Les hydrocarbures dans l’économie algérienne

D’une économie planifiée à une économie de marché

, par CDTM 34

En 1962, après 132 ans de colonisation, par la France, et une guerre de libération longue et meurtrière, l’Algérie est finalement indépendante, mais pauvre et sous-développée économiquement. En effet, la puissance coloniale a très peu investi dans l’industrie lourde, alors qu’elle a favorisé l’agriculture, l’extraction des produits du sous-sol et d’une moindre façon, la transformation des produits alimentaires (notamment le vin). Le pays s’engage dans la construction d’une économie forte qui se détache de l’héritage colonial, dans le but de créer une société moderne et dynamique.

Dès l’indépendance, mise en place d’une économie d’Etat

Au seuil de son indépendance, l’Algérie a besoin d’un Etat fort afin de développer son économie rapidement. Après le départ des Français, le pays manque de cadres et d’ouvriers spécialisés, et la population algérienne est constituée à 90% de paysans analphabètes qui viennent, nombreux, s’installer en ville. Le pouvoir choisit la voie du socialisme, se démarquant ainsi du capitalisme associé au système colonial. Le gouvernement met en place un modèle de développement fondé sur la théorie des « industries industrialisantes », selon laquelle les pays les plus pauvres doivent investir en priorité dans les industries lourdes dont le développement est supposé entraîner tous les autres secteurs de l’économie. Cet objectif ne peut être atteint sans une intervention forte de l’Etat pour nationaliser les entreprises et planifier l’économie. C’est une démarche qui a un coût élevé, mais l’Algérie ne manque pas de moyens : en particulier ses précieuses ressources en hydrocarbures et le fort sentiment nationaliste d’une population prête à se mobiliser pour l’indépendance.

Pour l’industrialisation le pouvoir peut compter d’une part, sur un financement par les banques étrangères, qui accordent à l’Algérie d’importants emprunts, considérant ses réserves de gaz comme une sérieuse garantie et d’autre part, sur les bénéfices tirés de l’exportation des hydrocarbures dont les prix sont à la hausse, suite au premier choc pétrolier de 1973.

De 1967 à 1977 trois plans de développement économique se succèdent. L’objectif est d’élever le niveau de vie de la population par l’appropriation et la mise en valeur par l’Algérie de ses propres richesses, par la construction d’une industrie de base et une réforme de l’agriculture.

Commence alors une période de nationalisation des grands secteurs de production : en 1966 le président Boumédiène proclame la nationalisation des secteurs miniers, en 1967 des banques et en 1971 c’est au tour des hydrocarbures, dont les importantes recettes deviennent l’outil du développement. Une planification de plus en plus rigoureuse est mise en place grâce à l’organisation de l’économie en monopoles et sociétés d’Etat, couvrant tous les secteurs de l’économie, y compris le commerce extérieur : l’Etat devient le principal, si non le seul, employeur.

Durant cette période, la croissance est au rendez vous ainsi que la redistribution des revenus, l’emploi se développe et le chômage diminue, les conditions de vie s’améliorent.

Echec de l’économie planifiée

En 1978 le plan « Valhyd » (Valorisation des Hydrocarbures) est lancé. Il est destiné à favoriser les industries liées au pétrole et au gaz pour permettre une première transformation sur place de ces ressources, avec des investissements massifs,de l’Etat. L’Algérie est devenue un pays pétrolier et mono-exportateur.

Les premières années de la mise en place de ce plan, le niveau de vie des Algériens commence à se détériorer et l’échec de l’économie administrée s’avère évident et inévitable, car elle est devenue totalement dépendante de la rente pétrolière. Le pays est dépendant de l’extérieur : notamment en ce qui concerne les produits alimentaires et les capitaux. En effet, pour répondre aux besoins de la population qui augmente rapidement, l’Etat emprunte à court terme auprès des banques étrangères privées.

Le pays est alors entraîné dans une logique infernale : pour rembourser la dette extérieure, le président Bendjedid suspend le plan de Valorisation des Hydrocarbures, ce qui entraîne la réduction des capacités de production ainsi que les disponibilités financières pour rembourser la dette. D’autant plus que le prix des hydrocarbures diminue à partir de 1983. Il faut alors emprunter à nouveau pour arriver à payer le service de la dette et la situation devient insoutenable avec le contre-choc pétrolier de 1986. On arrive ainsi à la quasi-faillite du pays.
Pendant toute cette période, les Algériens ont subi une dégradation progressive de leurs conditions de vie, particulièrement grave pour les classes vulnérables.

Au bord de la faillite, l’Algérie s’ouvre à l’économie de marché

Le début des années 1980, appelé la "décennie noire" a été marqué par la violence et par des émeutes engendrées par l’appauvrissement ("les émeutes de la semoule" en 1988 notamment). Incapable de payer le service de sa dette et au bord de la faillite, l’Algérie commence à réduire la taille des énormes entreprises publiques pour les rendre plus simplement gérables ; cela ne change presque pas la situation dramatique du Pays, qui (malgré les revenus du troisième choc pétrolier suite à la Guerre du Golfe), entre 1988 et 1993 est contraint de mettre en place de nouvelles réformes. Avec la nouvelle Constitution de 1989 l’Etat cesse d’être le garant social ; il se désengage des investissements pour devenir tout simplement le « régulateur » et le garant du bon fonctionnement de l’économie.

