Climat : choisir ou subir la transition ?

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Energie et démocratie

, par CLAUSTRE Raphael

La loi sur la transition énergétique pose pour la France un cadre ambitieux empilant les objectifs dont certains constituent de réelles ruptures comme la division par deux de la consommation finale d’énergie entre 2012 et 2050 ou le développement des énergies renouvelables à hauteur de 32% de notre bouquet énergétique en 2030. Pourtant, en ne se dotant, pour tenir ce cap, que d’outils techniques, la loi oublie l’essentiel : définir une gouvernance territoriale de l’énergie adaptée à ces objectifs.

Un cadre archaïque

1946. L’organisation du système énergétique français qui perdure aujourd’hui vient d’être achevée : de grandes entreprises nationales ont été crées, l’une pour l’électricité (EDF) et l’autre pour le gaz (GDF devenue GDF Suez) sur la base des développements locaux plus ou moins récents d’infrastructures énergétiques. Il s’agissait alors de généraliser l’accès aux énergies modernes et d’assurer de grands travaux d’interconnexion et de production. Les années 1985 à 2000 n’ont pas fondamentalement changé l’aspect très centralisé de cette organisation, mais le contre-choc pétrolier et l’achèvement de l’électrification ont désintéressé le gouvernement du sujet. Le pouvoir laissé vacant par le monde politique sera rapidement repris par les grandes entreprises nationales et l’administration. Les évolutions des rôles et statuts des entreprises publiques de l’énergie initiées à partir de 1996 et la reprise en main partielle des questions énergétiques par le pouvoir politique, à travers les lois de programme fixant les orientations de la politique énergétique en 2005, ainsi que les lois « Grenelle » de 2009 et 2010 et le projet de loi sur la transition énergétique, ne modifient pas ce principe de base : l’énergie est une affaire nationale. Notre système énergétique est conçu de manière à ce que de grandes unités de production ou de transformation de l’énergie diffusent, via d’importants réseaux de transport et un réseau de distribution mal entretenu, des énergies fossiles et électrique (très majoritairement nucléaire) à des consommateurs (usagers puis clients) peu responsabilisés.

Tour EDF, la Défense, Paris. Crédits : Guillaume Cattiaux

Transition : remettre de l’ordre dans la gouvernance

Cette organisation est en tout point l’inverse de ce que l’on appelle aujourd’hui la « transition énergétique ». Le potentiel d’économie d’énergie, comme celui de production renouvelable est colossal. Mais il est diffus. Ce n’est pas sa faiblesse, c’est sa force : il est mieux réparti que n’importe quelle ressource minérale ou fossile. Il ne suscitera jamais de conflit géopolitique et permet un partage de la richesse issue de la « manne énergétique » en donnant une valeur au territoire par le potentiel énergétique qu’il recèle. Mais exploiter un potentiel diffus exige de mettre chacun en mouvement, à l’échelle des citoyens, des ménages bien sûr, mais aussi des entreprises et des collectivités locales. Il s’agit de faire de ce consommateur un citoyen conscient. De faire des entreprises, bien peu au fait des questions d’énergie à l’exception des industriels électro-intensifs particulièrement concernés, des acteurs économiques responsables et engagés tant par leur consommation d’énergie que par les opportunités en termes d’activités nouvelles. De faire des collectivités locales, à travers leurs propres consommations, la gestion de leur patrimoine, mais surtout leurs compétences en matière d’urbanisme, de transport, d’habitat, d’information des citoyens, etc. des animateurs de cette transition.

La transition énergétique incarne aujourd’hui la nécessité d’un changement d’orientation radical dans notre manière de concevoir l’énergie. Bien au-delà d’une simple évolution technologique de notre mix de production, il s’agit de construire une offre énergétique à partir des besoins puis, en s’appuyant sur des moyens de transformation efficaces, de déterminer notre production. Cette chaîne, depuis le besoin en service énergétique, jusqu’à la production doit respecter les enjeux de notre époque et les principes du développement durable.

Du point de vue environnemental, il s’agit de limiter les émissions de gaz à effet de serre et le risque industriel notamment nucléaire, d’assurer un impact minimal sur la biodiversité, la consommation d’espace, etc. Le « pilier social » consiste à assurer un accès à un confort énergétique acceptable à tous dans des conditions acceptables, en sortant les ménages modestes de leur dépendance à des énergies chères et polluantes par des dispositifs d’urgence de lutte contre la précarité énergétique, mais surtout en leur donnant accès à des logements et des équipements très efficaces en énergie. Enfin, les opportunités de développement économique vont de la production industrielle d’équipements efficaces en énergie ou de production renouvelable, aux activités agricoles et sylvicoles en passant par tout le tissu des PME et artisans du bâtiment, des services et de l’ingénierie.

