Écologie industrielle & territoriale

« L’écologie industrielle part de l’hypothèse qu’il est possible d’envisager le système industriel comme un cas particulier d’écosystème. Après tout, on peut décrire le système industriel comme une certaine configuration de flux et de stocks de matière, d’énergie et d’information, tout comme les écosystèmes biologiques. De plus, le système industriel tout entier repose sur les ressources et les services fournis par la Biosphère, dont il constitue en quelque sorte une excroissance. Il existe ainsi un large spectre d’écosystèmes industriels en interaction plus ou moins directe avec la Biosphère, depuis certains écosystèmes agricoles, presque « naturels », jusqu’aux écosystèmes les plus artificiels, comme les vaisseaux spatiaux [1] ».

Définition développée

En d’autres termes, cette expression cherche à intégrer le fonctionnement industriel au sein de l’analyse écologique, selon l’idée qu’« il est possible d’envisager le système industriel comme un cas particulier d’écosystème [2] », avec l’objectif « de faire évoluer le système économique, non durable dans sa forme actuelle, pour le rendre viable à long terme et compatible avec le fonctionnement normal des écosystèmes naturels [3] ».
S’il n’existe pas de définition standard selon Erkman, « tous les auteurs s’accordent pour reconnaître au moins trois éléments principaux dans le concept d’écologie industrielle :
1. C’est une vision globale, intégrée, de tous les composants du système des activités humaines et de leurs relations avec la Biosphère.
2. Le substrat biophysique du système industriel, c’est-à-dire la totalité des flux et des stocks de matière et d’énergie liés aux activités humaines, constitue le domaine d’étude de l’écologie
Industrielle, par opposition aux approches usuelles, qui considèrent l’économie essentiellement en termes d’unités de valeur immatérielle (monnaie fiduciaire).
3. La dynamique technologique, c’est-à-dire l’évolution sur le long terme de grappes de technologies clés, constitue un facteur crucial (mais pas exclusif) pour favoriser la transition du système industriel actuel vers un système viable, inspiré par le fonctionnement des écosystèmes biologiques [4] ».
L’Écologie Industrielle et Territoriale s’inscrit ainsi dans une perspective de développement durable, puisqu’il s’agit de répondre à l’échelle territoriale aux enjeux globaux du changement climatique, à la raréfaction des ressources, à la relocalisation des activités, ou à l’optimisation de la mobilité, etc. [5]. L’EIT relève donc de la planification consciente des activités humaines, où la coopération entre les organisations est incontournable dans une approche opérationnelle systémique, dans le but de minimiser leur interférence négative avec l’entourage environnemental, en s’inspirant pour cela, du fonctionnement des écosystèmes naturels.
Mettre en place une stratégie opérationnelle d’EIT suppose de mener en premier « une enquête la plus exhaustive possible sur l’activité d’un lieu [6] » en ayant recours à des analyses de flux et stock de matières et d’énergies, pour concevoir une démarche d’économie circulaire, basée sur l’analyse du cycle de vie (ou écobilan) des activités d’une entreprise, les calculs d’optimisation, l’éco conception, etc [7]. Erkman précise toutefois que si « l’étude du métabolisme industriel constitue […] un préalable indispensable », il s’agit d’aller au-delà des approches dites end of pipe [8] ou des approches préventives de la pollution (Cleaner production), qui s’avèrent insuffisantes et/ou limitées [9].
Sur la base de cet examen préalable, la mise en place d’une organisation de type éco-systémique [10] implique d’agir sur quatre leviers d’action, identifiés par Suren Erkman [11] :
 le bouclage (appelé aussi recyclage) : valoriser les déchets d’une filière comme ressource pour cette même filière, ou pour une autre filière, de manière à ce qu’il ne reste que des déchets ultimes et en quantité minimale.
 l’étanchéïfication : minimiser les pertes et émissions dissipatives durant le cycle de vie des produits.
 l’intensification : diminuer la consommation des produits ou l’orienter vers des produits moins nuisibles à l’environnement (substitution) et minimiser l’utilisation de matières et d’énergies (dématérialisation ; voir : économie de fonctionnalité).
 l’allégement : réduire la consommation de carbone fossile ou de produits chimiques, pour ‘décarboniser’ l’énergie [12].
Mener à bien une démarche d’EIT suppose donc un cadre conceptuel (écologie scientifique) et une stratégie opérationnelle faisant appel aux acteurs d’un territoire. Le succès de telles synergies organisationnelles et de symbiose industrielle dépend du degré de diversité des agents présents sur le territoire (optimiser la complémentarité de leur production et consommation respectives), de leur proximité (optimiser la mobilité des entrants et sortants et les coûts de transport, soit tendre vers des circuits courts) et de leur disposition à la communication (capacité locale à échanger de l’information) et à la coopération entre eux (valorisation et échange de flux industriels, mutualisation des services et des équipements, communication et confiance mutuelle) [13]. Concernant ces deux derniers aspects, Christophe Blavot souligne que cela présuppose un changement parfois profond des mentalités, une prise de conscience collective qui s’inscrit souvent dans la durée [14].
Le même auteur précise enfin : « La démarche de l’EI fait le choix délibéré d’écarter au début les questions financières, pour montrer avec clarté un certain nombre de réalités physiques. L’expérience montre que l’analyse de ces réalités ouvre des possibilités de dialogue propices à de fortes prises de conscience entre les acteurs, ce qui les motive à s’engager dans telle ou telle direction. Mais il est normal qu’il y ait ensuite une évaluation économique de l’intérêt d’une opération. Cette évaluation sera faite de manière globale et intégrative [15] ». Or, « Les retours d’expériences, internationaux et français, font apparaître de nombreux apports pour les collectivités et les entreprises, notamment en information stratégique et potentiel d’action […] » que ce soit pour les entreprises comme pour l’État et les collectivités [16].

