Le Kosovo, un État sans État

Chronologie et repères historiques

, par Forum Réfugiés

Des Illyrien·nes à l’occupation ottomane

Le peuple illyrien occupe une grande partie des Balkans, dont le Kosovo. Ces territoires sont ensuite occupés par l’Empire romain, avant l’arrivée des Slaves à partir du VIIe siècle.
XIIe siècle : Les Serbes unissent leur royaume et contrôlent les territoires actuels de l’Albanie, du Kosovo, de la Macédoine et de la Grèce. Belgrade est sur le territoire du Royaume de Hongrie.
1389 : L’Empire ottoman remporte la bataille de Kosovo Polje, qui marque le début de l’occupation ottomane en Serbie. Les Serbes fuient le Kosovo et l’Empire ottoman intègre le Kosovo à l’Albanie. Les Albanais·es migrent vers le Kosovo.
XVIIe siècle : Le Kosovo est peuplé quasi-exclusivement d’Albanais·es, majoritairement converti·es à l’islam, et de Turcs.

Le XIXe siècle : La montée des revendications nationales

1882 : La Serbie retrouve son indépendance aux dépens de l’Empire ottoman, qui conserve tout de même sa tutelle sur l’Albanie, dont le Kosovo.
1912 : La déliquescence de l’Empire ottoman permet à l’Albanie de déclarer son indépendance. Mais le Kosovo revient dans le giron du Royaume serbe, grâce notamment au soutien de la Russie.
1918-1929 : Le Royaume des Serbes, Croates, et Slovènes se forme. À partir de 1915, les Serbes font fuir les Albanais·es du Kosovo et repeuplent la région. Les mouvements de protestation des Albanais·es sont vivement réprimés.
1929 : Création de la Yougoslavie. Le Kosovo y est intégré.

Le XIXe siècle en Europe est régulièrement présenté comme le siècle de la montée des nationalismes, au sens premier du terme : la volonté d’un peuple d’être réuni au sein d’une même nation. Les peuples européens sont, en effet, soit oppressés par une puissance (Empire ottoman, Empire austro-hongrois), soit éclatés entre plusieurs royaumes (Italie actuelle). Les dirigeants européens ont d’ailleurs choisi, lors du Congrès de Vienne de 1815, d’affirmer les découpages territoriaux en fonction de la restauration des monarchies, sans prendre en compte le droit des nationalités. Les peuples des Balkans, partagés entre l’Empire autrichien et l’Empire ottoman, n’échappent pas à la montée des nationalismes. Les peuples européens se révoltent en 1848 au cours du « Printemps des Peuples » dans de nombreux pays. Un « Printemps » vivement réprimé. Dans les Balkans, l’Empire ottoman est cependant rapidement dépassé. L’Empire perd de son influence et les autres puissances européennes rôdent.

En 1876, une révolte serbe est étouffée. Mais la Russie prend le parti des Serbes et entre en guerre contre les Ottomans. Vaincu en 1878, l’Empire ottoman doit accepter de céder une partie de ses terres, au profit d’une indépendance serbe, lors de négociations entre la Russie, le Royaume-Uni et la France. Cependant, les Serbes n’obtiennent pas l’ensemble des territoires qu’ils revendiquaient : le Kosovo (et l’Albanie), demeure sous influence ottomane. Les mois qui suivent l’indépendance de la Serbie, de nombreux Albanais·es préfèrent fuir vers le Kosovo et s’y installent. Surtout, les Albanais·es se sentent lésé·es : des peuples des Balkans, c’est le seul à ne pas avoir obtenu de droits en termes de nationalité et demeure ainsi sous influence ottomane.

De part et d’autre, les nationalismes se font de plus en plus entendre. Les Serbes rêvent d’une « Grande Serbie », réunissant au sein d’une même nation tous les Serbes, tandis que les Albanais·es rêvent d’une « Grande Albanie ». Mais les puissances européennes (Royaume-Uni et France, entre autres) continuent à effectuer des découpages territoriaux qui permettent de contenir toute formation d’une nouvelle puissance : elles craignent notamment la formation d’une entité slave alliée à la Russie.

Le Kosovo au cours du XXe siècle

La région en ballottage
1912-1913 : À la suite des deux guerres balkaniques, le Kosovo est « rendu » à la Serbie. L’Albanie devient indépendante, mais sans 60 % des Albanais·es.
1941-1943 : L’Allemagne occupe la Serbie, l’Italie la Slovénie du Sud, le Montenegro, l’Albanie, le Kosovo et une partie de la Macédoine. Mussolini décide la création d’une « Grande Albanie ». Les populations albanaises du Kosovo font fuir les Serbes vers le Nord et s’installent de nouveau dans la région.
1945 : Création de la « seconde Yougoslavie », dirigé par Tito, qui parvient à reprendre le Kosovo à l’Albanie. Cette dernière ne peut prétendre à ce territoire face à la puissance militaire des troupes titistes. Le Kosovo est alors une province autonome, rattachée à la Serbie.

