De Gaza à Ferguson : la face cachée de la répression raciste

, par Common Dreams

Cet article a été traduit de l’anglais au français par Laurence Besselievre et Pierre Bourgeois, traducteurs bénévoles pour Ritimo. Retrouvez l’article original sur le site de Common Dreams ici : From Gaza to Ferguson : Exposing the Toolbox of Racist Repression

Par Corinna Mullin et Azadeh Shahshahani

Les arrestations de masse et les forces de police militarisées sont deux des outils les plus puissants de la panoplie des instruments de répression du pouvoir utilisés par Israël et les États-Unis.

Entre les morts et destructions de la dernière guerre d’Israël à Gaza et l’arrivée dramatique de la garde nationale dans les rues de Ferguson dans le Missouri, il y a eu beaucoup d’évènements violents rappelant l’usage de la violence qui subsiste au sein des hiérarchies raciales en Israël et aux États-Unis.

Cependant, au milieu des gros titres, on pourrait facilement oublier les formes les plus courantes et les plus enracinées de l’oppression que sont les hiérarchies de race, de citoyenneté, de nationalité et de classe qui sont nées et continuent à exister, aux États-Unis comme en Israël ; la plus significative étant l’emprisonnement de masse.

Dans son roman intitulé Chassés de la lumière, reconnu par la critique , James Baldwin demandait « combien les misérables coûtent-ils dans les cours de justice" afin de déterminer si un pays "a un quelconque amour de la justice, ou même seulement une conception de celle-ci ». Si, comme Baldwin l’insinue, la loi elle-même "est coupable" de la création d’inégalités régionales et mondiales, alors qu’est-ce que cela nous apprend sur les perspectives de justice en Israël et aux États-Unis ?

Avec les aides militaires et politiques américaines qui continuent à affluer en Israël et Israël qui contribue au développement des techniques de contrôles américaines ; les politiques d’emprisonnement des deux pays sont non seulement similaires mais aussi connectées malgré leur histoire et leur contexte différents.

La politique d’emprisonnement de masse d’Israël

Les conditions draconiennes imposées par Israël lors du siège de Gaza ont souvent mener les critiques à comparer cette bande de terre assiégée à une « prison à ciel ouvert », mettant en avant le contrôle total d’Israël sur les frontières, l’espace aérien et les côtes de Gaza.

Pourtant, des prisons traditionnelles faites de briques et de mortier bénéficient toujours d’un grand usage à travers le territoire Israélo-palestinien . En fait, depuis sa création en 1948, l’État d’Israël a emprisonné environ 20 pour cent de la population totale de la Palestine, dont 40 pour cent de la population masculine.

Aujourd’hui, Israël détient plus de 6500 palestiniens dans ses prisons et ses centres de détention. Ceux-ci comprennent plus de 466 palestiniens soumis à une « détention administrative » (emprisonnement sans procès), 27 membres du parlement palestinien et trois anciens ministres.

Même si la couverture médiatique a, et avec raison, mis l’accent sur l’atrocité des centaines d’enfants palestiniens tués lors du dernier assaut d’Israël sur Gaza, il est important de rappeler combien la vie est précaire pour les enfants palestiniens, y compris en « temps normal ». Depuis 2000, plus de 8000 enfants palestiniens ont été emprisonnés et presque 2000 ont été tués avec une quasi-impunité pour les soldats et les colons israéliens impliqués.

Environ 230 enfants palestiniens sont actuellement emprisonnés - dont 50 ont moins de 16 ans. Des groupes pour les droits de l’Homme dont Amnesty International et l’organisation israélienne B’Tselem, tout comme les Nations Unies, ont condamné les mauvais traitements auxquels Israël fait régulièrement recours contre ces enfants. Beaucoup ont été tirés hors de leurs maisons au milieu de la nuit et ont dû faire face à un confinement solitaire, à la torture et au refus de tout contact avec leurs familles.

L’utilisation par Israël de l’emprisonnement comme outil politique a été largement à l’écran lors des dernières violences à Gaza. Après la disparition de trois jeunes colons israéliens, qui ont ensuite été retrouvés morts en juin dernier, Israël a arrêté des milliers de palestiniens faisant réellement usage de l’arrestation et de l’emprisonnement de masse comme forme de « punition collective », ce qui est considéré comme un crime de guerre par la quatrième Convention de Genève. Parmi tous ces individus qui ont été arrêtés, seulement 62 ont récemment été libérés lors de l’échange contre le prisonnier Gilad Shalit. Leur libération, qui s’est déroulée en même temps que la fin du siège de Gaza, a fait partie des demandes les plus véhémentes du Hamas au cours des négociations pour mettre fin au conflit.