Exemples

La première expérience significative au monde d’écologie industrielle est apparue au Danemark sur le site de Kalundborg, où plusieurs organisations différentes ont décidé depuis les années 1960, de coopérer, parmi lesquelles :
 la mairie de la ville,
 une centrale énergétique Asnaes,
 le fabricant de plâtre Gyproc,
 l’entreprise pharmaceutique Novo,
 l’entreprise de traitement des sols Bioteknisk Jordrens,
 une raffinerie du pétrolier Statoil [17]

Au sujet de cette symbiose industrielle, Blavot ajoute : « Le port danois de Kalundborg est probablement le plus bel exemple (voire trop parfait !) d’un espace territorial optimisé en EI. Il comprend notamment une centrale d’énergie produisant de l’électricité qui alimente le réseau national mais dont la chaleur résiduelle est récupérée pour être renvoyée vers d’autres installations du port comme la ferme piscicole, la petite municipalité de Kalundborg ou la raffinerie de pétrole. Le gypse issu de la désulfuration des gaz de combustion de la centrale électrique est extrait pour en faire du placoplâtre commercial au sein d’une société spécialisée également présente sur le port. De son côté, la raffinerie produit du pétrole qui s’en va à l’extérieur mais dont certains composés chimiques qui lui sont inutiles sont récupérés : gaz et soufre. […] il y a aujourd’hui plus de 25 synergies identifiées, qui au-delà de la diminution de l’impact écologique génèrent environ 15 millions de dollars d’économie annuelle ».
Et Erkman de préciser : « Sur le modèle de Kalundborg est apparu, au début des années quatre-vingt-dix, le concept de « parc éco-industriel » (en anglais, eco-industrial par k ou EIP). Il s’agit d’une zone où les
entreprises coopèrent pour optimiser l’usage des ressources, notamment en valorisant mutuellement leurs déchets ( les déchets d’une entreprise servant de matière première à une autre) […] Une idée voisine des parcs éco-industriels est celle de « biocénoses industrielles ». En biologie, le concept de biocénose se réfère au fait que, dans les écosystèmes, les différentes espèces d’organismes se rencontrent toujours selon des associations caractéristiques. On peut étendre ce concept aux complexes industriels en cherchant à déterminer les « bonnes » associations, les meilleurs panachages d’activités humaines ».
 [18].
Christophe Blavot rappelle enfin qu’il existe d’autres applications concrètes, au Danemark, à Genève et au Sénégal, et livre l’exemple de l’expérience pratique mise en place par la FPH dans la gestion du domaine de Villarceaux, en sa possession dans le Val d’Oise (Parc Naturel Régional du Vexin, à soixante-dix kilomètres à l’ouest de Paris).
Un schéma récapitulatif du bilan global établi est le suivant :

