Le Livre des jeunesses sud-américaines

Sommaire du dossier

Distribution, Reconnaissance et Participation : les demandes construisent les acteurs et les agendas-Part 1

Partie 1

, par IBASE

Toutes les inégalités, les discriminations et les injustices qui touchent les jeunes dans les six pays concernés par la recherche ne sont pas perçues aujourd’hui comme « des problèmes sociaux », tout comme tout ce qui est classifié comme « problème social », n’arrive à se traduire par une demande.

Comme nous le savons, le mot « demande » est utilisé de différentes manières dans le langage quotidien et dans le cadre des sciences sociales. Dans le Projet Jeunesses sud-américaines, les questions qui - socialement reconnues comme des « problèmes touchant la jeunesse » - sont portées à la connaissance du public, en quête de réponses de la part de la société et des gouvernements, sont pensées comme des demandes. Dans les six pays étudiés, aussi bien les médiateurs - éducateurs, politiciens, représentants religieux, agents communautaires, chercheurs, agences de coopération internationale- que les acteurs de la jeunesse de différents types se sont présentés publiquement comme des messagers des demandes des jeunes, en présentant des problèmes et en proposant des solutions qui cherchent à être légitimées comme faisant partie de la « question sociale » actuelle.

Demandes des jeunes : du point de vue des groupes, des réseaux et des mouvements

Même si les jeunes qui participent aux actions collectives sont des minorités statistiques par rapport à l’ensemble de la jeunesse, leurs motivations sont liées aux problèmes et aux besoins de leur génération. Au sein des différents groupes, réseaux et mouvements jeunes, les demandes se traduisent par « des causes », « des revendications », « des fers de lance ». C’est de cela dont nous parlerons ci-après.

Nous avons étudié 19 situations types réparties sur les six pays concernés par le Projet Jeunesses sud-américaines. Comme nous l’avons déjà énoncé au début de ce livre, grâce à l’étude d’une variété des situations et des espaces de participation des jeunes, parmi les problèmes et les contradictions qui concernent les différentes jeunesses, il a été possible de souligner des points de connexion. Nous sommes arrivés, ainsi, à six demandes permettant de mettre en place un agenda commun.

- Un enseignement public de qualité

La demande la plus présente chez les jeunes visés par l’étude concerne l’éducation. Nous avons pu constater des pratiques discriminatoires, des processus d’exclusion, des mécanismes de protection d’inégalités qui définissent le système éducatif des différents pays. Il s’agit simplement du « droit à l’enseignement » ou du renforcement de « l’accès à l’école ». On cherche à obtenir un enseignement public, gratuit et de qualité. Pour cette génération, il s’agit d’obtenir : une meilleure qualité (de meilleurs professeurs, des curriculums plus en accord avec la réalité actuelle et les nouvelles technologies qui définissent la société de la connaissance) ; plus de flexibilité (nécessité de calendriers adaptés pour conjuguer travail et études dans les villes et dans le milieu rural) ; la garantie d’une continuité éducative (secondaire, technico-professionnelle, universitaire).

L’enseignement de qualité est une demande commune aux jeunes de tous les niveaux d’enseignement. Pour les jeunes employées domestiques de Bolivie, l’accès à l’éducation signifie être instruit et compléter le cycle d’enseignement de base. Pour les jeunes noirs interrogés au Brésil, « un enseignement de qualité » signifie la mise en place de quotas raciaux qui leur donnent accès aux universités publiques. Pour les jeunes des milieux ruraux ou en situation d’exclusion, la reformulation et le renforcement de l’enseignement secondaire (urgents dans les six pays) signifie la possibilité de continuer ses études et d’améliorer les conditions d’insertion productive.

- Un travail décent et de nouvelles opportunités d’insertion productive

La question du travail est présente de manière récurrente dans les préoccupations de la génération des jeunes d’aujourd’hui. Elle a une place centrale dans leur vie. Affrontant la précarisation des lois salariales, le chômage, la concentration agraire, la mécanisation, les changements technologiques et les discriminations dictées par le fait d’être jeune, les personnes interrogées cherchent des opportunités pour travailler et s’émanciper. Elles ne demandent pas simplement du travail, mais « un travail décent » qui leur offre une rémunération en accord avec les droits du travail. Elles cherchent également des soutiens publics pour développer de nouvelles activités créatives dans le domaine de la culture, de l’agroécologie, des activités sociales. Pour certains groupes, l’objectif est d’allier l’insertion productive (individuelle ou en groupe) et valeurs de l’économie solidaire.

Un travail décent et créatif est une recherche générationnelle commune. Pour les jeunes travailleurs des classes populaires, cela signifie trouver des mécanismes pour réfréner la surexploitation de la force physique des jeunes ; la discrimination salariale ; l’absence de contrat. Pour les jeunes étudiants, la demande de travail décent renvoie aussi bien au désir de trouver un poste de travail dans un futur proche que de trouver, à l’heure actuelle, des opportunités de stage qui représentent réellement un apprentissage professionnel.

- Culture : valeurs et accès à la jouissance et à la production culturelle

Pour la majorité des jeunes concernés par l’étude, il s’agit d’augmenter les possibilités d’accès et de choix d’utilisation du temps libre, de profiter des moments de loisirs et d’avoir accès au patrimoine culturel matériel et immatériel de leur pays. Dans ce contexte, « l’accès à la culture » est vu comme un droit à respecter. D’autre part, pour cette génération, le nombre de jeunes concernés par les productions artistiques offrant des appartenances, des identités et un revenu a significativement augmenté. Grâce à la demande « culture », les pouvoirs publics sont invités à garantir les moyens de loisirs et de jouissance culturelle pour différents segments de jeunes ainsi qu’à reconnaître et soutenir les différentes manifestations artistiques produites et appréciées des jeunes.