Les territoires au coeur de la ré-appropriation citoyenne de l’énergie

Ce n’est qu’en plaçant l’énergie, base de toute vie et toute activité, au coeur de notre quotidien que nous adopterons des modes de vie adaptés. Il s’agit donc de travailler au niveau du bassin de vie, plus ou moins bien incarné par les intercommunalités, pour évaluer les gisements d’économie d’énergie et de production renouvelable, puis les placer au cœur des orientations de la collectivité en particulier dans les décisions concernant l’énergie et le changement climatique, l’urbanisme et l’aménagement du territoire, mais aussi tous les domaines connexes : développement économique, agriculture, formation, transport, habitat. L’animation, l’information et l’accompagnement du citoyen et de tous les acteurs du territoire sont des éléments clés de la réussite des politiques énergétiques locales, comme en témoignent les exemples qui se multiplient non plus seulement en Europe du nord, mais aussi en France [1].

Dans une logique nouvelle, chaque territoire tâchera, en minimisant sa consommation et en maximisant sa production locale renouvelable, de pourvoir à ses besoins, voire d’exporter de l’énergie en devenant un « territoire à énergie positive » [2]. C’est donc sur le réseau de distribution que se produiront les principales mutations : il devra être un outil technique au service des orientations politiques locales pour toutes les énergies de réseau, l’électricité bien sûr, mais aussi le gaz (méthane fossile et biométhane renouvelable) et la chaleur. Le réseau permettra d’accueillir une production renouvelable par endroits très dense et décentralisée, parfois plus importante localement. Il devra aussi envoyer des informations aux consommateurs, ménages et entreprises pour leur permettre de gérer leur consommation. Il devra aussi faire remonter toutes les informations sur les profils de consommation à la collectivité pour qu’elle adapte sa politique à son territoire et suive l’efficacité de ses actions. Enfin, un travail d’équilibrage sur la boucle locale sera nécessaire pour que ce réseau communiquant devienne intelligent et assure du stockage, de l’effacement de consommation...

Le réseau de transport, dans ces conditions, sera essentiellement un outil d’échange entre les territoires destiné à assurer le commerce, la solidarité et les grands équilibres, compétences de l’État. Paradoxalement, alors que le réseau de distribution est un outil extrêmement important pour les politiques locales de l’énergie et que la compétence d’organisation de la distribution publique d’énergie est conférée aux collectivités territoriales par le code de l’énergie, il ne leur est pas possible d’exercer cette compétence sur l’électricité et le gaz. En effet, la concession obligatoire à ERDF pour l’électricité et à GDF Suez pour le gaz annihile la compétence légale des collectivités et empêche tout contrôle démocratique des élus sur le réseau de distribution, à l’exception des collectivités ayant crée une régie avant la loi de nationalisation de 1946 [3] !

La Région, l’État, l’Union européenne

Ce foisonnement d’initiatives, de création, de solutions émanant des territoires devra être coordonné et mis en musique à une échelle adaptée : l’État ne pourra pas intervenir directement auprès des 500 à 2500 politiques énergétiques territoriales. Ce sera donc à la Région d’assurer d’une part l’animation et la coopération au sein de ces politiques, mais aussi leur cohérence avec la politique nationale. En impulsant les initiatives, en diffusant et valorisant les expériences innovantes des territoires pionniers et en dynamisant l’ensemble des territoires, la Région doit impulser, accompagner et observer les politiques énergétiques territoriales. Et pour garantir leur cohérence, elle doit naturellement donner un cadre ambitieux de développement des énergies renouvelables et de la maîtrise de l’énergie indiquant des objectifs comme le font aujourd’hui les documents de programmation régionaux que sont les Schémas Régionaux du Climat, de l’Air et de l’Énergie. Mais au contraire d’un objet technique découlant de la politique nationale, il doit être un document politique porté par les élus régionaux.

L’État devra naturellement donner les orientations générales et les grands objectifs en lien avec l’Union européenne, assurer la sécurité d’approvisionnement, la solidarité et la cohésion des territoires.

L’État se tromperait donc nécessairement en croyant faire la transition énergétique, il ne peut que la permettre, en accompagnant les évolutions issues du débat sur la transition énergétique afin qu’elles prennent cœur dans les territoires et en assurant son lien avec les autres lois en cours, en particulier celles concernant la décentralisation. Cependant, toucher à la gouvernance de la société étant considéré comme complexe, la loi sur la transition énergétique s’en est peu souciée et nous a fixé des objectifs pour lesquels notre pays n’est pas organisé. Il a globalement laissé les commandes de la transition énergétique dans les mains de ceux qui n’en ont ni l’envie ni la capacité.