Autre Illustration :

Voir le schéma : http://www.oree.org/docs/groupes-de-travail/gt-parcs-d-activites/poster-eco-industrielle.pdf

Historique de la définition et de sa diffusion

Selon Wikipédia, L’écologie industrielle n’est « pas à proprement parler une nouvelle une nouvelle discipline [sinon] une nouvelle pratique de management environnemental. Elle suppose, en revanche, la mobilisation de disciplines très diverses : l’informatique, l’ingénierie, la physique chimie, mais aussi l’écologie, l’économie, le droit, la philosophie, la conception, la logistique, etc. Par nature interdisciplinaire, l’écologie industrielle intègre ces différents champs de connaissances par des méthodes d’ingénieur ou d’ingénierie écologique ».
Suren Erkman, ancien journaliste scientifique (double formation en philosophie et biologie) est un de ceux à qui l’on doit une plus importante structuration du concept d’EI, grâce au soutien de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH). À ce titre, il livre un récapitulatif historique de l’apparition et de la diffusion de la notion :

« L’écologie industrielle se trouvait incontestablement en gestation dans le bouillonnement d’idées qui a marqué les premières années suivant la création du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) […] au lendemain de la Conférence des Nations unies sur l’environnement humain, à Stockholm en 1972 ». Le bras droit du directeur du PNUE, Maurice Strong « n’était autre que Robert Frosch, qui allait contribuer de manière décisive à ressusciter le concept de l’écologie industrielle ». En effet, ce dernier, au côté de l’un de ses collègues chercheurs au laboratoire de Général Motors, allaient co-signer un article intitulé « Strategies for manufacturing [19] », considéré comme le texte fondateur du concept d’écologie industrielle. Lors du premier colloque consacré à l’écologie industrielle à Washington en mai 1991 sous l’égide de l’Académie nationale des sciences, Robert Frosch « a rappelé que cette idée était dans l’air depuis plusieurs décennies, notamment lors des discussions suivant la création du PNUE [20] ». Ainsi, « La notion d’écologie industrielle n’est pas vraiment nouvelle. L’expression et le concept apparaissent de manière sporadique dans la littérature scientifique des années soixante et soixante-dix, sans donner lieu pour autant à des développements approfondis. L’expression a resurgi au début des années quatre-vingt-dix, d’abord parmi certains ingénieurs de l’industrie proches de l’Académie nationale des ingénieurs aux Etats-Unis ».
Ensuite, « Les idées de l’écologie industrielle se sont également répandues dans les milieux d’affaires, toujours sur la base du fameux article du Scientific American, mais indirectement. Hardin Tibbs, un consultant anglais qui travaillait en 1989 à Boston pour la société Arthur D. Little, raconte qu’il éprouva un déclic en lisant l’article de Frosch et Gallopoulos. Dans la foulée, il rédigea une brochure d’une vingtaine de pages, intitulée « Industrial Ecology : A New Environmental Agenda for Industry », publiée par Arthur D. Little en 1991. Puis Global Business Network, près de San Francisco, le republie en 1993, après que Hardin Tibbs ait rejoint cet organisme de prospective qui élabore des scénarios pour les entreprises membres de son réseau 36. Sur le fond, la brochure de Tibbs redit pour l’essentiel ce qu’on peut lire dans l’article de Frosch et Gallopoulos. Mais l’apport décisif de Hardin Tibbs a consisté à traduire ces idées dans le langage et la rhétorique des milieux d’affaires, et à les présenter de manière très synthétique dans un document de quelques pages, estampillé du prestigieux label Arthur D. Little puis Global Business Network. Rapidement épuisée, photocopiée à des milliers d’exemplaires, la brochure de Hardin Tibbs a ainsi permis aux idées de Frosch et Gallopoulos de circuler largement dans le milieu des entreprises ».
« Depuis, l’idée poursuit son chemin avec une remarquable vigueur. Il ne semble pas exagéré de dire que l’on assiste actuellement à la naissance d’un nouveau champ scientifique et technique, à la confluence de l’ingénierie, de l’écologie et de la bioéconomie. Malgré sa jeunesse, l’écologie industrielle fait déjà preuve d’une maturité certaine, comme en témoigne le lancement, au printemps 1997, du Journal of Industrial Ecology (MIT Press), la première revue scientifique consacrée à cette nouvelle discipline en plein développement ».
Enfin, « Au cours des trois dernières années [soit depuis le début des années 2000, ndlr], l’expression « écologie industrielle » a commencé à se répandre dans certains cercles académiques et milieux d’affaires. On peut même déceler un début d’effet de mode, bien que le concept ne semble pas toujours clairement compris »
 [21].

