BOUGUERRA Mohamed Larbi

En janvier 2010, la banque Goldman Sachs, General Electric et le groupe de réflexion World Resources Institute (WRI) – qui ont formé l’Alliance de l’Aqueduc en août 2011- ont annoncé le lancement d’un nouvel index pour mesurer les risques liés à l’eau pour les entreprises et les investisseurs.

Ils affirment dans un communiqué de presse : « Dans de nombreuses régions du monde, la rareté de l’eau provoquée par le changement climatique et la pollution commence à impacter les performances des compagnies ; il n’en demeure pas moins que les analystes qui en rendent compte sont peu nombreux.  » C’est là, dit l’auteur, « un index d’opportunité » qui servira à spéculer sur l’eau et à investir dans la ressource.

De fait, l’année prochaine, au niveau mondial, on s’attend à ce que le marché privé de l’eau pèse un trillion de dollars. Répondant à Goldman Sachs qui affirme qu’ «  Il n’y a aucun substitut à l’eau. C’est l’unique utilitaire qu’on ingère », Maude Barlow, une militante canadienne connue pour son opposition à la privatisation de l’eau relève : «  La plus importante entreprise dans le domaine de l’eau est General Electric. »

L’Alliance de l’Aqueduc a développé l’index de manière à inclure d’une part une base de données sur l’eau mais aussi le montant des investissements d’infrastructure pour une région donnée. Elle l’a aussi doté d’un habit environnemental arguant qu’il aidera les entreprises, les gouvernements et les parties prenantes à être attentifs à leur « empreinte hydrique » et les amener à prendre des décisions « durables ».

En août 2011, ont rejoint l’Alliance de l’Aqueduc de nouveaux partenaires : Coca Cola, Talisman Energy, Dow Chemical, le conglomérat de la finance et de presse Bloomberg I.P et United Technologies – un très grand fabricant d’armes qui en a vendu pour 11,1 milliards de dollars en 2009.

Le Financial Time (FT) rapporte que Kirsty Jenkinson du WRI lui a déclaré : « S’agissant de l’eau nécessaire pour leur fonctionnement, les entreprises ont besoin d’avoir une meilleure visibilité » et grâce aux nouvelles données, « elles peuvent voir si, d’une part, elles courent des risques quant à leur accès à la ressource dont elles ont besoin ou si, d’autre part, elles risquent d’entrer en conflit avec d’autres consommateurs ou utilisateurs. »

Quant à Coca –Cola, il a mis à la disposition de l’Alliance ses propres données de marque déposée sur la disponibilité de l’eau douce dans le monde- données collectées durant de longues années de recherche au profit de ses sociétés d’embouteillage. « L’eau est le sang qui donne vie à nos activités » déclare au FT le porte-parole de Coca-Cola.

Il est à signaler que nombreuses sont les entreprises franchisées de la firme d’Atlanta qui sont empêtrées dans des conflits avec les communautés locales en Inde et en Amérique latine. En janvier 2012, le quotidien londonien The Guardian a signalé que Coca-Cola était critiqué pour son soutien à Mswati III du Swaziland, un des dictateurs africains les plus tristement célèbres. Dans son pays, la pauvreté est endémique, les partis politiques sont interdits et les activistes sont régulièrement emprisonnés et torturés.

Un autre partenaire de l’Alliance de l’Aqueduc est la firme de gaz naturel canadienne Talisman Energy qui a obtenu du gouvernement de Colombie Britannique 10 000 m3 d’eau par jour pour des activités de fracturation en vue de l’obtention de gaz de schiste le long du fleuve Saint Laurent.

Du reste, l’Alliance se propose de produire des cartes et des données avec « un niveau sans précédent de résolution et de détails » et qui incluront non seulement des données hydrologiques avancées mais aussi « des indicateurs géographiques spécifiques relatifs aux facteurs sociaux, économiques et de gouvernance qui affectent les entreprises et les économies ». Ces données comporteront les nouvelles régionales actualisées sur les usages de l’eau.

Ainsi, en septembre 2011, l’Alliance a produit des données et une carte prototype du Fleuve Jaune en Chine Méridionale. Les pénuries d’eau en Chine sont déjà si sévères que plus de la moitié des villes sont contraintes de restreindre l’usage de l’eau.

En 2013, l’Alliance va publier des cartes et des données sur des bassins versants de « haute priorité » comme celui du Colorado aux E.U, de l’Orange –Sengu en Afrique (qui intéresse le Botswana, le Lesotho, la Namibie et l’Afrique du Sud), du Yangtsé en Chine (10 millions de personnes ont été déplacées de ce bassin pour l’érection du barrage des Trois Gorges) et du Murray Darling en Australie. Dans toutes ces régions, la pénurie d’eau séduit les investisseurs. Leur modèle est l’Australie.

Le gouvernement ayant introduit dans les années 1990 le marché de l’eau dans ce bassin du Murray Darling, la sécheresse de 2001 a forcé les autorités à racheter les droits des propriétaires privés et les prix se sont envolés car elles se sont trouvées en compétition avec des spéculateurs internationaux et notamment des fonds spéculatifs géants. Ce qui amène les conseillers de l’Alliance à dire « Si vous vous y prenez correctement, les résultats de la crise de l’eau qui pointe peuvent être excellents. »

COMMENTAIRE :

Le slogan des affiches du FAME était : « L’eau, source de vie. Pas de profit ». Ce texte de Joyce Nelson (News International Magazine), posté sur le site en juin 2012, résume parfaitement les débats de bien des sessions du Forum et donne des informations précises sur la vision qu’a le monde des affaires de la crise globale de l’eau. Durant le Forum, 140 organisations et des centaines de personnes ont signé la Déclaration qui fait de l’eau un bien commun.

On notera qu’il y a une tendance lourde à la marchandisation de l’eau : la Semaine Mondiale de l’Eau à Stockholm, fin août 2012, ouvrira ses assises au 10ème Meeting annuel du Consortium International Économique des Ressources en Eau (IWREC). Cette tendance s’est aggravée au Sommet Mondial de Rio+20 de juin 2012 au Brésil où une forte résistance a été opposée à la motion déclarant l’eau, droit humain.