L’immigration en France : histoire, réalités et enseignements…

Enjeux politiques autour de l’immigration, de l’intégration et de la fermeture des frontières

Discours tendus et contradictions dans les faits

, par ASIAD , M’BODJE Mamadou

Guide de survie pour répondre aux préjugés sur les migrations
Illustration de Claire Robert

Une analyse de l’immigration, de l’intégration et de la fermeture des frontières, dans la période actuelle ne prend sens que si l’on observe les éléments d’aujourd’hui à partir d’un regard récapitulatif de l’histoire de la politique française de l’immigration.
Y-a-t-il aujourd’hui en France un nouveau discours sur l’immigration ?

En partant des années 80, on voit que la distinction porte sur la place accordée aux thèmes de la maîtrise des flux migratoires et de l’intégration des immigrés dans la société française, au profit du second. Ce rééquilibrage serait même l’indice que « l’approche idéologique sur l’immigration » serait en train de céder peu à peu le pas à l’approche réaliste ou, tout au moins, ne l’éclipserait plus. Le débat sur l’intégration, quant à lui, aurait changé de contenu : l’exclusion des irréguliers et le refus de leur éventuelle régularisation étant généralement admis depuis 1984, il ne concernerait plus que les immigrés réguliers.

Autre trait nouveau, la question de l’intégration politique des immigrés, celui de leur droit ou non de vote, traîne toujours sous la pression de l’opinion publique. C’est de l’intégration sociale qu’on préfère parler aujourd’hui, d’intégration par l’école, par le logement et par l’habitat, par l’accès aux droits sociaux, par l’emploi, etc.

En même temps, un autre angle d’observation et d’analyse permet de vérifier facilement la contradiction entre ce nouveau discours et la pratique qu’il suscite. En effet, qu’il s’agisse de l’actualité liée à la maîtrise des flux migratoires ou à l’intégration des immigrés, les commentaires semblent non seulement démentir un déplacement de l’approche idéologique de l’immigration, mais s’enfermer de plus en plus dans des préoccupations électoralistes, soucieuse de plaire à l’opinion en sur-investissant dans un discours imaginaire et symbolique qui privilégie l’intervention médiatique par rapport à l’élaboration politique.

Pourtant, même si l’immigration occupe une place de premier plan dans le débat politique depuis le début des années 80 et qu’elle reste l’élément clé de l’affrontement droite-gauche, ce débat est lui-même paradoxal. Paradoxal tout d’abord parce que les frontières sont fermées depuis 1974 et que l’immigration massive appartient désormais au passé de la France, paradoxal parce que la France, en 1982, le même pourcentage de la population totale qu’en 1930 (environ 4 millions) ; paradoxal enfin parce que la France avance toujours sa réputation de terre d’accueil de tradition républicaine qui devrait la mettre à l’abri des tentations xénophobes.

Guide de survie pour répondre aux préjugés sur les migrations
Illustration de Claire Robert

Le problème est double : quelle a été la fonction de l’immigration dans le débat politique français ? Quelle a été la réponse de la classe politique à un débat dont elle n’a pas été seul acteur puisqu’il a été institué non seulement par ses déclarations mais aussi par des ouvrages, des statistiques, des articles de presse ?

La découverte de la présence des immigrés 

L’immigration dans le débat politique français des années 80 est marquée par une présence beaucoup plus visible des immigrés et des jeunes issus de l’immigration, contrastant avec la discrétion de la présence étrangère en France dans les décennies précédentes. Il s’agit soit d’une visibilité voulue, comme dans le cas des marches pour l’égalité de 1983 et 1984, soit d’une visibilité involontaire mais néanmoins très médiatique.

A cette catégorie appartiennent les « étés chauds » de 1981 à 1982 dans la banlieue lyonnaise (les fameux « rodéos des Minguettes », ainsi que de violents incidents opposant les jeunes à la police en février 1983, toujours dans la banlieue lyonnaise. Tous ces incidents bénéficièrent d’une couverture de presse nationale. Délinquance, chômage, immigration clandestine, réminiscences du passé algérien de la France, encore si sensibles pour une partie de l’opinion, c’est sous ces traits que sont apparus les immigrés aux Français à partir du début des années 80.