À la suite de la Première Guerre mondiale se crée le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (les peuples slaves des Balkans). Déjà chassé·es de la Serbie et contraint·es de se réfugier au Kosovo lors de l’indépendance de 1878, les Albanais·es sont une nouvelle fois invité·es à quitter les lieux en raison d’une politique de « désalbanisation » du Royaume des Slaves.
En 1941, l’Italie fasciste envahit l’Albanie et entreprend de créer la Grande Albanie : Mussolini crée un territoire regroupant l’actuelle Albanie, la Macédoine occidentale, le Kosovo et l’Empire grec. Durant cette période, les Serbes font l’objet d’une sévère répression. Au cours du conflit, les troupes de Tito, leader de la résistance communiste de Yougoslavie, regagnent progressivement des territoires. En 1945, le Kosovo est de nouveau yougoslave. Les Albanais·es qui s’opposent à ce rattachement à la Yougoslavie sont massacré·es.

Le Kosovo au sein de l’ex-Yougoslavie : la montée des revendications nationales

1974 : La nouvelle Constitution fédérale proclame un statut d’autonomie au Kosovo.
À la mort de Tito en 1980, le Kosovo est la région la plus pauvre du pays et compte 1,5 million d’habitant·es, dont 77 % d’ Albanais·es et 13 % de Serbes.
1er mars 1989 : Les Kosovar·es expriment leurs revendications d’indépendance. Après une grève générale, la République fédérale serbe proclame l’état d’exception et envoie l’armée au Kosovo. Le 23 mars, le Parlement serbe vote la limitation du statut d’autonomie.
Le régime d’autonomie du Kosovo est aboli en 1990 quand Milosevic devient président de la Serbie.
5 juillet 1990 : Le Kosovo perd tout pouvoir législatif et exécutif.

La République fédérative socialiste de Yougoslavie est officiellement créée en 1945, avec à sa tête le maréchal Tito. Dès l’été 1945, la Yougoslavie est divisée en six républiques : la Serbie, la Croatie, la Slovénie, la Bosnie-Herzégovine, le Montenegro et la Macédoine. La République de Serbie est dotée de deux régions autonomes : la Voïvodine et le Kosovo. Si ce statut accorde aux Kosovar·es des droits égaux à ceux des autres habitant·es des différentes républiques, il n’accorde pas de statut de peuple à part entière.

En 1968, comme dans beaucoup d’autres pays de l’espace européen, le Kosovo se révolte contre les politiques discriminatoires dont il se dit victime au sein de la Fédération. À la suite de nombreuses émeutes, Tito octroie un statut de « province autonome » à la région. La Constitution fédérale de 1974 va plus loin : le Kosovo autonome devient quasiment indépendant de la République de Serbie et possède désormais un parlement et un gouvernement.

À la mort de Tito en 1980, les revendications reprennent de la part des élites de la province du Kosovo, qui estiment toujours être l’objet de discriminations et qui protestent contre la situation économique catastrophique. Les étudiant·es suivent massivement le mouvement. Face à la répression, des administrations parallèles à l’État se créent. Informelles, elles sont financées par une taxe payée par les Albanais·es du Kosovo, mais aussi par la diaspora, très nombreuse. Des écoles et des universités en langue albanaise se multiplient.

Histoire récente : L’échec de la communauté internationale

La politique répressive de Milosevic envers les Albanais·es du Kosovo
 
Mai 1989 : Slobodan Milosevic est élu président de Serbie. Des manifestations réclamant plus d’autonomie au Kosovo provoquent l’intervention des troupes de la Fédération.
1993 : Création du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie habilité à juger les personnes accusées de crimes graves du droit international humanitaire, commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie (y compris Bosnie-Herzégovine, Croatie et Kosovo), depuis 1991.
Février 1998 : Après plusieurs attentats de l’Armée de libération du Kosovo (UCK selon son acronyme anglais le plus utilisé, ALK en français), l’armée serbe rentre au Kosovo.

