Érythrée : les raisons d’un exode massif

Introduction

, par Forum Réfugiés

L’attention portée à l’Érythrée n’a cessé de croître ces dernières années. Il y a d’abord des « évasions » spectaculaires relayées par la presse. Lors des Jeux Olympiques de Londres en août 2012, 4 des 12 athlètes quittent leurs entraîneurs et demandent l’asile en Angleterre, dont le porte-drapeau. En octobre 2012, deux officiers de haut rang font défection en rejoignant l’Arabie Saoudite à bord du jet privé présidentiel. En 2004 et 2006, des pilotes d’hélicoptères ont fui de la même manière. En décembre 2012, une grande partie de l’équipe nationale de football s’échappe lors d’un tournoi organisé en Ouganda. Ils refusent de rentrer à Asmara et demandent assistance au Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Fin 2012, c’est le ministre de l’Information qui quitte précipitamment le pays [1]. Peu à peu, ces « évasions » spectaculaires ou emblématiques soulèvent de plus en plus de questions : que se passe-t-il réellement dans ce pays, alors que quelques fuites médiatisées masquent l’exil de centaines de personnes chaque mois, des jeunes hommes principalement ?

"Nous sommes ici à cause de la torture que nous avons subie" Manifestation 11 mars 2011 devant l’ambassade d’Eryhtrée en Israël. Photo : Karen Zack

En effet, entre 2006 et février 2012, le nombre d’arrivées d’Érythréens en Israël, longtemps pays de prédilection pour les candidats à l’exil, évolue de 1 348 à 17 175 par an. L’attention portée à ce petit pays de la corne de l’Afrique, officiellement indépendant depuis seulement 1993, s’emballe alors. Un trafic morbide s’est développé, mis à jour par le Conseil de sécurité des Nations unies, puis par des documentaristes, chercheurs ou journalistes, autour des routes migratoires empruntées par ces Érythréens : des milliers d’hommes et de femmes sont enlevés chaque année dans le désert du Sinaï, torturés, et rançonnés. Les familles, au pays ou dans la diaspora, doivent débourser des sommes de plus en plus astronomiques, jusqu’à 40 000 dollars, pour faire libérer leurs proches retenus prisonniers. Les chiffres sont édifiants : 50 000 Érythréens auraient été enlevés et torturés depuis 2009, 10 000 en seraient morts.

Parallèlement, les nouvelles récurrentes de naufrages entre la Libye et l’Italie révèlent la présence massive d’Érythréens à leur bord.

Les observateurs cherchent alors les causes de cet exil massif : les routes migratoires étant à ce point dangereuses et aux mains de passeurs et trafiquants de plus en plus en plus sans scrupules, qu’est-ce qui motive tant ces jeunes à risquer leur vie dans l’exil ? Les expressions fleurissent dans les médias pour définir ce pays qui semble n’offrir aucun avenir à ses habitants : « Corée du Nord de l’Afrique », « prison à ciel ouvert », etc. Les Organisations non-gouvernementales (ONG) de défense des droits de l’Homme, mais aussi les Nations Unies, ont publié des rapports accablants sur la situation des droits de l’Homme en Érythrée. Le pays s’est isolé de la scène internationale, a expulsé toutes les Organisations non-gouvernementales étrangères de son territoire, et quasiment tous les organismes internationaux. Seules quelques entreprises étrangères sont encore présentes. Les déplacements à l’intérieur sont très limités tant pour les Érythréens que pour les étrangers, qu’ils soient diplomates ou simples touristes. Les Érythréens, qu’ils vivent sur place ou au sein de la diaspora, ne s’expriment que très peu. Un climat de répression, de suspicion et de délation pèse sur tous, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.

Léonard Vincent, journaliste, explique que le pays est « une bouche close » depuis septembre 2001 : une semaine après les attentats de New-York, alors que les yeux du monde sont toujours tournés vers les États-Unis, l’Érythrée plonge en effet dans le silence avec la fermeture de tous les médias indépendants et l’arrestation de journalistes et de responsables politiques. En 2015, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer et Franck Gouéry, deux chercheurs, publient un ouvrage [2] dans lequel ils développent leur thèse : bien plus qu’un État autoritaire, l’Érythrée est selon eux un régime totalitaire. David Bozzini, autre chercheur spécialisé sur l’Érythrée parle d’un « État despotique », « prédateur », aux caractéristiques totalitaires. Dès lors, ce pays mérite un intérêt tout particulier : comment expliquer le tournant « totalitaire » d’un pays indépendant depuis seulement 1993, dont la Constitution rédigée en 1996 promettait un avenir démocratique ? D’où vient l’Érythrée, que l’Éthiopie a cherché à annexer et réduire au silence durant trente ans de guerre civile ? L’histoire de ce pays et de son dirigeant actuel doit être connue et comprise si l’on veut comprendre l’Érythrée d’aujourd’hui, et l’exode massif de sa jeunesse.