Mais la situation ne s’améliore pas. En 1994, l’Algérie est obligée d’accepter le principe du rééchelonnement de la dette et le PAS (Programme d’Ajustement Structurel) proposé par le FMI, la Banque Mondiale et l’Union Européenne, qui posent comme condition un durcissement de la libéralisation de l’économie, et de la privatisation des entreprises et des banques (commencée dès 1987). L’objectif est d’augmenter la productivité des entreprises publiques, les exportations hors hydrocarbures et les emplois.

Les indicateurs macro-économiques s’améliorent : l’encours de la dette extérieure baisse miraculeusement (de 100% de la valeur des exportations en 1994 à 22% en 2001), l’inflation diminue. C’est une réussite au regard des critères du FMI.

En revanche dès 1994, la situation sociale va en empirant. La croissance économique baisse, la production industrielle et les exportations reculent : la libéralisation et le désengagement de l’Etat causent le démantèlement presque total du système productif et les privatisations engendrent des licenciements massifs. Les conditions de vie se dégradent vite, marquées par une forte hausse des prix, l’augmentation du chômage (presque 30% de la population active), l’augmentation de la pauvreté et le recul de la consommation. La privatisation n’est pas arrivée à fragmenter les monopoles corrompus et bureaucratisés gérés par l’Etat, la gestion est désormais dans les mains des intérêts de certains groupes proches du pouvoir, au détriment de la production locale.

Pour améliorer cette situation dramatique, en 2001, l’Etat met en place un nouveau plan triennal de soutien à la relance économique, mais les résultats ne sont pas encourageants.

L’Etat continue à préserver un niveau élevé de réserves financières dans le but d’insérer l’économie algérienne dans le marché mondial : en 2002 le Pays signe un accord avec l’Union Européenne dans le cadre du Partenariat Euro-méditerranéen et entame des négociations pour faire partie de l’OMC (probablement en 2008). Les négociations piétinent et, en 2011, le processus d’adhésion n’a toujours pas abouti.

Aujourd’hui : un pays déstabilisé

Avec le soutien des Institutions financières internationales l’Etat algérien s’emploie alors à relancer l’économie, en augmentant les dépenses publiques, et en s’engageant à nouveau dans les investissements afin de stimuler la croissance. En 2005, le président Bouteflika lance le PCSC (Plan Complémentaire de Soutien à la Croissance, quadriennal) et un deuxième plan complémentaire pour 2007-2009 : l’objectif est de profiter du montant colossal d’argent tiré des hydrocarbures (dont le prix a augmenté depuis le choc pétrolier suite à la guerre en Irak) pour stimuler la croissance du pays, sans avoir besoin d’emprunter.

Ces choix sont contestés par les experts économiques qui doutent de la réussite de ces plans de soutien à la croissance. C’est la « malédiction des hydrocarbures », dont les revenus permettent à l’Etat de poursuivre ses erreurs de gestion au lieu de l’inciter à se réformer. En effet, alors que son peuple demeure pauvre, l’Etat, riche comme jamais, investit dans des grands travaux, dans les infrastructures, dans l’importation des biens (dont 30% alimentaires) et dans le remboursement de sa dette.

Cependant le pays ne revient pas à son passé socialiste. Le libéralisme ne s’arrête pas, au contraire : en septembre 2005 l’accord avec l’Union Européenne entre en vigueur, ce qui signifie une réduction des taxes douanières. Cette ouverture au marché européen a pour conséquence de déstabiliser le marché local des biens de consommation agricoles et n’encourage pas la production locale.

La Sonatrach, monopole public de gestion des hydrocarbures algériens, est l’objet d’une lutte d’influence. Le fond de l’affaire est politique. Les services de sécurité militaire en lutte contre Bouteflika, « décapitent » l’état major de la Sonatrach ; le président Bouteflika perd le contrôle de la rente pétrolière et celui des relations extérieures. L’objectif est d’obtenir sa démission de la présidence. En novembre 2011 le PDG du groupe pétrilier public Sonatrach, Nouredine Cherouati est débarqué par le président algérien. Son successeur, Abdelhamid Zerguine, devient le quatrième patron de l’ entreprise en moins de deux ans. Depuis le scandale de l’affaire Sonatrach qui a éclaté en 2009 et la mise sous contrôle judiciaire de Mohamed Meziane en janvier 2010, Abdelhamid Zerguine est le troisième PDG de Sonatrach et le quatrième à diriger l’entreprise depuis 2010. Soit quatre PDG en mois de deux ans.

Les privatisations continuent, l’objectif du gouvernement étant de construire des partenariats avec les pays étrangers, afin de faire profiter l’Algérie des experts occidentaux qui manquent depuis les nationalisations des années 1970. Au moment où l’Algérie accorde des contrats aux sociétés internationales, elle devrait poser comme condition que l’économie utilise les compétences et les ressources techniques et humaines locales, et qu’elles favorisent un développement durable dans le pays.
11500 émeutes en 2010. Les inégalités territoriales se sont creusées, les réformes agraires ont été abandonnées au profit d’un modèle capitalistique tourné vers les exportations. La société civile algérienne n’a que l’émeute pour s’exprimer. Il y a divergence aujourd’hui entre les dynamiques des luttes sociales et économiques et les dynamiques de lutte à caractère politique.