En 1989, les troupes de la Fédération envahissent le Kosovo et y font régner un climat de répression, tout en ôtant le statut d’autonomie de la région. En 1990, le Parlement serbe va plus loin : tout pouvoir législatif et exécutif des instances kosovares sont abrogés et Milosevic, arrivé au pouvoir quelques mois plus tôt, met en place un régime autoritaire et discriminatoire, contrôlé par l’armée serbe. La langue albanaise est proscrite des administrations et du système d’éducation, beaucoup de fonctionnaires sont contraint·es à la démission. Le gouvernement de Milosevic encourage les Serbes à aller s’installer au Kosovo, à la place des Albanais·es, harcelé·es et poussé·es à l’exode. L’objectif du gouvernement est de changer la composition ethnique de la région.
Entre 1990 et 1993, on estime que 250 000 Albanais·es du Kosovo quittent la région.

En 1992, la Slovénie, la Croatie et la Bosnie obtiennent leur indépendance. Slobodan Milosevic est alors à la tête de la « République fédérale de Yougoslavie », qui ne compte plus que deux républiques : la Serbie (dont la Voïvodine et le Kosovo) et le Montenegro.

Au Kosovo, une résistance s’organise, menée principalement par Ibrahim Rugova et son mouvement de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), qui prône une stratégie de non-violence. Mais aux grèves générales qui se succèdent les forces serbes répondent par la répression. Lors des Accords de Dayton de 1995, la communauté internationale s’attache à accompagner les négociations sur la partition de la Bosnie-Herzégovine et sur les derniers différends frontaliers de l’ex-Yougoslavie. Cependant, la question du Kosovo est complètement oubliée, si ce n’est ignorée.

L’UCK est un mouvement de résistance qui, par opposition à la LDK, préconise une lutte armée, recrute de plus en plus de militant·es et, en février 1996, revendique une série d’attentats à la bombe. Ce mouvement va profiter également en 1997 du chaos total qui règne alors en Albanie. Le pillage de nombreux dépôts d’armes lui permet de s’armer plus lourdement. Rapidement, l’UÇK devient l’interlocuteur privilégié pour d’éventuelles négociations.

En mars 1998, Belgrade lance une offensive contre l’UÇK dans la région centrale de Drenica, l’un des principaux bastions des indépendantistes. Des massacres touchant les populations civiles sont commis par les forces serbes. Cet événement marque le début de la guerre du Kosovo.

L’intervention internationale de 1999 : un statut indéterminé et une communauté internationale impuissante

24 mars 1999 : Après l’échec des négociations, l’OTAN (Organisation du Traité Atlantique Nord) débute les bombardements en Yougoslavie.
10 juin 1999 : Les Serbes se retirent du Kosovo et acceptent la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies. Le Kosovo est toujours officiellement rattaché à la République fédérale de Yougoslavie, mais sous mandat international.
En 2006, après l’indépendance du Montenegro, la République fédérale de Yougoslavie est dissoute. Le Kosovo est toujours officiellement rattaché à la Serbie.
17 février 2008 : Le Kosovo déclare unilatéralement son indépendance.
Avril 2014 : Le Parlement approuve le principe de la création d’un tribunal spécial pour juger les crimes imputés à l’ UÇK durant la guerre du Kosovo.

1998
En février 1998, les troupes serbes lancent une offensive meurtrière, qui contraint quelque 300 000 personnes à fuir une nouvelle fois. Des villages entiers sont détruits et vidés de leurs habitant·es. En février 1999, les États-Unis, la Russie et l’Union européenne (UE) contraignent les deux parties à des négociations. Favorable aux Albanais·es, le traité proposé est refusé par les Serbes. L’OTAN envoie 28 000 soldats. Les bombardements sur les positions serbes qui débutent le 24 mars 1999 ont des répercussions catastrophiques sur les populations du Kosovo : en représailles, les Serbes contraignent encore une fois des milliers d’Albanais·es à la fuite, malgré la présence de 1 300 observateur·rices internationaux·ales présent·es dans la région, qui assistent impuissant·es au déplacement (interne ou vers l’étranger) de 80 % de la population.

Le 10 juin, les hostilités cessent, après 11 semaines de bombardements de l’OTAN et un accord enfin trouvé. Les troupes serbes se retirent du Kosovo et la région est placée sous protectorat international : un administrateur est nommé par l’Organisation des Nations unies (ONU), chargé de diriger une province dévastée et d’y rétablir la paix. La KFOR maintient plus de 40 000 soldats pour assurer la sécurité. La réconciliation et la paix sont loin d’être restaurées. Les membres de l’UCK et certains de leurs dirigeants se lancent dans une politique de vengeance. Disparitions forcées, torture, trafics d’organes… Les Serbes, mais aussi des Albanais·es opposé·es à l’UCK et des Roms sont systématiquement visé·es.