Le Hamas est clairement devenu la cible immédiate de la dernière vague d’arrestations d’Israël, au cours de laquelle plus de 2000 palestiniens ont été arrêtés durant le seul mois de juillet. Cependant, l’objectif politique plus large d’Israël est de terroriser la population palestinienne toute entière et de dissuader la résistance et l’unité. Comme l’explique Noura Erakat, « l’état d’urgence » durable qu’a instauré Israël dans les territoires occupés signifie que les palestiniens sont soumis à une « matrice de 1500 lois militaires » « qui peuvent être modifiées arbitrairement, sans avertissement et appliquées rétrospectivement en violation des principes les plus fondamentaux » de l’État de loi - cela en plus d’au moins 50 lois discriminatoires envers les citoyens palestiniens d’Israël.

A Gaza, on voit déjà un autre exemple de l’injustice de la loi. Au moins 250 palestiniens ont été arrêtés au cours de l’opération terrestre d’Israël à Gaza, beaucoup d’entre eux ont été poursuivis pour « appartenance à une organisation illégale » qui, selon le Centre Al-Mezan pour les droits de l’Homme, fait généralement référence aux partis politiques palestiniens. D’autres continuent à subir des interrogatoires et l’accès à un avocat leur a été refusé.

Au moins 15 des personnes arrêtées puis relâchées ont été détenues au titre de la loi relative à l’incarcération des « combattants illégaux ». Cette loi, qui prévoit encore moins de protection que les ordres de détention administrative, autorise la détention de gazaouis pour une durée illimitée sans qu’aucune charge ne soit retenue ou qu’aucun procès ne soit en cours, en violation des normes internationales des droits de l’Homme. Adoptée par la Knesset israélienne (le parlement israélien) en 2002, la loi du statut de combattant illégal incarne l’une des nombreuses pratiques partagées par Israël et les États-Unis, qui ont codifié leur propre définition juridique de "combattant illégal" puisqu’un « combattant illégal » pourrait être retenu indéfiniment au titre de la loi sur les commissions militaires de 2006.

La mort et la destruction infligées au peuple palestinien au cours des dernières semaines et qui fait partie de ce que l’historien israélien Ilan Pappé relie à la politique israélienne de « génocide progressif », doit nous rappeler que l’incarcération et les formes plus manifestes de violence ne s’excluent pas mutuellement .

Le gouvernement israélien emploie aussi une variété d’autres outils pour réprimer et déposséder la population palestinienne. Cela inclut les expulsions forcées, les usurpations de terrains et d’autres formes de nettoyage ethnique, le refus du droit des réfugiés palestiniens à rentrer chez eux, le refus d’ aides financières et militaires importantes pour l’installation d’habitations , des politiques d’apartheid et des pratiques incluant un mur de « séparation de la communauté », et un système de checkpoints et de permis limitant la libre circulation des palestiniens.

L’incarcération de masse au pays de la liberté

De l’autre côté de la planète, la population carcérale croissante des prisons américaines compte à présent un quart de tous les prisonniers du monde.

Près de 70 pour cent de la population carcérale aux États-Unis sont pour la plupart des gens de couleur. Comme Adam Gopnik l’a observé dans le New Yorker, « il y a plus d’hommes noirs dans les griffes du système de justice criminelle américain, en prison, en probation ou en liberté conditionnelle qu’il n’y en avaient dans l’esclavage » à l’aube de la guerre civile.

Au cours des trois dernières décennies, la population carcérale américaine a quadruplé. C’est en grande partie le résultat de la « guerre contre la drogue ». Depuis l’adoption de la loi Anti-Drug Abuse en 1986, les emprisonnements pour des infractions non-violentes ont considérablement augmenté, touchant de manière disproportionnée la population noire pauvre. D’après Michelle Alexander, une juriste, « relégués à un statut de seconde classe » par leur expérience de la prison, un nombre démesuré d’hommes noirs ont, une fois de plus, été « privés de leurs droits », perdant leur droit de vote, leur droit à faire partie d’un groupe de jurés, d’être traités sans discrimination quant à l’emploi, l’éducation et l’accès aux services publics.

