Répondre aux préjugés sur les migrations

Episode 3 : « C’est si facile de venir en France… »

, par ritimo

Pour tante Francette et bien d’autres, la France serait devenue une véritable passoire, incapable de contrôler ses frontières. Tout le monde aurait la possibilité de venir en France et de s’y installer. D’ailleurs Francette le dit elle-même : « Il suffit à un étranger de venir en touriste ou sous le prétexte d’étudier pour rester chez nous toute sa vie… ». Étrange perception… quand ce pays s’évertue jusqu’à aujourd’hui à limiter toute forme d’immigration et qu’il donne des consignes à ses administrations pour dissuader les migrants de venir sur son territoire.

Toujours plus de lois pour limiter l’immigration

Depuis l’ordonnance du 2 novembre 1945, et plus encore ces dernières années, les gouvernements français modifient en permanence les lois qui régissent l’entrée et le séjour des étrangers et le droit d’asile. Sous couvert de lutter contre l’immigration clandestine, il s’agit en vérité de réduire le nombre d’immigrés, en limitant l’accès au séjour légal des étrangers qui construisent leur vie en France. Dans un contexte de crise économique et sociétale, les gouvernants, incapables d’apporter des solutions aux problèmes rencontrés par les citoyens, utilisent l’incertitude et la peur pour asseoir leur autorité en désignant des coupables.

Cette tendance ne s’observe pas seulement en France : depuis les années 2000, les gouvernements européens essaient d’avoir des règles communes en matière d’intégration des immigrés réguliers, de protection des demandeurs d’asile et de gestion des frontières. Mais au lieu de construire une politique européenne d’intégration, les gouvernements se sont attachés, jusqu’à aujourd’hui, à réduire toutes les formes d’immigration, y compris légales (les travailleurs, les réfugiés, les malades, les étudiants, les candidats au regroupement familial…). Ils dépensent d’ailleurs des fortunes pour éloigner les étrangers en situation irrégulière, en utilisant des moyens réellement inhumains : allongement de la durée de rétention des étrangers, expulsions par charters, souvent vers un autre pays que celui d’origine, interdiction de revenir sur le territoire européen pendant cinq ans, fichage de tous ceux qui franchissent les frontières… Une situation qui pourrait perdurer, malgré de modestes annonces d’assouplissement dans la gestion des migrations par l’actuel gouvernement (annonces de régularisations sur des critères plus transparents, de la création d’un nouveau titre de séjour de trois ans ou encore de l’interdiction de placer des familles en centre de rétention).

En 2012, 5000 Français auraient quitté la France pour payer moins d’impôts en 2013. Les capitaux circulent librement, mais pas les personnes. (Information de l’Institut de recherches économiques et fiscales.)

Côtoyer les administrations françaises : entre casse-tête et peur au ventre

À ce jour, l’étranger qui souhaite régulariser sa situation entame un parcours du combattant. Pour demander un titre de séjour, il faut d’abord déposer sa demande à la préfecture ou dans un commissariat de police. Ceci signifie des heures d’attente interminable devant les administrations : si le demandeur n’a pas dormi sur place ou campé depuis 4 heures du matin, il risque, après 4 ou 5 heures d’attente, d’être « invité à revenir » une autre fois. Il peut ensuite attendre 6 mois ou un an avant qu’il ne soit convoqué par la préfecture de son département avec tous ses justificatifs. La constitution du dossier est un vrai casse-tête, les préfectures exigeant toujours plus de pièces, compliquées à obtenir. Pour le titre de séjour des 10 ans de présence en France, l’administration demande au moins deux preuves par an soit vingt documents au total. Mais pas n’importe lesquels : les attestations délivrées par des personnes soupçonnées de complaisance ne sont pas acceptées.

Quand le demandeur a enfin réuni toutes les preuves et que le rendez-vous à la préfecture arrive, il doit encore patienter de longues heures, la peur au ventre : car ce sont les agents qui décident d’accorder ou non le droit au séjour, selon des critères assez opaques. Les mêmes obstacles se présentent chaque année lorsque le demandeur renouvelle son titre de séjour, l’attente devant les préfectures étant accentuée par l’angoisse de ne pas savoir s’il obtiendra le renouvellement du précieux sésame…

Quand on a un jour traité avec ses administrations, on ne peut plus dire qu’il est facile de s’installer en France !

L’asile, un droit bafoué

Quand un étranger quitte son pays pour des raisons politiques, qu’il craint des persécutions ou même la mort à cause de ses opinions ou de ses activités, il peut demander le statut de réfugié dans le pays d’accueil. Ce statut lui ouvre normalement des droits spécifiques (allocation, hébergement, droits sociaux). Encadré par la Convention de Genève (1951) qui défend et protège les persécutés, le droit d’asile est un droit inaliénable. Mais depuis une vingtaine d’années, les gouvernants font tout pour le malmener. La France est le quatrième pays d’accueil de demandeurs d’asile en Europe. Sur les 64 000 demandes enregistrées en 2014, elle n’a accordé le statut de réfugié ou de protection internationale qu’à 22% d’entre eux [1]. C’est moins que son voisin allemand ou que les pays nordiques.

Dans la pratique, la suspicion est devenue la règle et doit permettre de reconnaître le « fraudeur », c’est-à-dire celui qui vient pour des raisons économiques. Le candidat doit remplir un formulaire de 16 pages, en un temps réduit (21 jours) et fournir des arguments très construits, en français, pour motiver sa demande. Sans quoi celle-ci ne débouche même pas sur un entretien oral. Les agents ont pour consigne de chercher les contradictions et les imprécisions dans le récit des demandeurs pour les discréditer. Si la première demande est refusée, un recours est possible mais celui-ci nécessite des frais pour s’assurer la présence d’un avocat, sans lequel il n’a aucune chance d’obtenir l’annulation du rejet.

Au lieu de sélectionner les candidats par rapport aux menaces qui pèsent sur eux dans leur pays d’origine, on assiste donc à une sélection par le niveau d’instruction. Autre difficulté : le temps d’attente. En 2011, la durée moyenne du délai d’instruction des dossiers est de 19 mois. La loi relative à la réforme du droit d’asile (juillet 2015) a abaissé ce délai à 9 mois. Un délai qui reste long, surtout que les candidats ne sont pas autorisés à travailler pendant ce temps-là et que les dispositifs d’hébergement sont mis à mal par les capacités insuffisantes des centres d’accueil. Peut-on encore parler de « droit » d’asile ?

Pour en savoir plus, lire le Petit guide de survie pour répondre aux préjugés sur les migrations