En 2001, une première Assemblée est élue par les citoyen·nes du Kosovo et, le 4 mars 2002, Ibrahim Rugova devient le premier président du Kosovo. Celui-ci décède en 2006, ce qui porte certainement préjudice aux négociations qui n’avancent pas. Le médiateur des Nations unies soutient la solution de l’indépendance du Kosovo et la création d’un État qui assurerait la représentation des minorités ethniques à l’Assemblée. Mais les Serbes refusent toujours en se réfugiant derrière la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies adoptée en 1999 et qui prévoit une autonomie, mais au sein du territoire de l’ex-Yougoslavie.

Le Kosovo proclame son indépendance le 17 février 2008. Les réactions sont diverses. La Chine, la Russie, ainsi que cinq pays de l’Union européenne (Chypre, Espagne, Grèce, Slovaquie et Roumanie) ne reconnaissent pas le Kosovo en tant qu’État indépendant. Les Serbes du Kosovo s’opposent toujours à cette indépendance et demandent le rattachement du Kosovo du Nord à la République de Serbie.

Les accords de Bruxelles de 2013 : une tentative de normalisation des relations entre la Serbie et le Kosovo

Depuis la guerre de 1999, les relations entre la Serbie et le Kosovo sont tendues. La proclamation de l’indépendance du Kosovo en 2008 a exacerbé les tensions. À partir de 2011, une discussion s’ouvre entre les deux pays à l’initiative de l’Union européenne (UE) pour tenter d’apaiser les rivalités.
19 avril 2013 : Les accords signés à Bruxelles ont pour objectif de créer de l’unité au sein de la population kosovare. Ils prévoient notamment la dissolution de structures municipales parallèles serbes (mairies, écoles, hôpitaux) et leur remplacement par des représentations serbes élues selon la loi électorale kosovare [2]. Les accords assurent également : la liberté de mouvement, la reconnaissance mutuelle des diplômes universitaires, une circulation frontalière libre entre la Serbie et le Kosovo. Ils anticipent la création d’une Cour d’appel de la minorité serbe au Kosovo et une plus large autonomie aux communes serbes du nord du Kosovo1. Malgré ces efforts d’apaisement des relations, des contestations de la part des Serbes du Kosovo et de leurs représentant·es politiques persistent. Les élu·es des 50 000 Serbes vivant principalement au nord du Kosovo voient dans les accords de Bruxelles une trahison de la part de Belgrade. L’un des dirigeants politiques des Serbes du Kosovo déclare : "Je rappelle aux gens de Belgrade qu’ils doivent rester fidèles à la Constitution serbe, qui stipule que le Kosovo fait partie intégrante de la Serbie, et que personne ne peut signer un accord qui placerait les municipalités serbes sous juridiction albanaise".

Un regain des tensions (2022-2023)

Le mécontentement des populations serbes du nord du Kosovo peut se traduire par des violences.

2022
31 juillet : Une crise éclate entre le gouvernement du Kosovo et la minorité serbe du Nord, à propos de l’interdiction des plaques d’immatriculation serbes. 50 000 Serbes du Kosovo doivent changer leurs plaques d’immatriculation pour celles délivrées par le gouvernement central de Pristina. Des centaines de policier·ères serbes intégré·es à la police kosovare, ainsi que des juges, procureur·es et autres fonctionnaires serbes, quittent leurs postes pour protester contre cette décision. Les populations se révoltent également et bloquent avec des barricades les points de passage entre le nord et le sud du pays.

Décembre : Des manifestations, des barrages routiers ainsi que des échanges de tirs et des explosions ont lieu dans la ville de Mitrovica au nord du pays. C’est l’intervention de la KFOR qui met fin à ce début d’escalade en janvier 2023. Les barrages routiers sont retirés.
15 décembre : Le Kosovo dépose sa demande de candidature d’adhésion à l’Union européenne (UE).

2023
Avril : Le gouvernement organise des élections municipales, qui sont remportées par des Albanais·es, en raison d’un important taux d’abstention des Serbes du Kosovo.
Fin mai 2023 : À l’occasion de l’entrée en fonction des maires controversé·es, des manifestations dans les villes du Nord se transforment en affrontements entre la population serbe, la police kosovare et les soldats de l’OTAN. En tout, 90 personnes sont blessées lors de ces derniers affrontements [4].
Fin juin : Les tensions sont toujours très vives entre les Kosovar·es d’origine serbe et les autorités.
15 septembre : Échec des négociations entre la Serbie et les autorités kosovares pour la normalisation des relations.