Cette augmentation exponentielle de l’incarcération s’est accompagnée d’une hausse sans précédent de la détention d’immigrants sans papiers et d’une croissance du nombre de complexes « carcéraux industriels » qui démontrent l’importance de l’économie politique de l’incarcération. Ces évolutions prennent racines dans les changements socio-économiques de la période post-industrielle et dans la réduction des dépenses dans les programmes de filets de sécurité sociale. Des mesures qui se sont développées aux États-Unis, à partir des années 80, parallèlement à l’essor du modèle économique néolibéral dans l’ensemble des pays du Sud. Comme le souligne Angela Davis, spécialiste et activiste de la justice sociale, les prisons étaient au centre de la stratégie gouvernementale qui s’attaquait à la violence structurelle « née de la désindustrialisation, du manque d’emplois » et du « manque d’éducation » qui caractérise cette période, touchant plus particulièrement les gens de couleur et pauvres.

Bien que l’incarcération de masse en tant qu’outil d’oppression entraine une violence moins flagrante que les anciennes formes de contrôle racial pratiquées aux États-Unis, son impact a cependant été nuisible et étendu. Le racisme institutionnalisé inhérent à ce système a mené Alexander à décrire l’incarcération de masse américaine comme le « nouveau Jim Crow », assimilant ainsi le « système de castes raciales » entretenu à travers des lois racistes et la violence après l’abolition officielle de l’esclavage.

Le professeur Laleh Khalili de l’Université de Londres le confirme. Dans Time in the Shadows : Confinement in Counterinsurgencies, elle examine la continuité dans les stratégies carcérales, de la domination coloniale du 19ème siècle à aujourd’hui. Khalili montre que l’utilisation de l’incarcération de masse plutôt que de la violence brute pour contrôler la « problématique des populations » a pu se développer comme une solution « plus humaine », « administrative et juridique » face à l’agitation sociale. Son but a toujours été le même : « obliger » un oppressé ou « un peuple occupé à admettre sa défaite et à reconnaitre sa propre soumission ».

Avec la « guerre de la terreur », la pratique de l’incarcération de masse a étendu son usage et son impact, avec une croissance dramatique qui pointe les communautés arabes et musulmanes. Un rapport de l’Associated Press de 2011 a montré, qu’aux États-Unis seulement, 2934 arrestations pour terrorisme ont été rapportées et 2568 condamnations ont été prononcées depuis le 11 septembre, soit huit fois le nombre du même type d’arrestations au cours de la décennie précédente.

Des activistes ont soulevé de sérieux problèmes au sujet "d’enquêtes discriminatoires" et de tactiques de poursuites "douteuses" qui caractérisent nombre de ces affaires. Ces allégations ont été détaillées dans un rapport de Human Rights Watch et de l’Institut Juridique Universitaire de Columbia pour les droits de l’Homme qui citait l’utilisation par l’accusation de « preuves obtenues par la contrainte, de preuves classées qui ne pouvaient pas être justement contestées et de preuves incendiaires de terrorisme dans lesquelles les accusés ne jouaient aucun rôle », ce afin de condamner les suspects pour terrorisme.

Une autre caractéristique douteuse de ces affaires a été « la fabrication de crimes de guerre » comprenant la « conspiration » et « le soutien matériel », qui ont été largement utilisés pour condamner des personne alors que, dans des circonstances juridiques normales, il n’y aurait eu aucun fondement à ces charges. Par ailleurs, d’après un rapport publié par le groupe musulman des droits civiques SALAAM et la Coalition Nationale pour la Protection des Droits Civiques, presque trois quarts des condamnations de la « guerre de la terreur » sont « basées sur des soupçons concernant l’ idéologique supposée de l’accusé et non sur une quelconque activité criminelle ».

Qui plus est, les cas de « guerre contre la terreur » aux États-Unis ont contribué à généraliser le recours aux négociations de plaidoyer contre des membres de communautés marginalisées et opprimées ; en effet, plus de 90 % des dossiers se sont réglés par des règlements à l’amiable. Selon SALAAM, le fait « d’exacerber la terreur » quadruple les sentences habituelles, ce qui permet aux procureurs « d’obliger les accusés à accepter des ententes de plaidoyers comme unique alternative à des peines de prisons extrêmement sévères ». Une fois en prison, ces détenus et ces prisonniers sont soumis à « des conditions de détention très difficiles et parfois même abusives » comprenant « de longues périodes d’isolement et de graves restrictions ».

Le plus célèbre site d’incarcération de la « guerre contre la terreur » américaine a été le régime extra-légal à Gantanamo Bay où la majorité des 149 derniers détenus dont la remise en liberté a été autorisée depuis bien longtemps reçu . Les prisonniers de cette île-prison ont été traités de manière cruelle, inhumaine et dégradante — subissant des actes de torture et de longues périodes de réclusion solitaire — sans aucune possibilité de voir ou de remettre en question les présumées preuves utilisées pour les y envoyer. Les détenus qui ont entrepris des grèves de la faim pour protester contre les conditions de leur détention ont été gavés brutalement à l’aide de tubes insérés dans leurs gorges.

