Comment la définition de forêt de la FAO nuit-elle aux gens et aux forêts ?

Lettre ouverte à la FAO

, par WRM

Au moment où se déroule la Conférence de Marrakech sur le climat (COP22), rappel de cette lettre, publiée le 21 septembre 2016 pour la Journée internationale de lutte contre la monoculture d’arbres.

En septembre 2015, pendant le XIVe Congrès forestier mondial, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Durban, en Afrique du Sud, pour protester contre la définition problématique que l’Organisation de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) insiste à donner des forêts. [1] La définition de la FAO considère que celles-ci sont essentiellement « un ensemble d’arbres », en laissant de côté d’autres aspects fondamentaux, dont les nombreuses formes de vie qu’elles hébergent, comme les plantes autres que les arbres, les animaux et les populations humaines qui dépendent de la forêt. De même, elle ignore la fonction vitale que jouent les forêts dans les processus naturels de production de sols, d’eau et d’oxygène. D’autre part, en définissant les forêts comme une étendue minimale de terre couverte d’un nombre minimum d’arbres d’une hauteur et d’un pourcentage de canopée minimaux, la FAO a fortement encouragé la création de plantations industrielles d’arbres de nombreuses espèces exotiques sur des millions d’hectares, en particulier dans les pays du Sud. Le seul secteur qui en ait été avantagé est celui de l’industrie de plantation d’arbres. Ces plantations industrielles ont eu de nombreux effets négatifs directs sur les communautés locales et sur leurs forêts, lesquels ont été amplement constatés [2].

Dans la manifestation organisée à Durban il y a un an, les gens portaient des étendards qui disaient Les plantations ne sont pas des forêts ! La marche s’est arrêtée devant le local du Congrès forestier mondial organisé par la FAO. À cette occasion, en réponse à un appel des leaders de la société civile un fonctionnaire du Congrès a quitté le bâtiment pour recevoir une pétition qui avait été signée par plus de 100 000 personnes et organisations du monde entier. La pétition demandait à la FAO de modifier sans délai sa définition et de la remplacer par une autre qui rende compte de la véritable signification des forêts. Or, une fois de plus, la FAO ne l’a pas fait.

Néanmoins, quelque chose de nouveau s’est produit : alors que les demandes préalables n’avaient reçu que le silence pour toute réponse, cette fois l’organisation a réagi aux réclamations et répondu par écrit. Un point de cette lettre est particulièrement intéressant. Il dit : « Il y a en fait plus de 200 définitions nationales des forêts, qui reflètent la diversité des parties intéressées en la matière... », et continue : « ...pour faciliter la présentation des données..., une catégorisation simple, opérationnelle et valable au plan mondial s’avère nécessaire, afin de pouvoir comparer de façon cohérente le développement et le changement des forêts du monde sur des périodes plus longues ». En écrivant ceci, la FAO essaie de nous convaincre que son but est tout simplement d’harmoniser les plus de 200 définitions de forêt que possèdent les différents pays.

Or, est-ce que c’est vrai que la définition actuelle de forêt de la FAO n’a pas influé sur la formulation des 200 définitions nationales ? Est-il correct, comme l’affirme la FAO, que les nombreuses définitions nationales de forêt sont l’aboutissement des réflexions de diverses parties prenantes de ces pays, ce qui minimise une fois de plus son influence ?

À notre avis, c’est le contraire qui est vrai. Pour commencer, la définition de forêt de la FAO fut adoptée il y a très longtemps, en 1948. D’après une analyse récente des concepts et des définitions de forêt faite par plusieurs auteurs, « la définition de la FAO, approuvée par tous les membres [de l’ONU], est la première que tous les pays utiliseront pour harmoniser leurs rapports ; la définition de forêt adoptée par la FAO reste la plus largement utilisée aujourd’hui ». [3]

Pour voir si la définition de la FAO est utilisée ou non, un bon exemple est celui du Brésil, le pays du Sud qui possède le couvert forestier le plus étendu et, d’après des sources officielles, presque 8 millions d’hectares de plantations industrielles d’arbres dont la plupart sont des eucalyptus. Dans sa publication de 2010 [4] « Florestas do Brazil » (Les forêts du Brésil), le Service brésilien des forêts (SBF), qui dépend du Ministère de l’Environnement et se charge des questions relatives aux forêts, « considère comme des forêts les types de végétation ligneuse qui se rapprochent le plus de la définition de forêt de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ». Ayant basé sa définition sur ce que la FAO avait déjà défini, le SBF affirme en toute logique que « le Brésil est un pays... de forêts naturelles et de forêts plantées », ces dernières étant les 8 millions d’hectares de plantations industrielles, surtout d’eucalyptus. La définition de forêt que donne le gouvernement brésilien n’est donc pas le résultat d’un processus qui « ...reflète la diversité des parties prenantes en la matière » ; au contraire, cette définition est une conséquence de ce que la FAO avait déjà déterminé.