Les attaques contre l’immigration culminèrent durant la campagne pour les municipales de mars 1983. L’immigration est plus particulièrement sous les feux de l’actualité dans le 20 ème arrondissement de Paris où se présente Jean-Marie Le Pen pour « dire tout haut ce que les gens d’ici pensent tout bas » et à Dreux où la liste commune droite classique-Front national remporte les partielles de septembre consécutives à la démission de Françoise Gaspard. La période qui va du lendemain des municipales de 1983 jusqu’à la fin de l’année 1985 se caractérise par une moindre violence des polémiques politiques sur l’immigration, compensée par la diffusion d’une vision inquiétante de l’immigration.

C’est en effet l’époque où l’opinion découvre, au travers par exemple des « marches pour l’égalité », l’irréversibilité de l’immigration en France. Cette prise de conscience semble être mal vécue comme en témoignent les nombreuses polémiques sur le nombre d’étrangers présents en France. Bien que l’immigration soit arrêtée depuis 1974 (la population étrangère n’augmente plus que sous l’effet du regroupement familial, des naissances et des demandeurs d’asile), l’emploi continuel du terme « immigration » ainsi que l’accent mis sur le nombre de clandestins en France (par définition improuvable), alimentent les craintes de l’opinion et suscitent une forte demande de contrôle.

C’est aussi à cette époque que se forge une représentation particulièrement défavorable des immigrés, en particulier sous l’influence de nombreux ouvrages parus en 1984. Ces ouvrages reposent sur les idées suivantes : illégitimité de la présence étrangère en France (les immigrés sont venus dans leur seul intérêt et ont retardé la modernisation économique de la France), caractère inassimilable de l’immigration en raison notamment de l’islam, coût de l’immigration trop élevé, nécessité d’un retour massif des étrangers, nécessité d’une réforme du droit social « pour arrêter l’appel d’air ». Ces idées furent reprises par Jean-Marie Le Pen tandis que le dossier du Figaro-Magazine d’octobre 1985, présentent en couverture une Marianne voilée d’un tchador sous le titre « Serons-nous encore Français dans vingt ans ? » faisait l’objet d’une large polémique.
Globalement, la gauche est sur la défensive. L’évolution de son discours et de sa politique traduit une tentative de réponse à ces attaques. Dans le discours, le thème de la lutte contre les clandestins apparaît après le conseil des ministres du 31 août 1983. Les mesures de contrôle des flux sont adoptées à trois reprises (été 1982, août 1983, octobre 1984) sans désarmer l’opposition qui réclame après chaque plan des mesures encore plus strictes, ni davantage à convaincre les français face aux affirmations du Front national sur le coût social des immigrés en octobre 1985.

Les métamorphoses et l’extension du débat

Tout en étant moins virulent, le débat sur l’immigration subit une mutation qui le rend de plus en plus confus et difficile à décrypter. De plus, on a assisté à un rapprochement des positions de tous les partis politiques, hormis le Front national, sur l’immigration. On verra même Laurent Fabius et Jacques Chirac convenir, lors d’un débat télévisé de l’automne 1985, qu’il n’y avait pas de « désaccord fort » entre eux sur ce problème.

Les programmes des partis, Front national exclu, au moment des législatives de 1986 et des présidentielles d’avril 1988, révèlent un accord sur les quatre points suivants entre le PC, le PS, le RPR et l’UDF : fermeture des frontières, fermeté à l’égard des clandestins, intégration des étrangers souhaitant rester en France, retour volontaire.
Ce consensus s’est formé progressivement au cours de la décennie 80. Sur le contrôle des frontières, il est même antérieur. Ni le Parti socialiste, ni le Parti communiste n’ont jamais vraiment contesté la fermeture des frontières décidée en 1974. Au contraire, la culture de gauche s’accommode mal du phénomène de l’immigration qui est considérée comme résultant de l’inégalité des rapports Nord-Sud et comme néfaste à la fois pour la pays d’accueil (pression à la baisse des salaires, « division de la classe ouvrière ») et pour le pays de départ privé de ses forces vives.

