Deux idées reçues sur la démocratie

, par Agenda de la Solidarité Internationale

« Le démocrate, après tout, est celui qui admet qu’un adversaire peut avoir raison, qui le laisse donc s’exprimer et qui accepte de réfléchir à ses arguments. Quand des partis ou des hommes se trouvent assez persuadés de leurs raisons pour accepter de fermer la bouche de leurs contradicteurs par la violence, alors la démocratie n’est plus. »
Camus à Combat, Albert Camus, 2002.

Idée reçue n°1 : L’autogestion ne peut pas fonctionner

L’autogestion caractérise une organisation où c’est le groupe d’individus qui la composent qui prend les décisions concernant cette structure. Elle teste la capacité des humains à s’organiser sans dirigeant et prône également la transparence et la non-appropriation des richesses produites par le groupe. Les pratiques d’autogestion ont une longue histoire : la Commune de Paris en 1871, la Russie soviétique en 1917, la Yougoslavie de Tito qui fit inscrire l’autogestion dans la Constitution en 1950, la révolte au Chiapas (Mexique) menée par les Zapatistes dès les années 1980... Pourtant, elles sont souvent qualifiées d’utopies ou d’illusion, ne pouvant pas fonctionner dans la durée. Aussi certains épisodes d’autogestion n’ont-ils été qu’une parenthèse dans l’Histoire, alors d’autres ont défini des modes de gestion et d’organisation qui perdurent encore aujourd’hui. Radios associatives, librairies alternatives, jardins partagés, récupération d’usines, d’hôpitaux, d’écoles..., de nouvelles initiatives se développent à chaque instant. Qu’en a-t-on appris aujourd’hui ?
Tout d’abord, que les mouvements coopératifs qui prônent l’autogestion sont un mouvement mondial important : les coopératives sont présentes partout dans le monde et 3 milliards de personnes sont directement concernées par les entreprises coopératives, soit la moitié de l’humanité. En Europe, on dénombre 180 000 entreprises coopératives et un(e) Européen(ne) sur 5 est membre d’une coopérative [1]. Sous l’effet des crises sociales et économiques, on a vu beaucoup d’exemples de réappropriation d’entreprises abandonnées ou mises en faillite par leurs propriétaires, comme ce fut le cas en Argentine, après la crise de 2001. Au départ circonscrit à quelques entreprises, ce mouvement a gagné en ampleur et il se poursuit aujourd’hui puisque 786 unités productives sont encore autogérées en Argentine, impliquant 28 000 travailleurs dans tout le pays [2].
Évidemment, le modèle autogéré amène son lot de difficultés : globalement, la capacité productive reste moindre qu’avant la récupération, l’absence de capital et la difficulté à se fournir en matières premières fragilisent la structure qui a souvent du mal à prendre sa place sur le marché. De nombreuses tentatives ont été avortées et certaines dévoyées. Par exemple, des coopératives agricoles ont pu dériver vers l’agrobusiness et l’exploitation de leurs membres.

Ce processus de récupération par les salariés reste néanmoins une option valide. Remparts contre le capitalisme destructeur d’emplois, d’acquis sociaux et nuisible pour l’environnement, les pratiques d’autogestion proposent de nouveaux rapports économiques, politiques et sociaux. A ce titre, elles connaissent un succès grandissant et sont un moyen de promouvoir la cohésion dans la diversité.

Manifestation contre le 49.3, Paris, mai 2016. Photo Kwikwaju cc by-nc

Idée reçue n°2 : La démocratie garantit le développement

Par la stabilité politique et les garanties qu’elle offre, la démocratie est souvent perçue comme un préalable au développement économique. Cette affirmation n’est pas fausse puisqu’à l’inverse, les régimes autoritaires et arbitraires sont rarement vecteurs de développement.

Mais la démocratie à l’heure de la mondialisation est caractérisée par de graves inégalités en matière de répartition des revenus et des richesses. Des inégalités entre pays riches et pauvres mais aussi à l’intérieur des pays riches, où la grande pauvreté s’accroît. Cette pauvreté met à mal la démocratie, car elle empêche les victimes de cette pauvreté de participer à la vie politique, sociale et culturelle. La conquête des libertés politiques ne peut donc pas suffire à garantir le développement : elle doit être accompagnée de stratégies pour garantir les droits économiques, sociaux et culturels (DESC). Ces DESC ont fait l’objet de deux Pactes internationaux en 1966, sensés leur conférer un caractère obligatoire. Mais ces droits sont régulièrement violés par les effets pervers de la mondialisation et de la libéralisation accrue des échanges.

Une autre réserve tient à la notion même de démocratie. Dans certains pays de l’Afrique de l’Ouest, l’avènement de la démocratie a présenté des résultats mitigés en termes de développement. Cela tient essentiellement au fait que la démocratie a été imposée de l’extérieur, sans tenir compte des spécificités historiques, religieuses, ethniques et culturelles de ces pays. De fait, cette démocratie transposée est perçue comme une domination de l’Occident. Pour que la démocratie ait des incidences positives sur le développement, il faut donc que cette démocratie permette aux gens de pratiquer leur propre autodétermination, conformément à leurs valeurs.

Que peut-on faire ?

Notes

[1« Le pouvoir de la coopération, chiffres clés 2015 », Rapport de Coopératives Europe.

[2Enquête du ministère du Travail, novembre 2013.