L’accès à la culture est une demande de redistribution et de reconnaissance. Il renvoie au fait que les équipements culturels sont concentrés dans les zones centrales et nobles des villes est loin des jeunes des milieux ruraux. D’autre part, il renvoie également aux différents styles et expressions culturels qui ont marqué les jeunes fragilisés par les préjugés ethniques, raciaux et par ceux liés au lieu de résidence : favelas et banlieues.

- Une vie sûre : valorisation de la diversité et droits de l’Homme

Cette génération de jeunes sud-américains est touchée par différentes formes de violence, physique et symbolique. L’une des dimensions étudiées concerne le droit à la mémoire, nié par la violence politique du régime militaire. Dans d’autres situations étudiées, des segments de jeunes socialement vulnérabilisés se sont tournés vers les pouvoirs publics pour renverser les préjugés et les discriminations (ethniques, de genre, de lieux de résidence). Entre autres, nous pouvons mentionner l’oppression provenant des confrontations entre les trafiquants de drogue et la police qui, en général, voit le jeune comme le suspect principal.

Le concept de « vie sûre » doit ajouter le combat contre la violence aux autres orientations de l’agenda public de la jeunesse (éducation, travail et culture). Ce n’est pas un hasard si, dans la liste des différentes formes de violence, il est fait référence aux droits de l’Homme amplifiés (Desca). Les Politiques Publiques pour la Jeunesse sur la sécurité doivent prendre en considération : a) la recherche de justice et des droits des citoyens ; b) le combat des préjugés et la valorisation de la diversité culturelle de la jeunesse.

Message d’une jeune noire à la police militaire brésilienne :« Nous voulons une jeunesse noire EN VIE. Nous croyons en la fin de l’extermination programmée des jeunes noir(e)s. » Jeune ayant participé au groupe de dialogue régional, RJ, 2009

- Durabilité environnementale : protection de l’environnement et qualité de vie des jeunes

Pour les situations étudiées, nous avons enregistré différentes évocations concernant la question de l’environnement et de l’écologie. De là résultent différentes actions collectives et d’inédites possibilités d’articulation intergénérationnelle entre les jeunes de classes sociales différentes, des milieux urbains et ruraux.

« L’éducation environnementale », classique et moderne, est vue comme une voie importante pour favoriser la circulation des informations et fournir des éléments pour la négociation, les choix et les pactes sociétaires.

Par le biais de l’écologie, les jeunes de la ville et de la campagne se connectent avec les questions de leur temps, en faisant dialoguer les anciens problèmes avec les nouvelles motivations. À l’heure où les opportunités de carrière traditionnelle s’épuisent et où la préoccupation pour l’avenir de la planète est grande, la perspective écologique indique également qu’il faut renforcer de nouveaux domaines de professionnalisation (agents communautaires environnementaux, tourisme écologique, produits certifiés, etc.).

- Les moyens de transport et de locomotion (entre la campagne et la ville, pour les espaces urbains)

Les distances géographiques et la ségrégation sociale et spatiale ont transformé, ces dernières décennies, le manque de transports en un obstacle pour l’accès à d’autres droits fondamentaux, tels que l’éducation, le travail, la santé.

Tant pour les jeunes qui vivent dans les zones rurales que pour les jeunes qui vivent dans les grandes villes, le manque de lignes de transport ou d’argent pour payer le transport est devenu un point synonyme de restrictions pour continuer à étudier, pour concilier les études et le travail, pour avoir accès aux loisirs et à la cohabitation des jeunes.

Pensé dans l’optique du « droit à la ville », le transport public devrait assurer aux jeunes la possibilité de circuler et de s’approprier les équipements urbains. Ce n’est pas un hasard si l’accès aux transports a été l’un des moteurs de certaines des plus expressives manifestations publiques d’étudiants de l’enseignement secondaire dans la région. Les mouvements connus comme la « Révolte du Buzú », à Bahia, au Brésil, et les manifestations de la Fédération nationale des Étudiants du secondaire, au Paraguay, sont de bons exemples. Ces manifestations engagent les jeunes dans des négociations entre les pouvoirs publics et les entrepreneurs du transport et ont été l’occasion d’un renouvellement du mouvement étudiant.

Après l’étude des « situations types », ces demandes ont été soumises à 36 groupes de discussions (focal groups). Les personnes ayant participé à ces groupes ont confirmé les six demandes suggérées et ont argumenté sur la nécessité d’en inclure une supplémentaire : l’accès aux équipements de santé, qui prend en considération la vie de l’actuelle condition jeune.

- L’accès aux équipements de santé appropriés pour les besoins des jeunes d’aujourd’hui

Cette demande est également une demande commune avec des significations assez différentes. Alors que pour les groupes féministes, elle renvoie à la sexualité et au droit de reproduction, pour les jeunes des milieux ruraux paraguayens, cette demande est intimement liée à la protection de l’environnement et au contrôle de la consommation des agrotoxiques, partie intégrante du modèle productif de l’agriculture mécanisée qui menace la santé. Pour les jeunes toxicodépendants, cela signifie l’accès au système de santé dans la perspective connue comme la « réduction des dommages ».

Lire la suite : Partie 2

La version originale (en portugais)est en ligne sur le site d’Ibase : www.ibase.br/pt/biblioteca-2/

Retrouvez le site (en portugais) dédié au projet : www.juventudesulamericanas.org.br