Pour le RPR et l’UDF, la fermeture des frontières, décidée en 1974 en raison de la situation du marché du travail, reste un point fort du programme. Toutefois, on peut observer un glissement des justifications : la justification économique demeure mais est rejointe par une justification d’ordre plus idéologique, la défense de l’identité nationale. Au reste, la fermeture des frontières, mesure de protectionnisme appliquée à la main-d’œuvre, est en totale contradiction avec l’idéologie libérale. La fermeté à l’égard des clandestins est le corollaire de la volonté de fermeture des frontières. Ce thème apparaît dans le discours du PS en 1983 et supplante progressivement l’idée de régularisation des clandestins (conçue comme une sorte de remise à zéro définitive des compteurs) qui dominait avant l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand et au début du septennat. La volonté d’insertion résulte à la fois d’une volonté politique et du poids des faits, c’est-à-dire de l’impossibilité pratique du retour massif et non volontaire des immigrés. Pour le PC et le PS, cette politique est la nouvelle forme de « l’égalité des droits » longuement revendiquée durant les années 70.

Sur l’aide au retour également, la sensibilité socialiste a changé. Officiellement banni de la politique gouvernementale en 1981, elle fut rétablie lors du conseil des ministres du 31 août 1983 sous le nom d’« aide à la réinsertion ». Le consensus repose donc sur des bases réelles. Il est renforcé par le poids de l’opinion. Un sondage réalisé en janvier 1984 par le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’égalité entre les peuples) montre que 42 % des français sur-évaluent la présence étrangère, 68 % sont favorables à la limitation du regroupement familial et à la fermeture des frontières ; 58 % pensent que le nombre d’étrangers en France est trop élevé. Toutefois, ce consensus recouvre de larges zones d’ombre, car les mots employés sont susceptibles de nombreuses interprétations.

Ainsi le thème de « la lutte contre les clandestins » est un sujet de polémiques en raison des moyens différents qui peuvent être employés : reconduite à la frontière ordonnée par un juge pour la gauche, décision administrative depuis la loi du 26 septembre 1986 et accent mis sur la nécessité de nombreux contrôles d’identité.

Autre exemple, l’ambiguïté de la volonté d’insertion. Si les positions officielles du Parti socialiste semblent s’accommoder d’une certaine diversité culturelle et accepter de considérer l’accès à la nationalité française comme un préalable à une véritable intégration, les prises de position de certains responsables de l’UDF et du RPR sont souvent inverses, posant la volonté d’assimilation de l’étranger comme un préalable. Chez Didier Bariabi (parlant pour la droite) l’alternative « s’assimiler ou repartir » est clairement formulée. Que faire alors si les étranges n’acceptent pas de de repartir ?
Ces possibilités larges d’interprétation font apparaître la fonction de ce consensus. Il sert à la fois de protection, élaborée par la Gauche et calqué par la Droite, contre les discours attaquant directement l’immigration. Il est aussi la plate-forme minimum susceptible d’être acceptée par tous à l’intérieur d’un parti car, en effet le débat sur l’immigration divise aussi les partis politiques et leurs alliances.

C’est pendant cette période que de nouveaux thèmes sont apparus ; la défense de l’identité nationale et son corollaire, la réforme du code de la nationalité. Ces deux idées lancées à la fin de l’année 1984 apparaissent timidement dans les programmes politiques des partis de droite ; là encore l’ambiguïté est la règle. D’ailleurs le débat sur la réforme du code de la nationalité sera rapidement enterrée à la suite de la décision de la « commission des sages » qui rendit un rapport favorable à un large accès volontaire à la nationalité française.