Utilisations et citations

Dans leur texte fondateur, Frosch et Gallopoulos affirment : « Dans le système industriel traditionnel, chaque opération de transformation, indépendamment des autres, consomme des matières premières, fournit des produits que l’on vend et des déchets que l’on stocke ; on doit remplacer cette méthode simpliste par un modèle plus intégré : un écosystème industriel » et « Les concepts d’écologie industrielle doivent être connus des fonctionnaires, utilisés par eux, par les cadres de l’industrie et par les médias. Ils doivent être présentés à tous les citoyens, et
guider la conduite des gouvernements et des industriels [22] ».
Erkman précise pour sa part : « L’écologie industrielle fait appel en priorité à l’écologie scientifique, aux sciences naturelles et aux sciences de l’ingénieur. Elle s’intéresse à l’évolution du système industriel dans sa globalité et à long terme. Par conséquent, les problèmes d’environnement ne constituent qu’un aspect, parmi d’autres, de l’écologie industrielle. Contrairement à la plupart des discussions actuelles sur les questions d’environnement, l’écologie industrielle ne s’aventure pas sur le terrain de l’écologisme politique : elle ne fait preuve ni de catastrophisme ni de son symétrique inverse, l’optimisme technologique à outrance [23] ».
Christophe Blavot précise que « le terme industriel tel qu’il est utilisé dans l’expression “écologie industrielle” ne doit pas être pris dans le sens étroit qu’il a souvent dans le français d’aujourd’hui et qui recouvre ce qui est produit dans des usines, mais plutôt dans le sens plus large qu’il aurait en anglais, c’est-à-dire d’activité productive en général ; […] une idée que le français a gardée dans l’adjectif industrieux ». Plus loin, il ajoute que « Le canton de Genève a été la première instance politique à adopter un article de loi promouvant explicitement l’EI sur son territoire : « L’État favorise la prise en compte des synergies possibles entre activités économiques en vue de minimiser leur impact sur l’environnement » (loi de 2001 sur l’action publique en vue d’un développement durable) ». Ou encore : « (…) des responsables de l’élaboration des plans d’aménagement du territoire français prennent l’habitude de demander des missions en EI ; le bureau des statistiques de l’Union européenne demande à tous les territoires de l’Union de faire des bilans matières de ce qui entre chez eux ou en sort [24] »

Notons enfin que la Chine a traduit la notion d’économie circulaire en 2008 dans son cadre législatif, voir : Loi sur l’économie circulaire de la République Populaire de Chine datant du 29 août 2008.