S’ajoutent à cela les nombreux « sites secrets » extraterritoriaux et extra-légaux de « guerre contre la terreur » qui ont été établis partout dans le monde, tout comme les très durs régimes de détention que l’on retrouve aux États-Unis, dont les très connues Communication Management Units (CMUs) (unités de gestion des communications). Appelés les « petits Gitmos », à cause de leur ressemblance à Guantanamo Bay, ces unités autonomes au sein du système carcéral fédéral utilisent la ségrégation et des mesures de contrôle très sévères à l’encontre des détenus, en grande majorité des musulmans.

De tels régimes juridiques, qui s’ajoutent à de plus larges mesures de surveillance et de maintien de l’ordre, ont un impact immédiat et tangible sur les individus, les familles et les communautés qui sont déjà marginalisées. Ils ont aussi exercé le « rôle autoritaire », selon l’argumentaire de la sociologue Nisha Kapoor, « de conserver les hiérarchies raciales et de faciliter les interventions à caractère racial en Occident ».

La montée d’un État de sécurité nationale

Maintenant dans sa treizième année, la « guerre contre la terreur » menée par les États-Unis a été caractérisée par des pratiques de sécurité nationale racistes et répressives, ainsi que par une grande violence physique et structurelle autant aux États-Unis qu’à l’étranger.

De par son influence au sein d’institutions internationales telles que les Nations Unies, les États-Unis ont également financé la restructuration de l’appareil juridique « anti-terreur » d’autres pays partout à travers le monde. Le gouvernement des États-Unis, en tant qu’auteur de ce que la professeure de l’Université de Princeton a appelé « la loi de la sécurité mondiale », a contribué à la violence des contrôles administratifs ainsi qu’aux très dures tactiques utilisées pour le maintien de l’ordre par les états néolibéraux et autoritaires dans le but de contrôler les populations et contenir la dissidence politique.

Avec la violence associée au maintien de l’ordre dans les communautés noires américaines, qui remonte au début du 18e siècle et les « patrouilles d’esclaves », les origines de l’état-sécurité américain sont brutales et fortement ancrées. Bien que le contexte soit différent, l’histoire du colonialisme ainsi que les techniques de domination économique et raciale des États-Unis présentent plusieurs similitudes avec les méthodes utilisées par Israël.

Il est important de se rappeler que les deux pays fonctionnent dans une logique « d’état de sécurité nationale » via un ensemble de pratiques administratives à la fois violentes et courantes qui entraînent des blessures physique et limitent la liberté des individus et des groupes.

L’état de sécurité nationale, qui est relié à l’idée « d’état d’exception » — un contexte dans lequel un État déclare avoir la liberté de violer un ensemble de règles constitutionnelles et légales — a besoin d’un « Autre » déshumanisé pour justifier sa politique de peur. Ces « Autres » sont considérés comme des menaces non pas en raison de leurs actions, mais plutôt en raison de leur identité et de ce que l’on perçoit de leur idéologie. Autrement dit, ce n’est pas tant ce qu’ils font, mais plutôt ce qu’ils sont (Noirs, palestiniens, musulmans, arabes, islamistes, etc.) qui importe pour décider si un acte criminel a bien été commis. Contrairement à la logique de la loi, l’Autre dans un « état d’exception » est coupable tant qu’il n’a pas été jugé innocent.

L’état de sécurité nationale se caractérise par une concentration des pouvoirs dans les mains du pouvoir exécutif, par des violations des procédures et d’autres garanties constitutionnelles, ainsi que par une libre utilisation de la prérogative du secret d’état. Ceci implique également une plus grande restriction de la liberté d’expression, d’association et de droit à la vie privée ; la transformation en cibles des lanceurs d’alertes , des avocats et des défenseurs des libertés ; la criminalisation des communautés entières ; un plus grand rôle de l’armée et les services de renseignements j dans la vie civile par, entre autres, y compris une militarisation de la police et un recours à la violence contre les populations civiles.