A ce titre, il faut cependant noter que la réforme du code de la nationalité proposée par le gouvernement Chirac était très différente des propositions du Club de l’Horloge (officine d’extrême-droite) qui prévoyait la suppression de tout accès automatique à la nationalité française, le seul mode d’accès étant la naturalisation discrétionnaire. Au contraire, l’avant-projet de loi du gouvernement Chirac conservait l’attribution de la nationalité française à la naissance pour les enfants nés en France de parents eux-mêmes nés en France.

En définitive, le débat se réduit en 1988 à un rapport du « problème de l’immigration », à la dénonciation toujours virulente par le Front national de « l’augmentation de l’immigration » et à une volonté de « défense de l’identité nationale » qui apparaît dans les discours du Front national et de certains responsables de la droite. Il faut toutefois noter, là aussi, que ces thèmes ne font pas l’objet d’un consensus mais semblent au contraire révélateurs d’un clivage entre sensibilités différentes. Les socialistes ou Bernard Stasi (centre droit) par exemple, rappellent souvent leur confiance dans le génie intégrateur de la France, tandis que le RPR évoque dans son programme pour les présidentielles de 1988 la nécessité de défendre l’identité nationale.

Ainsi réduit à un diptyque fermeture des frontières/insertion des étrangers qui le désirent, le discours sur l’immigration n’a pu empêcher la montée des thèmes venus de la droite extrême. Peut-être est-ce justement cette analyse trop réductrice et peu conforme aux réalités de l’immigration (par exemple en faisant l’impasse sur la complexité du problème des clandestins) qui a paradoxalement favorisé la diffusion d’un autre discours, certes simpliste, mais plus conforme à la représentation que se font les français du « problème de l’immigration ».

L’immigration et l’identité de la France

Le débat autour de la nationalité française manifeste donc une interrogation globale sur l’identité française elle-même, car on voudrait « hexagonaliser » en droit et « européaniser » en fait une population que l’histoire a ouverte sur le monde. Les arguments avancés pour prouver que certains immigrés (arabo-musulmans, en fait, à l’époque principalement maghrébins) seraient inassimilables ne peuvent emporter l’adhésion immédiate. Car depuis plusieurs siècles (notamment à partir de 1880), la France a connu déjà au moins deux vagues d’immigration et deux vagues de xénophobie qui épousent les conjonctures économiques et démographiques. L’immigration des « trente glorieuses » a laissé place très classiquement, après 1974 et la crise, à l’actuel mouvement anti-immigrés.

Il est courant de penser désormais que l’immigration des années 1950-1987 est un défi de type nouveau à l’identité de la France. Cette présomption paradoxalement commune aux partisans d’une société « multiculturelle » et à ceux de la « préférence nationale » n’est toutefois pas déductible d’une lecture attentive des faits. Le(s) discours que l’on tient sur elle tendent à accréditer l’idée qu’elle n’est pas assimilable d’abord parce qu’elle ne le veut pas et ensuite parce qu’elle ne le peut pas. La première assertion s’appuie sur la revendication fréquente des immigrés et de leurs descendants de garder des liens identitaires (langue, religion, coutume) avec la civilisation des pays d’origine. La seconde met en exergue les difficultés concrètes et les incidents qui découlent de ces difficultés (banlieues, grands ensembles, etc.) des grandes agglomérations françaises, notamment dans l’axe Paris/Région parisienne-Lyon-Marseille. Elle tend à affirmer que les communautés de forte imprégnation islamique de s’assimileront jamais.

Ce type d’argumentation suppose l’affirmation de l’altérité totale de l’immigration musulmane par rapport aux vagues précédentes. C’est considérer que les immigrations italiennes (entre 1880-1960), polonaises (surtout entre 1920-1935) et espagnoles (surtout après 1935) d’origine européenne et judéo-chrétienne (car les juifs polonais sont inclus dans le lot) se sont assimilés parce que d’une part elles acceptaient de se franciser, et d’autre part que la distance avec la culture d’accueil était sur le moyen terme, relativement faible. A l’inverse, l’immigration originaire des pays musulmans d’Afrique du Nord ou de l’Ouest ne s’assimilera pas (conclusion), parce que l’Islam introduit une distance fondamentale par rapport à la culture d’accueil (cause) et cela en dépit du fait que la plupart de ces pays d’origine ont été en général des colonies françaises, ce qui a provoqué une acculturation [1] qui a encouragé l’immigration vers la France et non vers l’Allemagne où se rendent les Turcs, les Grecs, les Yougoslaves.