L’influence de la définition de forêt de la FAO va encore plus loin : en cette époque de changement climatique, elle a été la principale référence au moment où la Convention de l’ONU sur le changement climatique (CCNUCC) a dû définir ce qu’est une forêt. En adoptant la définition de la FAO, étroite et basée sur le bois,, la CCNUCC a elle-aussi divulgué la notion qu’une forêt est une étendue de terre qui ne contient que des arbres. Pour la CCNUCC, ce qui compte surtout dans une forêt ce sont les arbres, qui sont capables de stocker du carbone pendant leur croissance, et non les populations qui dépendent des forêts. Or, ces communautés sont les plus touchées par les restrictions d’utilisation de la forêt qui leur sont imposées en raison des « projets de compensation de carbone », souvent dénommés projets REDD+. [5] Une définition centrée uniquement sur les arbres porte la Convention sur le changement climatique à considérer les « forêts plantées » – les plantations industrielles d’arbres – comme un moyen de « réduire le déboisement et la dégradation des forêts » et, par là, de piéger le carbone de l’atmosphère et de le stocker de façon permanente. Dans la pratique, tout cela est faux et ne sert qu’à accroître les bénéfices de l’industrie de plantation d’arbres, tout en représentant une grave menace pour les communautés touchées par l’expansion de ces plantations en tant que « puits de carbone ».

Après les dernières négociations de la CCNUCC, les pays ont commencé à revoir leur législation forestière, dans l’espoir d’attirer du « financement pour le climat ». Comme on pouvait s’y attendre, les définitions utilisées sont généralement basées sur la définition de forêt de la FAO. Au Mozambique, par exemple, au cours d’un atelier sur REDD+, un consultant a proposé une nouvelle définition de forêt pour le pays. Tout comme celle de la FAO, cette définition est basée sur la présence d’arbres et dit qu’une forêt est une étendue avec « des arbres ayant la possibilité d’atteindre une hauteur de 5 mètres dans leur maturité ». De même, en Indonésie, dans sa présentation à la Conférence climatique de l’ONU de 2015, le ministère de l’Environnement et des Forêts affirme qu’il a « ...ajusté la définition de forêt de la FAO » au moment de définir ses forêts. Une fois de plus, la définition et la valeur d’une forêt ne tient compte que des arbres, et les « forêts » sont classées en plusieurs catégories, dont les « forêts naturelles » et quelque chose qu’on appelle « forêts de plantation ». [6]

La définition de forêt de la FAO influe aussi sur les actions des institutions financières et de développement qui encouragent les activités où ce qui compte est le bois, comme l’exploitation industrielle des forêts, les plantations industrielles d’arbres, et les compensations de carbone REDD+. L’exemple le plus clair est celui de la Banque mondiale qui, faisant partie du conglomérat des Nations unies, s’est associée à la FAO pendant des décennies dans des initiatives concernant les forêts. Les deux se sont unies encore ces derniers temps pour un des projets les plus ambitieux de ceux qui ont été présentés pendant la CdP 21 de la CCNUCC à Paris : l’Initiative pour la restauration des paysages forestiers d’Afrique (AFR100) [7]. L’AFR100 vise à couvrir d’arbres 100 millions d’hectares de terres déboisées et soi-disant « dégradées » de plusieurs pays d’Afrique. La Banque mondiale mettra à la disposition de ce projet un milliard de dollars USA. Or, pour comprendre ce que la Banque mondiale entend par « reboisement », il est indispensable de voir comment elle définit la forêt. Comme on pouvait s’y attendre, sa définition est, elle aussi, empruntée à la FAO : la forêt est décrite comme « Une étendue de terre... avec des arbres... et une canopée de plus de 10 %... ». [8] En définissant ainsi les forêts, la Banque mondiale laisse la porte grande ouverte aux sociétés de plantation d’arbres pour qu’elles étendent leurs vastes plantations en régime de monoculture sur les territoires des communautés africaines, dans le cadre du plan ambitieux de « restauration » qu’elle veut mettre en œuvre avec la FAO et d’autres partenaires. La proposition AFR100 ressemble fort au Plan d’action pour les forêts tropicales (TFAP) des années 1980, lui aussi un rêve de la Banque mondiale en collaboration avec la FAO, et qui se solda par un échec.

Considérations finales

Il est urgent que la FAO arrête de présenter les plantations industrielles d’arbres comme des « forêts plantées » ou du « reboisement », parce que les gouvernements nationaux, les autres institutions de l’ONU, les institutions financières et les principaux médias vont suivre son mauvais exemple. Cette confusion délibérée des plantations d’arbres et des forêts est en train de tromper les gens, qui voient les forêts en général comme quelque chose de positif et de bénéfique : après tout, qui pourrait s’opposer aux « forêts » ?

Par-dessus tout, la FAO devrait assumer la responsabilité de la forte influence que sa définition de forêt est en train d’avoir sur les politiques économiques, écologiques et sociales. La pétition présentée à la FAO à Durban en 2015 dit que cette institution se définit, d’après ses principes fondateurs, comme « un forum neutre où toutes les nations se rencontrent sur un pied d’égalité ». Pour être à la hauteur de cette affirmation, il faut, entre autres choses, que la FAO revoie d’urgence sa définition de forêt : au lieu de refléter les préférences et les perspectives des industries du bois, du papier, du caoutchouc et de l’échange d’émissions, elle doit refléter les réalités écologiques et les points de vue des peuples tributaires des forêts. Au lieu de continuer à subir l’influence dominante des industries fondées sur le bois, la FAO doit entreprendre un processus transparent et ouvert pour formuler des définitions appropriées des forêts et des plantations d’arbres, avec la collaboration des femmes et des hommes qui, dépendant directement des forêts, sont ceux qui les protègent.

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