Ces phénomènes, qui font partie intégrante des moyens de contrôle utilisés par Israël et les États-Unis, ont été exposés dans les médias ces dernières semaines. Les manifestations de Ferguson suite à la mort de Michael Brown, un adolescent noir non armé tué par un policier blanc, ont été réprimées par des gaz lacrymogènes, des tirs de balles en caoutchouc ainsi que par des policiers anti-émeute vêtus d’armures de type militaire. Bien que cette tuerie ait capté l’attention de la nation, elle n’avait rien de nouveau. Soulignant la précarité de la vie des Noirs aux États Unis, un rapport récent du Malcolm X Grassroots Movement indique que « des policiers, des gardiens de sécurité ou des membres autoproclamés de groupes d’autodéfense ont tué, en dehors du système judiciaire, au moins 313 Américains noirs en 2012 » seulement.

Tout comme en Palestine, la résistance exprimée dans les rues de Ferguson à été réprimée par la violence, ce qui a conduit plusieurs manifestants, qui étaient sous le choc, à comparer la police locale aux forces d’occupation israéliennes. Certains observateurs ont fait remarquer que certains membres des forces de l’ordre de Ferguson et de St-Louis avaient même suivi une formation en Israël.

En dressant ses propres parallèles, Kristian Davis Bailey — un étudiant de dernière année à l’Université Stanford — a décrit ce dont il a été témoin lors d’un récent voyage en Palestine, comme un « mélange contre-utopique des lois adoptées auxquelles les Noirs d’Afrique du Sud du temps de l’apartheid ont eu à faire face, et de la cruelle humiliation de la ségrégation raciale dans le sud des États-Unis ».

Ces similitudes ne sont pas fortuites. En tant que principal soutien d’Israël, les États-Unis financent la répression à hauteur de plus de 3 milliards de dollars par an. Cette influence n’est cependant pas à sens unique — les États-Unis empruntent les justifications d’ordre juridique d’Israël autant que ses tactiques militaires pour le maintien de l’ordre, tout comme ses méthodes de torture utilisées en prison. Il faut aussi tenir compte du partage de l’équipement et des services que fournissent aux deux pays, des agences de sécurité privées.

En soutenant la politique de peur que sous-tend la « guerre contre la terreur », ces pratiques contribuent à institutionnaliser le racisme, augmentent l’hostilité envers les communautés musulmanes et arabes des États-Unis, et justifient l’intervention dans les pays musulmans et arabes.

La sociologue Lisa Hajjar présente l’argument suivant : « Un gouvernement peut donner l’apparence d’agir en toute légalité en interprétant la loi de façon à faire en sorte qu’elle ne s’applique pas ». Autant Israël que les États-Unis ont eu recours à ces manipulations juridiques , ainsi qu’à l’élaboration et l’adoption de nouvelles lois, pour justifier les traitements inhumains et l’oppression. Souvent, il ne s’agit pas du non respect de la loi, mais bien la loi elle-même qui devient l’instrument du pouvoir.

Les emprisonnements massifs ont un impact dévastateur sur les individus et les communautés. Il s’agit d’un instrument de la terreur d’État, qui a pour but de semer la peur au sein de communautés entières et d’empêcher la création de liens solides qui soient fondés sur la justice et le respect entre l’État et la société. En séparant et en isolant les membres des mouvements et en forçant les individus à collaborer, à dissimuler et à trahir leurs convictions, elles aliènent des frères, des sœurs et des camarades. Et comme la loi est souvent au service du pouvoir plutôt que de la justice, les prisons sont au service de l’oppression légalisée.

En dépit de l’énorme déséquilibre des forces, il y a une résistance croissante autant en Palestine qu’aux États-Unis. Qu’il s’agisse des grèves de la faim des prisonniers ou de diverses formes de protestations réclamant l’espace public, de très larges mouvements motivés et dirigés par ceux dont les droits et l’humanité ont été bafoués depuis si longtemps dans les « palais de la justice », convergent pour de véritables stratégies de changement. Les militants se concentrent de plus en plus sur les symptômes de l’incarcération en tant qu’outil de gouvernance répressif , tout comme sur le paradigme de sécurité d’État auquel ils sont reliés — lui-même connecté à un système beaucoup plus large d’injustice politique, raciale et économique.

Ce faisant, ces mouvements nous rapprochent du jour où la loi deviendra enfin un instrument de justice plutôt que d’oppression.

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Corinna Mullin est une militante et une chercheuse universitaire actuellement basée à Tunis. Elle a travaillé et étudié en Palestine au cours des années 2000 et elle a donné des cours d’été à l’Université An-Naah de Naplouse, en 2010-2011.

Azadeh N. Shahshahani est une avocate spécialisée en droits humains basée à Atkanta et présidente de la National Lawyers Guild. En mai dernier, elle a rejoint une délégation de la NLG en Palestine et en Israël qui se concentre sur les prisonniers politiques palestiniens. Vous pouvez la suivre sur Twitter @ashahshahani .