Il en résulte donc pour ce type d’approche que cette radicale nouveauté supposée de cette vague d’immigration nécessite une redéfinition des voies d’accès à la nationalité (si l’on veut restreindre le rôle de la nouvelle communauté) ou de dissocier le lien entre la nationalité et la citoyenneté pratique, si l’on veut ménager une insertion particulière à cette immigration singulière (droit ce vote aux élections locales pour les non-nationaux, soutien public aux cultures immigrées). Les deux attitudes, pour être radicalement différentes dans leur contenu éthique et politique, n’en reposent pas moins sur la même analyse « différentialiste ».
Cette perception d’une nouvelle immigration se justifie-t-elle par la simple analyse des faits de société ? Ou bien est-ce que cette perception différentialiste est, elle-même, un fait social nouveau ? Il nous semble que cette perception ne résulte pas de l’importance objectivement estimée des problèmes effectifs. Ce serait le cas si l’on pouvait déduire d’une analyse comparative entre les immigrations précédentes et l’actuelle immigration des problèmes sociaux plus importants et un rejet global plus violent de la part des « français de souche ». Or, rien ne permet de le dire. Les immigrations précédentes ont provoqué de fortes réactions de rejet tant populaires qu’idéologiques. Les communautés européennes n’ont pas toujours été accueillies comme « frères » participant d’une même identité. Les Italiens ont fait l’objet de véritables massacres à Aigues-Mortes (en 1893, 13 morts) et à Orange. On les accusait évidemment d’être des concurrents économiques, mais aussi d’être plus criminels que la moyenne des habitants. Quant aux Polonais, arrivés dans le Nord et l’Est après 1920, on leur reprochait notamment de constituer un ghetto et de pratiquer un catholicisme baroque. L’identité apparente de religion ne fut pas un facteur d’intégration pendant cette période, bien au contraire, notamment dans les régions anti-cléricales comme la banlieue nord de Paris.

Malgré tous ces problèmes, la tradition assimilatrice de la France a su résister parfois de justesse et a fait voter des lois (1889 et 1927) sur l’élargissement des possibilités d’acquisition de la nationalité française, faisant face à un nationalisme qui influençait parfois plus d’un tiers de l’opinion française, hantée par le fantôme de la décadence comme l’est sans doute celui de la droite extrême d’aujourd’hui. Une des lois visait à naturaliser d’office les pieds-noirs maltais et espagnols nés an Algérie (entre 40 et 50 % de la population pied-noir en 1890) et à les empêcher de se soustraire au service militaire. La loi de 1927, pour sa part, accéléra la naturalisation des Italiens, des Polonais, des Arméniens et des Russes blancs arrivés après 1919.

L’action française (extrême droite) a eu beau jeu de railler ces « Français de papier » et le régime de vouloir annuler beaucoup de ces naturalisations. Il se trouve qu’à l’époque 18 millions de Français avaient, sur trois générations au moins, un parent d’origine étrangère. Il n’en reste pas moins vrai que cette assimilation des immigrations précédentes ne s’est pas faite calmement et seule la seconde guerre mondiale et ses conséquences (reconstruction, dévalorisation de l’antisémitisme et du racisme idéologique, nouvelle hémorragie démographique, participation plus que proportionnelle des immigrés dans la résistance) ont mis en sourdine la violence contre les « Ritals » et les « Blacks ».

A certains égards, l’actuelle perception de l’immigration obéit au même schéma. Ce n’est pas dans les années 60 où la distance objective entre immigrés et Français était sans contexte la plus large que l’hostilité à l’égard de l’immigration fut la plus forte, mais dans les années 80 où l’immigration est ancienne (80 % ont plus de dix ans de séjour), plus familiale (45 % de femmes) et où une certaine mobilité professionnelle permet aux immigrés d’être contremaîtres, commerçants, où la pratique islamique a fortement baissé. Bref c’est au moment où l’immigré menace de ressembler aux Français que l’hostilité se déclenche. Toutefois, l’assimilation/intégration de l’immigration d’imprégnation islamique connaît une limite à long terme qui n’est pas sans évoquer le cas de la communauté juive : le rôle de l’islam comme « marqueur d’identité ».

En effet, l’intégration croissante dans les faits de l’immigration arabo-musulmane ou musulmane des Africains de l’Ouest n’ira jamais, on peut le croire, jusqu’à un abandon explicite de l’islam par l’ensemble de ces communautés. L’attachement à un islam même vague demeurera donc une réalité et peut se comparer au judaïsme de beaucoup de Juifs français, avec ses interprétations plus ou moins libérales, ses retours de flamme lorsqu’une nouvelle vague (Pologne après 1900, Afrique du Nord après 1962) arrive ou lorsque l’hostilité de la société monte d’un cran.
Ces musulmans même très libéraux pourront difficilement se reconnaître dans l’imaginaire à base chrétienne laïcisé et transformé par la tradition républicaine qui forme cumulativement le double mythe fondateur de l’identité française.

Immigration (musulmane) et imaginaire historique « européen » de la France

Guide de survie pour répondre aux préjugés sur les migrations
Illustration de Claire Robert

Il est vrai que l’immigration musulmane heurte le premier mythe fondateur de la France : celui d’un pays de tradition chrétienne, occidentale et européenne, dans le sens où l’européanité résulte du triple héritage grec, romain et judéo-chrétien, selon certaines définitions.

Ce cadre européo-centriste dans les politiques publiques et l’imaginaire idéologique complique les relations avec l’immigration en France et rend difficile pour la France la gestion de la situation post coloniale. En effet, les immigrations maghrébines et africaines ont afflué vers la France du fait des liens créés par la situation coloniale.

La France a représenté pour eux une « Amérique ». Une certaine acculturation linguistique ou scolaire a créé des mécanismes d’appel de cette immigration. Une grande partie du code de la nationalité après 1851 n’est explicable que dans ce contexte, notamment ses articles sur le droit du sol et les procédures de réintégration de nationalité pour les Africains nés dans des colonies ou départements français avant 1960 ou 1962.

Les récentes mesures sur l’entrée en France (notamment le visa pour les pays hors UE) vont dans le même sens : l’habitant de Saint-Louis du Sénégal francophone et qui était français en 1660 est plus étranger à la France que le citoyen d’Amsterdam, de Zurich ne comprenant pas un mot de français. Toutes ces nouvelles lois, dispositifs européens (accords de réadmission, etc) signifient un pas de plus dans le sens : Europe d’abord.

Notes

[1Ensemble des processus par lesquels un individu ou un groupe d’une culture différente s’approprie peu à peu les éléments de la culture dominante.

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Références bibliographiques :
 BAROU (J) et LE (H.Kh.) : L’immigration entre loi et vie quotidienne, Ed L’Harmattan, Paris, 1993.
 SELIM (A.) : L’identité culturelle, relations ethniques et problèmes d’acculturation, Anthropos, Paris, 1981
 CARON (M.) : Immigration, intégration et solidarité, Regards sur l’actualité n° 166, décembre 1990.
 GRIOTTERAY (A) : Les immigrés : le choc, Ed. Plon, 1984.
 HOCHET (A) : Le débat politique français de 1981 à 1988, Revue Pouvoirs n° 47, PUF, 1988.
 BARIANI (D) : Les immigrés, pour ou contre la France, Ed. France-Empire, 1985.
 LE GALLOUY (J.-Y.) et le Club de l’Horloge : La préférence nationale, 1984
 MIGREUROP : Atlas des migrants en Europe, Géographie critique des politiques migratoires, Ed Almand Collin, 2012. Site : www.migreurop.org (voir : accords de réadmission).